Autant le premier opus était techniquement une petite merveille, autant cette "suite" plutôt inédite (très rarement citée dans la filmographie de Kurosawa) demeure guère une réussite incontestable. C'est avec plaisir que l'on retrouve Susumu Fujita dans la peau de Sugata Sanshiro, être finalement héroïque malgré lui. C'est en voyant un japonais se faire humilier contre un boxeur américain qu'il décide de reprendre du métier en y défiant ce fameux boxeur et par la suite les frères fous de Gennosuke avides de revanche. Moins que la première réalisation -mineure- de Kurosawa en 1943, cette vraie/fausse suite réalisée 2 ans plus tard propose sont lot de surprises comme de déceptions. Visuellement, le film est plus froid, relativement étroit (des lieux carrés, un ring étouffant), il faudra attendre le "combat" final dans les montagnes enneigées pour y trouver un sentiment de liberté plus prononcé. Un combat hélas bien décevant (comme la plupart des duels du film d'ailleurs), d'une grande mollesse. Les combats de boxe sont du même niveau, où le côté sauvage et nerveux perd tout son sens, nous n'avons affaire qu'à des danseuses. Qu'importe de toute manière, il faudra creuser un peu plus profondément pour trouver les qualités de La nouvelle légende du grand Judo. Les mouvements de caméra sont parfois judicieux (les zooms progressifs sur un des frères fous dans la grotte en fin de métrage) et plutôt variés dans l'ensemble même si l'on n'atteint pas l'excellence du premier opus ou les futures productions du Maître.
Cette suite du film initiateur du cinéma d'arts martiaux est un ratage ne valant pas mieux que n'importe quel film d'arts martiaux médiocre made in Hong Kong. De l'aveu meme de Kurosawa, il s'agit d'une véritable démission artistique. Ce qui plombe déjà le film est son nationalisme digne d'un certain versant seventies du cinéma d'arts martiaux HK. On y affirme la supériorité de ces si raffinés arts martiaux nippons sur ce sports de boeufs que serait soi disant la boxe. La scène ou Sugata ferme les portes d'une salle où se déroule un combat de boxe, porte décorée du drapeau américain, est digne d'un mauvais film de propagande. Les rictus des blancs amateurs de boxe y sont complaisamment ridiculisés à coup de gros plans. Et enfin la scène d'ouverture rejoue le début de la Légende du grand judo sur le mode de l'antiaméricanisme primaire et avec une mise en scène d'une platitude extreme. Le montage des combats boxe vs judo comme celui des combats purement martiaux manque de rythme tandis que leur mise en scène est souvent plate voire peu inspirée (les gros plans inutiles lors d'un combat). Le rapport maitre/élève a été mieux traité dans le volet précédent. Tandis que la scène de la jarre et du combat dans la neige seront mieux traitées dans la version Uchiikawa. Enfin, la dramatisation est crée de façon artificielle par un recours facile à la musique. Tandis que le jeu des acteurs manque de naturel. On est loin des belles promesses cinématographiques du premier volet et des Hommes qui marchent sur la queue du tigre. Le remake regroupant les deux volets signé Uchiikawa et supervisé en partie par Kurosawa sera bien plus convaincant.
Réalisé sous la pression des studios de la Toho pour pouvoir signer un contrat de réalisateur et subvenir aux besoins de sa famille (le mariage avec sa future femme est immédiat), KUROSAWA ne met pas tout son coeur dans ce simple film de commande, mais réussit pourtant à garder la quintessence du personnage principal et à savamment contourner les valeurs patriotiques imposées.
La fin de la guerre étant imminente, les grosses pontes redoublent d'ardeur à exacerber un fort sentiment nationaliste d'une population déjà à la dérive. Ayant retenu la leçon du premier affront de leur réalisateur sur "La légende du judo", ils décident pourtant à réitérer l'immense succès populaire du premier volet, mais en y ajoutant une bonne dose de patriotisme, qu'ils avaient déjà pensé voir au précédent.
SANSHIRO s'en va donc défier (et vaincre) les méchants étrangers (représentés - ô surprise - par des marins américains...) à venir "envahir" le pays dès l'ouverture des frontières à l'avènement de l'ère moderniste nippon (années 1860's) et à exacerber le sentiment de toute une nation (reprise des chants à la gloire de SANSHIRO, véritable icône nationale); sauf que KUROSAWA n'est pas réellement du côté des nationalistes. Il réduit donc la présence à l'écran de ces étrangers au strict minimum et en fait une caricature de la caricature. La première scène d'un américain insultant un japonais est tourné en dérision sur le modèle des vieilles comédies américaines du début du siècle dernier; les quelques combats de SNAHSIRO avec des américains se limitent qu'à une seule prise - prouvant une supériorité largement exagérée, mais permettant également à KUROSAWA de se débarrasser de ces épisodes au plus pressé. Quant aux chants de louanges entamés à la gloire du judoka, ils ont tendance à davantage l'énerver que flatter son ego.
Le réalisateur ne trouve intérêt qu'à la seule histoire de vengeance des deux frères d'un ennemi vaincu au précédent épisode. Relative récusée du premier volet de ses aventures, tout concourt finalement au magnifique épilogue du film, se focalisant tout entier à cet immense amour de SANSHIRO pour autrui : il s'occupe du mieux qu'il peut de ses deux adversaires ayant pourtant cherché sa mort. Et de renouer avec l'esprit du premier épisode au cours duquel un jeune chien fougueux avait eu l'illumination de l'humilité de soi en voyant une fleur de lotus s'ouvrir au clair de lune...
En revanche, KUROSAWA fait part de tout son mécontentement du projet dans son ensemble en semblant réaliser sans aucune envie. Sa mise en scène se réduit au strict minimum syndical; exit ses prouesses visuelles précédentes, ses audaces en avance sur son temps. Alors qu'il avait employé un découpage différent pour chaque combat la fois précédente, il se contente ici de plans d'ensemble et de nombreux inserts de spectateurs pour donner un semblant de dynamique à ses scènes. Enfin, le combat final est une resucée du premier, des montagnes enneigées remplaçant les plaines fouettées par une tempête; si les conditions de tournage avaient été terribles, la scène n'arrive à faire mieux que dans le précédent volet.
S'il y avait un véritable moment de génie à retenir, ce serait la magnifique réprimande du sifu de SANSHIRO : désespéré, ce dernier enfreint le règlement de son dojo, interdisant de boire dans l'enceinte de l'immeuble. Le maître arrive à l'improviste et exécute quelques prises de judo imaginaires à l'aide d'une bouteille vide de saké avant de repartir sans doigt lever sur son disciple fautif. SANSHIRO (et le spectateur) aura pourtant mesuré toute l'importance de geste d'apparence anodin - et à ces gestes magistraux d'en dire bien plus long que toute colère.
Le film a un intérêt historique : montrer les occupants américains odieux ou ridicules, en 1945, c'était s'opposer à la reprise en main idéologique et culturelle du Japon par les Etats-Unis (c'est d'actualité...) et du coup la censure a empêché la sortie.
Côté cinéma, c'est moins bon : Kurosawa a voulu ajouter des choses au film de 1943, les personnages sont plus complexes, mais malgré quelques scènes remarquables (le combat en public, et surtout la très belle fin) ça a un goût de réchauffé.