Un prologue terrifiant. Un sommet de la Shochikû.
Première partie d'une saga qui s'annonce comme extraordinaire de part son ampleur et ses thèmes abordés, La condition de l'homme est l'un des plus grands plaidoyers humanistes qui ai vu le jour sous l'ère Shochikû, étalant autant d'horreurs que d'aberrances humaines sur près de 3h30. Cette entrée en la matière démontre aussi tout le talent de Kobayashi à décupler la hargne de ses protagonistes, notamment un sidérant Nakadai Tatsuya dans la peau d'un malheureux employé obligé de faire régner l'ordre auprès de ses salariés chinois malgré lui, sous peine de représailles des hautes instances.
On peut qualifier La condition de l'homme de fresque au sens le plus noble du terme tant l'entreprise épate par sa reconstitution parfaite des conditions de vie des "prisonniers" chinois dans le sud de la Mandchourie, étendue désertique et aride accentuant encore d'avantage le contexte de pression et de répression. Culminant au sommet des plus grandes oeuvres du cinéma japonais d'époque, le monument de Kobayashi n'hésite pas une seconde à verser dans l'impitoyable (séquences de tortures véritablement épuisantes sur le pauvre Kaji) quitte à faire passer les moments dits "tranquilles" pour des comptines douces et niaises tellement le contraste est important entre le bonheur et le malheur des protagonistes. La relation entre Kao et une des prostituées a beau être déchirante d'utopie, on ne peut que la trouver insipide au vu du chaos ambiant. De même que celle qu'entretien Kaji avec sa femme qui trouvera son summum uniquement dans ce "final" sidérant, le reste n'étant que broutille.
Le point le plus important du film demeure dans cette composition intéressante et intelligente de personnages aux destins et ambitions radicalement différents. Tandis que Kaji se cantonne d'un rôle forcé de maton, il n'hésitera pas une seule seconde à tenter d'améliorer la situation de ses "protégés" malgré les menaces de sa hiérarchie, de même que son ami Okishima qui abandonnera tout simplement son poste en fin de métrage pour partir ailleurs. Avant cela, on y trouvera les "classiques" exécutions totalement gratuites comme il était coutume à l'époque, au sabre humidifié afin de mieux trancher les chaires, s'il vous plaît, poussant Kaji à la démence et à sa propre remise en question face aux cadavres décapités qui jonchent de plus en plus les terres du camp. A noter ce contraste terrifiant entre le bourreau qui s'amuse à apprendre à un bête soldat comment "mieux couper" avec un sabre (tout en ricanant) et celui d'un homme complètement perdu devant tant de pertes humaines inutiles. Le physique particulier de Nakadai permet en effet à son personnage d'exprimer tout un panel d'émotion.
Attention monument du cinéma mondial!
(critique concernant le film dans son ensemble)
Ce film fleuve (à voir impérativement dans l'ordre et dans sa totalité) est une incontestable réussite. Chacune des parties a une gande cohérence interne et chacune des parties sont cohérentes entre elles. On a souvent reproché à Kobayashi de ne pas avoir la meme compassion que Kurosawa pour ses personnages mais ce n'est pas tellement son but. Car sa fresque renvoie tout le monde dos à dos. Le héros, qui est un chef de camp humaniste, est perçu comme laxiste par ses supérieurs et comme complice du système par les prisonniers car les avancées qu'il obtient leur semblent insuffisantes. Devenu simple soldat, son image de rouge le mettra dans le collimateur de toute l'armée. Les scènes de Mandchourie sont atroces notamment l'une d'elles qui reste gravée à jamais dans les mémoires: les soldats boivent tandis que dans la salle adjacente on entend les cris des prisonniers de guerre torturés. En fin, fait prisonnier par les Russes, le sort du héros ne sera pas meilleur: honni par les Japonais à cause de ses sympathies communistes, les Russes le voient comme un jaune.
Et c'est cette absence de manichéisme qui fait tout le prix du film: renvoyer dos à dos tous les personnages en montrant la limite de leur posture (le héros sera obligé par moments de transiger avec ses idéaux pour survivre) est très courageux, surtout concernant cette période historique. Surtout, le film a le mérite de poser cette question: Peut-on rester humaniste dans un contexte où la déshumanisation est érigée en norme?
Lorsque les personnages sont forcés de se battre malgré la reddition, c'est toute la culture japonaise du sacrifice qui se trouve dépecée. Masaki Kobayashi poursuivra son attaque frontale contre les traditions japonaises dans Hara Kiri et Rebellion qui s'attaqueront rien de moins qu'au bushido. Ce cinéaste est moins connu que Kurosawa ou Mizoguchi car son oeuvre est moins régulière en qualité que ses derniers. Elle comporte peu de pépites mais quelles pépites (Rebellion, Human Condition, Hara Kiri, kwaidan)! Et ces 4 films sont considérés comme indispensables par beaucoup de noms du cinéma américain des 30 dernières années (Scorcese, Milius, Coppola, Spielberg).
La Condition de l'Homme est à voir impérativement car il appartient au club très fermé des films capables de rivaliser avec la densité romanesque (la porte du paradis, Barry Lyndon).
Petit précis de management en temps de guerre
La première partie de ce long film sur la guerre contient déjà tous les thèmes qui y seront abordés, des thèmes riches, puissants et oscultés en profondeur. Au départ, Kaji n’est qu’un jeune étudiant idéaliste auteur d’une thèse généreuse sur l’amélioration des conditions de vie des prisonniers chinois de Mandchourie. Envoyé avec sa femme dans un camp de travail forcé pour y appliquer ses idées tranchant net avec l’autoritarisme ambiant de ses compatriotes, il va découvrir petit à petit toute la différence entre la théorie et la pratique, toute la difficulté à convaincre, à persuader du bien fondé du changement de rapport entre prisonniers et matons, avant de se voir donner des responsabilités écrasantes (une équipe de prisonniers fraîchement débarqués, ainsi que la communauté des filles de joie) qui remettront profondément en cause ses principes : perçu comme un quasi-traitre par les japonais, il est tout autant rejeté par les chinois qui ne voient en lui qu’un ennemi malgré la main qu’il leur tend.
La force du film de Kobayashi vient du fait qu’il met ses personnages face à leurs responsabilités d’êtres humains, face à leur liberté de conscience. Après moultes désillusions, Kaji durcit ses positions, réduites au plus petit dénominateur commun entre la réalité qu’il subit et ses grandes idées de jeunesse, en prenant partie pour l’opprimé face à l’oppresseur, mais sans se laisser berner. Les prisonniers chinois hésitent, eux, à s’évader d’un camp où on leur promet une vie un peu meilleure contre leur soumission : peut-on trahir ses engagements pris d’homme-à-homme, même s’il est ennemi ? Quant à Michiko, la femme de Kaji, elle illustre à elle toute seule l’une des plus vibrantes preuves d’amour envers son mari : croyant bien faire en se transformant en femme de ménage qui n’aborde surtout pas les sujets qui fâchent, elle finit par réaliser que c’est au contraire en partageant les souffrances quotidiennes de son époux qu’elle l’aidera et lui prouvera combien elle l’aime. Elle deviendra ansi une sorte d’idéal féminin pour Kaji, qui ne va cesser de la voir s’éloigner physiquement de lui au fil des épisodes suivants, mais qui va paradoxalement entrer en fusion avec son esprit pour le guider à travers un monde devenu fou.
Le premier épisode est aussi pour moi le plus beau et le plus riche ; impossible de ne pas s’identifier au parcours initiatique de Kaji et de se demander quels auraient été ses choix propres dans des circonstances similaires, afin de conserver sa dignité d’Homme tout en restant vivant… Bouleversant, tout simplement.
Chef-d'oeuvre du film humaniste
Avertissement: il faut voir La condition de l'homme en entier et dans l'ordre, car c'est quasi un seul et unique film et ça nuirait à sa force que de n'en voir qu'un seul épisode ou dans le désordre.
La condition de l'homme est l'une des plus grandes fresques du cinéma et paradoxalement, l'une des moins connues du fait de sa durée totale (9H43min) qui peut paraître rebutante. Pourtant avec un peu de motivation, c'est le genre de film qu'il faut voir au moins une fois dans sa vie car c'est l'un des plus grands plaidoyers humanistes jamais réalisé. Le livre à la base du film contient une part d'auto-biographie, de même que Masaki Kobayashi a lui même été prisonnier durant la guerre, ce qui ne fait que renforcer la crédibilité du film. Dans son ensemble, le récit montre les idéaux humanistes d'un homme et de quelles manières ces idéaux sont constamment bafoués. Mais Kobayashi ne fait pas non plus de son héros un être "pur" car par la force des choses, Kaji sera forcé par moments de mettre de côté ses idéaux et d'agir en suivant son seul instinct de survie, laissant délibérément mourir femmes et enfants pour se sauver lui-même: ce qui rajoute une certaine richesse au personnage, évitant la caricature. Aussi, il faut saluer l'indéniable talent de Tatsuya Nakadaï qui (comme dans Hara Kiri) porte tout le film sur ses épaules et fait preuve d'une force incroyable dans son interprétation du rôle de Kaji. Au final, La condition de l'homme s'impose facilement comme l'un des plus grands chef-d'oeuvres classique du cinéma...
Le film est sorti aux éditions "les films de ma vie" dans un coffret VHS limité à 1000 exemplaires. Sinon, il reste les 3 épisodes édités en DVD toutes zones par "Image Entertainment".
26 janvier 2002
par
Alain
Du tragique de la condition humaine
Les fanatiques d'arts martiaux et de chambara connaissent sûrement Hara-Kiri et Rebellion ; les amateurs de fantastique ont peut-être Kwaïdan dans leur bibliothèque. Mais le grand oeuvre de Masaki Kobayashi, c'est cette incroyable fresque de 9 heures (trois films de trois heures, sortis entre 1959 et 1961), où triomphe dans son plus grand rôle Tatsuya Nakadaï (Goyokin, le Sabre du Mal, Ran...). 1è partie en 1940 en Mandchourie occupée : le héros essaie d'«humaniser » le fonctionnement d'une mine où travaillent des esclaves chinois et coréens. 2è partie : viré pour manque d'esprit patriotique, il rejoint l'armée où il subit un entraînement militaire proprement fasciste. 3è partie : à la guerre, ce soldat ordinaire est partagé entre l'envie de vivre et le renoncement.
Ce film est proprement hallucinant. Comme toujours chez Kobayashi, la mise en scène est au cordeau et le Noir et blanc d'une beauté irréelle, mais c'est le contenu qui est marquant : jamais on n'a aussi bien montré la difficulté à conserver une once d'humanité dans un environnement fasciste (1è et 2è partie) ou mortifère (à la guerre). Des scènes d'anthologie, il y en a quinze dans ce chef d'oeuvre, que sa grande dureté ne permet pas de conseiller à tous les spectateurs : la décapitation de l'ouvrier chinois, l'instruction, la famine, le final incroyablement onirique et indélébile (est-il encore vivant ou déjà mort, il est impossible de le dire...).
Le film est assez mal vu dans le Japon actuel car il manifeste des tendances communisantes et constitue une charge dévastatrice contre le militarisme et l'impérialisme nippon. N'ayez pas peur de la durée et plongez dans ce terrible voyage au bout de l'enfer.
un film démesuré...
le film de la démesure...
trop long, trop beau,trop tragique,trop d'émotions...
ce que je veux dire par la c'est que ce film-fleuve est comme une sorte de défi pour le spectateur:
il l'entraine devant tant de choses qu'on se demande si finalement tout ca n'aurait pas mieux fait d'etre racourci...
en effet "harakiri" est un choc par exemple.
"la condition de l'homme" est un choc aussi à sa facon,mais avec les 3, ca fait quand même trop...
en fait, c'est un film paradoxal:
c'est génial, parce que c'est mégalo et c'est imparfait,parce que justement trop mégalo....
mais ne boudons pas notre plaisir,on est en présence d'un chef d'oeuvre et d'un monument du cinéma,ca vaut bien de donner de nous même pendant ces près de 9h...
Conditionné
Adapté du roman de Junpei Gomikawa et enhancé de larges parts autobiographiques par le réalisateur, le film-fleuve que constituent les trois parties de "La Condition Humaine" est un regard acerbe posé sur la mentalité japonaise.
Dénonçant une nouvelle fois le côté obscur de son propre peuple, Kobayashi retrace ici leur comportement particulièrement intransigeant durant la Seconde Guerre Mondiale.
Le personnage principal est un jeune utopiste naïf, croyant pouvoir améliorer les conditions de travail et d'emprisonnement de prisonniers de guerre chinois. A moitié chinois lui-même, il est considéré comme un étranger, voire un traître par ses propres congénères et ses idées progressistes ne vont surtout pas aider son acceptation.
Cherchant à faire le bien, il sera également rejeté par les prisonniers chinois, qui ne voient en lui qu'un japonais.
Kobayashi ne connait pas de limites dans son dénonçiation : ses compatriotes y sont présentés comme des bêtes féroces sans aucune humanité, ne pensant qu'à leurs propres profits et abusant de leur situation de vainqueur (momentané). Perides, hypocrites, violents, plusieurs scènes clé témoignent de la cruauté de leurs actes et resterotn dans la mémoire comme autant de morceaux de bravoure. Un chien négligemment sacrifié pour prouver l'efficacité de l'installation éléctrique; le suicide d'un des personnages chinois; l'arrivée des prisonniers se ruant sur le peu à manger et la scène de la décapitation sont réellement impressionants.
Incomparable à d'autres réalisateurs, le film impressionne par sa maîtrise d'un tel projet monumental, son audace visuelle et narrative de son époque et la dénonciation osée de son pays. Il faudra attendre la fin des années '60s - et l'arrivée de jeunes réalisateurs, tels qu'Oshima - pour retrouver de tels brulôts féroces contre son propre pays; c'est dire à quel point ce film était en avance sur son temps et s'impose immédiatement comme un classique à découvrir d'urgence.