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top 100: #75
L' Ile Nue
les avis de Cinemasie
4 critiques: 4.62/5
vos avis
30 critiques: 4.04/5
Savoureux exercice de style rythmé par une musique extraordinaire.
Il faut reconnaître que l'incroyable exercice de style opéré par Shindo évoque à maintes reprises le cinéma muet. Mais il s'avère davantage silencieux dans la mesure où il n'y a tout simplement aucun dialogue, à contrario d'une majorité de films muets accompagnés de pancartes textuelles. Ici, Shindo nous invite à suivre une famille de paysans et leur dur labeur quotidien, à travers tout un panel d'émotions, seule forme de communication avec le spectateur. C'est là aussi où le bas blesse puisque ce cinéma, silencieux, logiquement muet, aurait pu aller encore plus loin. Ces émotions ne m'ont pas paru assez appuyées, subsiste alors une trop grande distance d'appréhension entre les émotions des protagonistes et mon regard de spectateur, critique ou non. En revanche,
L'île Nue arrive à être absolument extraordinaire, par petites touches, à des moments bien précis. Extraordinaire pour la beauté définitive de ses images, ses panoramas, la justesse des placements de caméra et surtout extraordinaire pour sa musique, lancinante et entêtante; à mon sens la plus belle jamais composée pour le cinéma nippon classique.
Simple mais jamais vu
Rien n'est plus complexe et élaboré que la simplicité. Car l'Ile Nue est d'autant plus beau qu'il ne claironne pas sur tous les toits son expérimentation. Son audace, c'est de saisir à la volée les gestes quotidiens, les émotions ordinaires: joie, fatigue, lassitude, rage devant la mort. Et c'est aussi son scénario à la fois rudimentaire (répétition des gestes, enregistrement quasi-documentaire du travail journalier) et mythologique (une version insulaire sur grand écran du Mythe de Sisyphe). Chaque son est naturel et rudimentaire (vagues, bruit de rames, choc des pas sur le sol, vent heurtant les herbes, eau qui se déverse) mais pourtant d'une grande richesse émotionnelle. La réalisation semble évidente et sans effets (le dyptique plan fixe/travellings suivant les déplacements des personnages tout juste parsemé de caméras tanguant au rythme des barques) alors qu'elle est très réfléchie: l'émotion des personnages est d'autant plus poignante qu'elle est filmée à distance, la caméra est attentive à des détails tels que les pieds filmés en gros plan, la louche déversant l'eau sur les plantes, les viages des personnages et leurs sentiments. Les vues amples de l'ile (le superbe et long travelling panoramique d'ouverture entrecoupé de plans sur la terre et les paysans) et les nombreux plans panoramiques replacent le dur labeur des personnages dans un contexte de lutte vaine contre une nature qui au final aura toujours le dernier mot. Kaneto Shindo réussit à captiver le spectateur avec des plans d'aller-retours d'une vague sur une plage alors qu'un oursin flotte, un travelling suivant la course d'un enfant vers le rivage, un plan montrant l'effort pour amener de l'eau sur des hauteurs. La musique joue superbement sur l'idée de répétition: presque toujours, c'est le meme et superbe thème qui revient mais exprime des émotions différentes en fonction de l'instrument qui le joue (qui va de la flute à la superbe voix de cantatrice en passant par des violons symphoniques). Le film est rythmé par des plans de musiciens vetus de masques traditionnels rythmant l'oeuvre de la nature par leurs roulements de tambours. Et quand le film se déplace vers la ville ou le télésiège, il retrouve le burlesque originel du cinéma muet (mais la scène de l'arrivée des enfants pour les funérailles évoque aussi Chaplin). Car ici le dialogue est inutile: les visages des personnages suffisent à faire passer leurs joies, leurs hésitations, leurs déceptions, sans jamais verser dans la dramatisation. Une gifle, le cri de lassitude d'une femme face à la nature sont d'autant plus poignants qu'isolés par la bande son.
On a un pied dans le jamais vu, le hors norme mais dans le meme temps près des origines du cinéma: un cinéma muet où la musique, le son, les visages priment. Et cette audace dans le retour aux sources du cinéma a eu au moins un brillant héritier: le Suwa de M/Other et son cinéma simple et neuf dans un meme mouvement. L'émotion de l'ordinaire des instants quotidiens a trouvé dans le cinéma japonais une ile accueillante pour un bon bout de temps.
Esclaves de la terre
On dit souvent qu’au cinéma, simplicité rime avec beauté et pureté. L’adage se vérifie ici admirablement : Shindo ne s’embarrasse d’aucun dialogue pour décrire la vie harassante de 2 paysans et de leurs 2 enfants qui ont eu l’idée saugrenue de s’isoler du monde en allant cultiver une île déserte où l’on ne trouve pas le moindre atome d’eau douce. La force principale du film vient de sa forme, à commencer par ses magnifiques images (le plan d’ouverture est un splendide survol d’hélicoptère du caillou entouré d’eau), mais également sa musique de toute beauté qui féconde l’image comme l’eau féconde la terre. Avec ses 2 éléments réunis harmonieusement, plus besoin de paroles, on est tout simplement envoûté.
A travers les scènes répétitives de la vie quotidienne, Shindo réussit l’incroyable pari de transformer les porteurs d’eau en gladiateurs des temps modernes, et l’escalade des collines de l’île en véritable épreuves épiques. Si la femme craque à un moment donné, c’est probablement parce qu’elle ne ménage pas ses efforts physiques, en faisant parfois plus que son mari ; mais devant l’obstination de ce dernier, elle finit par se résigner… Hymne à l’abnégation, au courage et à la vie, L’île Nue ne fait que montrer des gens travaillant corps et âmes uniquement pour subvenir à leurs besoins, mais le fait si bien qu’elle prend immédiatement une dimension universelle, et surtout hautement tragique lorsque les paysans se rendent compte qu’ils ne sont pas récompensés de leurs efforts, mais qu’ils ne peuvent malgré tout faire autrement que de continuer leur tâche herculéenne jusqu’à l’épuisement final : la mort.
Le temps infini du labeur
primitif, insensé, éprouvant, monstrueux... primordial, pictural, symphonique, gigantesque : humain.
L’ile nue est une expérience de cinéma unique et primordiale. Un film sans parole qui laisse l’esprit du spectateur voguer librement sur une musique cyclique sublime et un cadre naturel hors norme pour l’éprouver petit à petit et subitement le saisir en plein cœur dans le silence le plus total.
A titre d’explication, mon esprit s’est tout d’abord évadé, les yeux perdus dans la beauté paisible de l’image et du rythme immuable de leur tâche insensée. J’ai pensé un instant que ça allait être long, très long. Puis c’est la claque au propre comme au figuré, et bientôt le film se termine et là c’est tout le contraire : c’est déjà fini !
J’aurais voulu rester encore et encore spectateur de la beauté qui les entoure, de leur vie si parfaitement mise en scène pendant des heures et surtout les voir s’en sortir et finalement triompher. Mais c’est la vie, continuer son chemin coûte que coûte. Peu importe les épreuves et la finalité...
L’île nue prend aisément la place du plus beau film asiatique que j'ai vu juste devant Ivre de femmes et de peinture et Les démons à ma porte. Une expérience simple, minimale et puissante, très puissante.
Merci Wild side et merci à vos critiques sans lesquels je serais passé à côté d’un autre chef d’oeuvre. Un de plus au pays du soleil levant.
No comment...
Un film troublant et sans aucun dialogue dont l'image est montrée dans toute son expressivité, sans avoir recours à aucun artifice (quitte à laisser vivre les plans dans la longueur). Sans oublier la musique (superbe mélodie de
Kikaru Kayashi) en parfaite harmonie à l'ambiance du film et qu reste longtemps dans la tête. Le résultat laisse sans voix.
Un très beau film.
La beauté nue
L'épreuve cinématographique la plus éprouvante qu'il m'ait été donné de vivre, ce n'est pas Ichi the killer, ce n'est pas la Horde sauvage, Funny games de Haneke, non! non! non! C'est l'Île nue de Kaneto Shindo. Au brod des larmes, ce film m'a maintenu dans un état incroyable de tension, de contemplation, d'attente anxieuse, de ravissement pur et de tristesse incompréhensible!
Dire que ce film atteint la perfection est trivial, tout simplement parce qu'on ne sait pas vraiment comprendre ce film, parler de ce film: après l'avoir regardé, j'étais complêtement incapable de parler, tant dire un mot me semblait absurde, incongru (toutes mes grandes expériences cinématographiques me font cet effet-là; après avoir matté Zu ca a été la même chose, après Solaris, après bien d'autres: toute parole est inutile, il n'y a que le sentiment qui compte, la sensation pure). Le dénuement extrème de ce film, sa franchise radicale, sa nudité, donnent à voir quoi? l'humanité pure, le sentiment pur. Ce ne sont plus des acteurs, des décors, mais la douleur, la peine, la joie que l'on voit à l'écran, sans intermédiaire, dans une communion douloureuse comme la chair à vif. Rien de plus simple, rien de plus compliqué. L'Ile nue est un film rare, une expérience traumatisante mais indispensable.
Le triomphe de la poésie
À la fois évocation âpre de la misère humaine et saisissant objet expérimental,
L'Île Nue se range sans conteste parmi les classiques du cinéma japonais de son temps. En bannissant tout dialogue de cette histoire de paysans vivant en autarcie, en construisant son film tel un leitmotiv fataliste, Kaneto Shindo a laissé la poésie transcender le réalisme. L'authenticité des décors et des situations (le couple transportant son eau puis arrosant ses modestes plantations n'est autre qu'une des composantes du labeur quotidien) ainsi que la dureté de ces dernières (rudesse du travail, manifestation inévitable de la maladie et de la mort) ne forment en définitive qu'une robuste cuirasse derrière laquelle fleurit un remarquable travail de composition. Composition du scénario (tout le déroulement repose sur le concept de répétition, y compris l'entrée en matière et le final, étroitement liés), composition de la photographie (phénomène de répétition là aussi, avec une alternance de plans statiques et de travellings sur un montage haché qui évite au film l'écueil de la contemplation), composition de la bande-son (une fois n'est pas coutume, idée de répétition dans le thème principal récurrent et dans la manière d'enchaîner les bruits ordinaires des vagues, du vent, des pas et de l'eau qui s'écoule des seaux comme un cycle), tout rivalise de soin et d'audace sans jamais sombrer dans l'esbroufe ou le clinquant. Avec ça, on aurait pu craindre que l'aspect humain de l'œuvre en pâtisse. Mais malgré leur mutisme, les personnages expriment beaucoup, parfois via des réactions fortes (la gifle du mari, la crise de larmes de la femme après la mort de son fils), parfois dans de simples expressions, aussi lourdes de sens soient-elles. Certaines scènes à base d'émotion brute comme celle de l'enterrement se révèlent en outre particulièrement poignantes et démontrent que
L'Île Nue renferme une belle sensibilité au-delà de sa portée esthétique. S'il fait preuve de quelque hermétisme sur la longueur, ce film innovant, foisonnant et sophistiqué reste unique en son genre. Le point d'orgue de la carrière de Shindo avec
Onibaba.
Tendancieux?
A l'image de l'îlot (rocher jadis verdoyant), le film s'étire dans un temps passé sans cesse renouvellé, victime de l'érosion, il devient vite le désert absurde de la condition humaine.
Si l'idée était intéressante, le manque de sens critique, l'absence de paroles, et surtout le trop plein de complaisances servis ici par une musique tendancieuse et manipulatrice, en font un film fleurtant dangereusement sur la vague d'un national-socialisme plus proche d'une Leni Riefensthal que d'un réel documentaire.
L'enfer au paradis
Magistral essai minimaliste sur la condition humaine.
Shindo explore la thèse comme quoi la vie ne serait qu'éternel recommencement de toujours les mêmes faits et gestes.
En résulte un métrage muet à l'approche quasi documentariste, où des détails anodins prennent une grande importance. Les références répétés à Dieu et la mise en image d'un paradis dantesque terrestre font de cette oeuvre une magistrale leçon de cinéma et une expérience unique pour tout spectateur bienveillant.
Le film nu.
"L'île nue" de Shindo Kaneto est une mise en pratique de ce que j'ai été amené à penser et que je penserai certainement toujours, à savoir que le film parfait, en théorie - et j'insiste sur ce point : ceci n'est que théorique -, est un film dépourvu de tout texte (ou de tout mot), donc un film consistant en une succession d'images - prenant corps au fur et à mesure - uniquement (tout ceci est d'ailleurs très ironique quand on pense que Kaneto Shindo est grandement réputé pour ses scénarios). Mais cela sans pour autant négliger le montage. Parceque le but, c'est de s'éloigner le plus possible de la littérature. Et ce qui caractérise le cinéma, dans ce cas, c'est le montage. Le rythme des images. Le remplaçant de la ponctuation, si on veut. Le film de Kaneto est, de ce point de vue, un exemple. Car la finalité de la chose - et c'est le cas avec "L'île nue" -, c'est qu'on doit voir du texte à travers les images ; que celles-ci communiquent avec le spectateur. C'est un peu l'inverse de la littérature où l'on peut s'imaginer une pièce d'une maison quand l'auteur la décrit. Parceque là, on voit les choses, mais on doit les interpréter avec des mots. Comme ce que nous faisons tous ici-même.
"L'île nue" est, en quelque sorte, un film qui a contribué à rendre les critiques cinéma nécessaires.
A voir et revoir
Comme quoi les contraintes formelles du cinéma expérimental n'empêchent pas un réalisateur de génie de produire un chef-d'oeuvre.
(critique revue après avoir revu le film, dont je n'avais oublié ni les images ni la musique en trente-six ans)
Sublime tour de force
"L'île nue" constitue une extraordinaire (dans les deux sens du terme) œuvre de patrimoine international.
Long-métrage muet de 1960 (!) en noir et blanc, elle parvient à captiver grâce à une sublime épure narrative.
Aucun dialogue ni monologue. "Juste" des borborygmes, des bruitages naturels ou provenant de la ville (chant festif, cariolle...) par exemple.
L'absence de carton caractéristique de la période du muet fait également de ce film un témoignage des plus singulier (unique ?) de l'histoire du septième art.
La dramatisation du récit, tout en retenue sans être entravée, est l'autre point fort. La vie de cette famille, bien que difficile, n'est jamais montrée sous un angle misérabiliste.
On tient un joyau d'une fabuleuse pureté et intelligence.
Disponible en dvd vostfr chez Wild Side vidéo en deux éditions : l'une simple sans bonus, l'autre accompagnée d'un beau commentaire audio (sous-titré français) quasi-ininterrompu du réalisateur et du compositeur (le premier intervenant plus que le second).
28 septembre 2020
par
A-b-a