Réalisé la même année que le dixième opus des aventures de Tora-san, Home from the Sea demeure une œuvre au caractère solitaire fort, à des années lumières de la gaieté et du partage de sa franchise prolifique. Moins lié à une logique purement commerciale, malgré la présence d’un casting aussi prestigieux que populaire, Yamada Yoji réalise un film plus personnel qu’il n’y paraît. Situé sur l’île de Seto, aux environs d’Hiroshima et d’Onomichi (l’un des lieux fétiches d’Obayashi Nobuhiko), l’intrigue nous amène au cœur d’une petite famille de marins vivant du transport de roches. Le couple, Minko et Seichi, reçoit régulièrement la visite de Matsushita, toujours disponible pour tenir compagnie au grand-père et à la petite. Malheureusement, toute cette quiétude va rapidement laisser place à une amertume qui obligera Seichi, le commandant du bateau, à prendre une décision cruciale quant à leur avenir. Face à l’industrialisation de plus en plus féroce, le vieux chalutier ne sera bientôt plus assez suffisant, qui plus est lorsque son moteur est sur le point de lâcher : rester dans la région serait donc une erreur étant donné le manque de solutions pour contrecarrer le problème, les réparations du bateau seraient aussi beaucoup trop chères. Le couple décide donc de partir non loin de là, à Onomichi, pour s’habituer à cette ville/vie plus moderne qui sera bientôt la leur.
Immédiatement reconnaissable non pas grâce à la photographie de son fidèle chef opérateur Takaba Tetsuo ou à ces têtes qui ne nous sont pas inconnues, Home from the Sea est un film qui prend le temps de s’attacher aux choses même les plus insignifiantes. Grand cinéaste de la chronique et accessoirement humaniste à ses heures perdues, Yamada Yoji démontre ici combien il est difficile de quitter une région que l’on aime éperdument à cause de contraintes liées à la vie, au travail, dans un pur souci d’évolution naturelle. Sans avoir un regard rétrograde ou réactionnaire sur le monde d’aujourd’hui, le cinéaste utilise la chronique familiale comme prétexte à la dénonciation de l’industrialisation moderne, obligeant les plus pauvres mais également les plus reculés à faire de même, bousculant ainsi la stabilité durement acquise. Comme un vieux briscard à qui on ne la fait pas, Yamada, de par son propos, ne véhicule pourtant aucune lourdeur. On y sent comme une solitude et un agacement de plus en plus grand, comme un film rongé par des moments de silence qu’on ne connaissait pas jusque-là. Il est effectivement inconcevable de voir dans la saga Tora-san des plans de pure contemplation, comme les derniers clichés à prendre d’une région que l’on aime avant de partir.
Une tristesse et une nostalgie déjà palpables avant même que le sort de la famille ne soit scellé, plus touchantes encore grâce à la beauté du score de Sato Masaru et les images en scope de Takaba Tetsuo. Mais l’attachement du cinéaste pour ses acteurs, son autre famille, est bien-là, comme quelque chose d’inaltérable. On retrouve ainsi une Baisho Chieko touchante dans son effacement malgré son rôle de pilier nécessaire à la stabilité de la famille (elle fait aussi bien office de femme, de mère que d’ingénieure), un Atsumi Kiyoshi au grand cœur, philosophant sur la vie à la manière d’un Torajiro moins avenant, un Chishu Ryu campant le rôle du grand-père veuf, gardien des lieux faisant presque planer l’ombre d’Ozu, ami de Yamada Yoji et maître dans le filmage du « vide », un vide que l’on retrouve ici avec ces innombrables plans de nature, derniers clichés avant de déserter le terrain. Mais derrière cette apparence de cinéaste pépère, de cinéaste d’ampleur « classique » oserait-on dire, dans le registre du mélodrame, Yamada Yoji réussit à filmer les voyages en bateau avec un sens de l’épique parfois troublant : filmage serré sur le couple transportant la roche, découpage nerveux, musique de Kaiju-eiga, ralenti pour exprimer l’émotion suscitée par une chute de roches. Certes, ceci peut sembler ringard, après tout ce ne sont que de simples travaux, mais le film fait preuve d’une telle justesse qu’il faut être allergique au cinéma classique de Yamada pour trouver de quoi pester. Question d’affinités, peut-être…