François | 4.5 | Superbe introspection sur la vie bien fragile d'une famille |
Alain | 4 | |
Ordell Robbie | 3.5 | Le joli semi-comeback d'une grande de Hong Kong |
July Rhapsody est assez typique d'un grand Ann Hui : rythme langoureux, narration très peu explicative, excellente direction d'acteur, maîtrise technique évidente à l'ancienne. Le contenu historico-politique présent dans plusieurs de ses films disparaît ici avec un thème plus universelle, le passage de la quarantaine et la famille. Le discours se montre un nouvelle fois pertinent, touchant et dur. On y retrouve également de nombreux thèmes à creuser sur la vie à HK.
Il faut être préparé à un rythme assez lancinant toutefois, comme souvent avec Ann Hui. La superbe bande originale participe activement à l'ambiance triste du film, qui paraît 20 minutes plus long que sa durée réelle. Mais rythme lent ne rime pas forcément avec ennui permanent. Autant d'autres films d'Ann Hui semblent un peu long, autant ici toutes les scènes sont nécessaires. Chacune conduit jusqu'au dénouement, ambigu et superbe.
Il faut souligner la qualité du scénario, mettant en parallèle deux histoires avec 20 ans d'écart. L'histoire se construit de manière assez subtile, avec son lot de non-dits. La qualité principale en est probablement de ne pas souligner trois fois au marqueur chaque étape de la déconstruction/reconstruction de cette famille. Tout se produit comme dans un rêve, sans dramatisation inutile, mais sans en réduire non plus l'émotion. La réalisation est superbe, discrète mais pertinente, laissant les acteurs s'exprimer grâce à de longs plans séquences. La photographie et la musique complète bien le travail d'Ann Hui. Bref, toute la mise en scène se met au service du récit.
Enfin les acteurs sont épatants, de Jacky Cheung enfin de retour au premier plan à la toute jeune Karena Lam. Le duo Anita Mui / Jacky livre une performance de très haute volée, tout en retenue et en introspection. Connues pour être capable d'interprétations assez extravaguantes, les deux stars montrent ici qu'ils peuvent également faire preuve de subtilité, à l'image de leur dernière scène, magnifique de tristesse et tellement réaliste. Mais la vraie révélation du film reste Karena Lam, tout simplement fabuleuse en jeune effrontée au charme irrésistible. Elle fera chavirer tous les coeurs de 20 à 40 ans. On peut dors et déjà lui prédire une belle carrière si elle trouve des rôles à sa mesure.
Cette petite fièvre des 40 ans est donc un morceau de choix dans la filmographie d'Ann Hui, un film triste et mélancolique qui figurera aisément parmi les meilleurs de l'année 2002.
Si elle fait partie avec John Woo, Tsui Hark et Stanley Kwan des réalisateurs hong-kongais les plus talentueux des années 80, Ann Hui avait beaucoup déçu depuis Ah Kam en réalisant des films inégaux ou impersonnels. C'est pour cela que son regain d'inspiration en plein marasme du cinéma hong-kongais est la belle surprise de 2002. Car, s'il n'atteint pas les sommets de Song of the Exile, July Rhapsody est un très bon film d'auteur qui survole d'assez haut les débats du cinéma hong-kongais de 2002.
Certes, le scénario n'est pas un scénario original de l'auteur (de toute façon un Eastwood n'écrit pas ses scénarios ce qui n'a pas empêché un film comme Impitoyable de porter sa marque) mais il est assez écrit pour permettre à Ann Hui d'y trouver ses marques et de développer ce qu'elle sait faire de mieux: la direction d'acteurs toute en retenue et l'expression de la nostalgie. Ann Hui a su tirer de Jacky Cheung et Anita Mui des performances faites de retenue, de nostalgie douce, de malaise exprimé sans recours au pathétique. Des thèmes personnels de Ann Hui sont au coeur du scénario: la figure de Luxun, personnage dont Jacky Cheung parle à ses élèves, chinois cultivé qui vécut à Shibuya, évoque les origines sino-japonaises de la réalisatrice; l'ancien professeur de Jacky Cheung a quitté Hong Kong pour s'installer à Taiwan parce que sa femme n'aimait pas l'ancienne colonie britannique; en tant qu'épouse trompée à cause d'une élève de son mari, Anita Mui subit ce qu'elle a fait subir à cette dernière. Tout ceci nous fait retrouver l'Ann Hui cinéaste des liens ténus et des rapports fascination/répulsion entre les pays de l'Asie du Sud-Est. L'envie de se substituer à un autre est au coeur du film: Jacky Cheung a voulu devenir professeur car il voulait pouvoir regarder celle qu'il aimait toute une journée comme le faisait son professeur avec Anita Mui jeune; les rapports avec sa jeune élève reproduisent ceux de son épouse avec son ancien professeur.
Une des forces du film est d'inverser les rapports de force traditionnels de ce type de situation lolycéenne: c'est la jeune élève qui est en position de force socialement, vient d'un milieu favorisé, est attendue par un ami au volant d'une Porsche tandis que l'homme mur ne comprend pas pourquoi cette femme s'intéresse à quelqu'un qui est plus bas qu'elle dans l'échelon social; c'est l'homme mur qui a l'impression de s'élever par procuration au travers d'une femme plus jeune que lui. Mais Ann Hui réserve ses plus belles cartouches émotionnelles pour la fin: la récitation d'un poème par Jacky Cheung et Anita Mui à leur ancien professeur mourant à l'hopital, les retrouvailles du professeur et de sa Lolita à la remise des prix faite de regrets et de la conscience que chacun doit poursuivre sa propre route. Et surtout la discussion finale du couple: le divorce y est évoqué sans tempête mais l'émotion explose bientôt ce qui fait que la discussion sur le sujet est reportée; Jacky Cheung veut d'abord qu'ils aillent voir ensemble ce Yang Tsé aux gorges aussi profondes que les larmes d'une Anita Mui sublime de lassitude. Le film se conclut ainsi de façon ouverte, réaliste, à l'image de cette liaison extraconjugale ordinaire et sans tempête.
Au négatif, si Ann Hui est très convaincante lorsqu'elle filme les moments intimistes sur un rythme apaisé avec des cadrages au cordeau contemplatifs, elle est beaucoup moins convaincante lors des scènes de bars ou de boites de nuit. Le film souffre alors du syndrome Goodbye, South, goodbye: les choix formels inadaptés à une ambiance où la nostalgie n'est crée ni par les acteurs ni par la narration (depuis, Hou Hsiao Hsien a utilisé une réalisation à la stylisation beaucoup plus visible en phase avec l'art de la frime de ses héros et introduit de la nostalgie en faisant raconter son récit contemporain par une voix off se situant dans le futur avec le superbe Millennium Mambo). Le film a donc dès lors ses longueurs. La conclusion donne également l'impression d'être trop rapide, défaut dont souffrait déjà Song of the Exile. Mais tous ces défauts demeurent mineurs au regard du plaisir de retrouver une cinéaste en forme.
Des années après ce dernier film, Ann Hui nous offre un nouveau chant obsédant rythmé de pianos nostalgiques et légers. Et nous de savourer cette petite musique qui tranche avec l'ordinaire tatapoum de supermarché produit par le cinéma de Hong Kong en 2002.