Une belle transcription de l'univers d'aventures romanesques et drôlatique de Gu Long
L'histoire
Soupçonné de s'être enfui avec le secret martial de son clan, un couple est assassiné et l'un de ses deux enfants enlevé par le dit-clan. L'enfant restant est sauvé par son oncle mais sera bien vite récupéré par une bande de brigands. Ceux-ci décideront d'élever l'enfant avec leur science de l'art du vice, laissant l'oncle à demi-mort aux mains d'un étrange médecin. Quinze ans plus tard, le temps des règlements de compte semble avoir sonner...
Le film
Bien qu'il ne m'ait pas semblé le voir inscrit au générique (ré-édition IVL), il est évident qu'on est là en présence d'une des nombreuses adaptations (peut-être la première, au moins sur grand écran) du très célèbre "Handsome Siblings"/"Remarquable Twins" écrit par Gu Long quatre ans plus tôt (en 1967). C'est sur cette même histoire que Choh Yuen basera également son
"Proud Twins" en 1979. Mais contrairement à son cadet de 8 ans, la présente version est axée sur un tout autre principe d'adaptation : là où Choh Yuen se focalisera sur le coté farceur du personnage principal et l'exploitation de quelques passages pittoresques marquants du roman original, produisant ainsi un film de simple divertissement, Huang Feng (scénariste et assistant-réalisateur) semble s'être appliquer à représenter l'histoire dans sa globalité. Non pas qu'il y ait retranscrit à la lettre l'ensemble du complexe roman original, mais il a réussi à en conserver la trame principale et à en faire ressortir l'essentiel du coté aventureux par une organisation du récit pour une fois presque limpide (càd, ne laissant paraître ni trou ni raccourci et sans se fourvoyer dans l'anecdotique, écueils pas toujours évités chez Choh Yuen). Qui plus est, il a eut la bonne idée (reprise dans
"Handsome Siblings", autre adaptation datant de 1992) d'altérer le sexe de certains personnages afin de reproduire la composante romantique qui aurait autrement manqué au tableau mais sans pour autant multiplier les caractères et les intrigues. A noter que ce choix d'adaptation plus proche du roman tient aussi probablement à l'époque de production et aux deux principaux responsables, Yen Chun (le réalisateur en titre) et Huang Feng pouvant être catalogués comme appartenant à "l'ancienne école" (celle plus littéraire où le récit primait), par rapport à un Choh Yuen, cinéaste de la même génération mais ayant rapidement pris des penchants plus modernes dés que les moyens se présentaient et pour lequel l'image et ce qui en ressortait semblait parfois d'une importance supérieure. A titre d'exemple, "Proud Twins" sera ainsi tourné exclusivement en studio, créant cette fameuse "magie du cinéma" en exploitant au maximum ses décors "SB trade mark". Cela donnera lieu à de compositions quasi-picturales (une de ses marques de fabrique) qui sont certes admirables mais parfois un peu étouffantes. Par opposition, "Jade-faced Assassin" sera autant que possible tourné en extérieurs (un cadre normal pour la formation "mainland" classique de Yen Chun), ce qui lui donnera un aspect beaucoup plus aéré en même temps que d'une âpreté réaliste cadrant mieux avec son orientation dramatique. Pour conclure ce petit comparatif "Proud Twins"/"Jade-faced Assassin", disons que la présente adaptation se montre probablement la moins "commerciale", celle de Choh Yuen se résumant finalement à un honnête divertissement mais au récit un peu trop épisodique, principalement au service de sa super-star Alexander Fu Sheng.
Autre caractéristique particulière au film : son ambiance tirant résolument vers le western. Autant par son choix de décors sauvages (prairies arides, montagnes et canyons), certaines scènes comme celle du début évoquant carrément une classique attaque de convoi (avec la flèche à plume plantée dans le montant du chariot, s'il vous plait...) ou encore la bande sonore et ses accords rythmiques de guitare, les références au genre ne manquent pas. C'est cette même ambiance "western" que l'on retrouvera justement en plus poussé dans le remarquable
"The Fast Sword" que Huang Feng réalisera la même année en son propre nom, une fois passé à la toute nouvelle Golden Harvest de Raymond Chow. De là à imaginer que ce "Jade-Faced Assassin" a pu lui servir d'école ou d'expérimentation... La similitude dans la mise en image des scènes d'actions de ces deux films permet en outre de supposer que la réalisation de ces dernières lui serait en partie revenue, le partage en la matière étant courrant et Yen Chun n'étant pas par ailleurs un spécialiste du genre martial. Mais bon, c'est peut-être là beaucoup m'avancer (si seulement il m'était donné de pouvoir interviewer mon cher Huang Feng...^____^).
Et puisqu'on parle scène d'action, que les amateurs se rassurent : bien que plus axé récit que visuel comme précisé plus haut, on trouvera fort heureusement dans ce "Jade-Faced Assassin" de nombreux combats, conformément à l'histoire originale. Ils sont ici principalement exécutés à l'épée et se révèlent d'un bon niveau, les chorégraphies déployées parvenant à dégager de belles sensations malgré des acteurs pas forcément martiaux à la base. Malheureusement, il m'a été impossible de savoir qui en fut le chorégraphe (rien au décidément très pauvre générique de la ré-édition IVL). J'ai bien essayé d'apercevoir quelques têtes connues parmi l'équipe de cascadeurs, en particulier celle de ce bon vieux Samo étant donné l'époque et le style (il était à la SB jusqu'en 1971, avant de passer à la GH en même temps que Huang Feng, notamment pour ce fameux "The Fast Sword") mais ça n'a rien donné... A noter par ailleurs une jolie scène d'auberge, assez courte mais qui n'aurait pas dépareillé dans un
"Dragon Inn" ou un
"Fate of Lee Khan" et mettant en évidence certaines similitudes assez courantes entre le cinéma de Huang Feng et celui de King Hu (à ce titre on pourrait aussi s'amuser à comparer les personnages de leurs aventures ou par quels mêmes acteurs ils ont pu les faire incarner comme Shih Chun, Angela Mao, Hu Chin, Pai Ying ou Samo Hung). Dans le genre, voir également la belle et riche scène analogue de
"Crimson Charm" (1971) avec Chang Yi et Ivy Ling Po qui sera la première réalisation en titre de Huang Feng en même temps que son adieu à la Shaw Brothers. Pour le reste, on pourra apprécier la discrétion d'une réalisation sans esbrouffe (ce n'est pas un film de star, ni devant ni derrière la caméra) mais manifestement maîtrisée, sachant instaurer l'ambiance pour laisser le spectateur libre d'entrer dans l'aventure à sa guise.
Et coté interprétation, c'est la même puissance de la modestie qui fait effet avec des acteurs rendant parfaitement des rôles à leur mesure. A retenir en particulier une Lily Ho assurant la profonde duplicité de son personnage avec une aisance déconcertante et l'immense Ku Feng dans un beau rôle dramatique d'oncle protecteur auto-sacrifié. Mais on repense aussi facilement à l'immanquable Fan Mei Sheng en pur personnage truculent des fleuves et des lacs, à l'aristocratique Kao Yuen découvrant sa propre histoire, à la très mimi Pan Yingzi et finalement à tous les autres tant leur caractère humain ressort ici tout particulièrement. A noter avec regret que ce film constituera dernière réalisation de Yen Chun, contraint d'abréger sa carrière pour cause de problèmes cardiaques.
Verdict
Avec son récit fin et équilibré, sa mise en image volontairement modeste, ses combats de bon niveau et son petit ton "western" plutôt bienvenu, voila une très belle transcription de l'univers d'aventures romanesques et parfois drôlatique de Gu Long. Le genre de wuxia-pian qui devrait plaire au plus grand nombre, y compris aux non-amateurs du genre en général. Et accessoirement, il peut toujours s'avérer bien rafraîchissant de visionner aujourd'hui un ce ces films "à l'ancienne", de ceux qui avaient le charme de savoir raconter sans s'la raconter...