Au départ aidé par la Shochiku qui produisit en grande partie son premier film Orange Road Express en 1978, le jeune cinéaste Omori Kazuki n’attendra pas bien longtemps avant de réaliser deux œuvres coup sur coup sous la houlette de la formidable Art Theatre Guild. Disciples of Hippocrates en 1980 puis Hear the Wind Sing la même année, deux films pionniers de la dernière ère du célèbre studio de production nippon plus connu sous le simple nom de ATG. Simple peut être au premier abord la forme de Hear the Wind Sing, film sur la jeunesse et le souvenir flou directement adapté de la toute première nouvelle du célèbre écrivain japonais Murakami Haruki (Kaze no uta o kike, 1979), qui sera plus tard adapté au Japon notamment par Yamakawa Naoto avec les beaux et étranges Attack on the Bakery et A Girl, She is 100 Percent en 1982 et plus récemment par Ichikawa Jun avec son très beau (mais aussi très dépressif) Tony Takitani. Pourtant, c’est par son absence de gros artifices formels que la narration particulière du film peut éclater et s’affranchir des lourdeurs possibles lorsque l’on tente d’adapter la littérature à l’écran. Le résultat n’en est pas moins brillant, affichant clairement son identité et la liberté qu’il revendique à travers le portrait d’une jeunesse en pleine société moderne, abrutie en partie par la puissance des médias, en particulier ici la radio, gratifiant le film de séquences teintées d’un humour irrésistible presque bébête : l’animateur de radio NEB contactant par téléphone le personnage principal (qui fait également office de narrateur) en direct est une de ces séquences accrocheuses fonctionnant grâce à son sens précis et rythmé du montage. A la manière d’un mixage radio, l’art de « marquer » l’inconscient du spectateur est réalisable ici par la simple force d’un montage d’images et de sons en parfaite concomitance avec l’esprit délibérément « jeune » donc « tendance » voulu par l’animateur affublé ici d’un hoquet en guise de signe distinctif, qui lui confie par ailleurs que la lecture est une forme d’isolement tandis que la radio est un produit moins cher qu’une télévision et plus petit qu’un réfrigérateur. Au secours.
La bande-annonce originale prévient le spectateur qu’il sera question de cacahuètes, de bières et de branleurs. Après visionnage, ce serait faire le tour un peu trop rapidement des ambitions du film. En premier, adapter l’œuvre de Murakami à l’écran n’est pas le pari le plus simple à réaliser dans la mesure où l’aspect narratif y est très poussé, la peinture du Japon contemporain tout aussi détaillé, et le climat particulier crée la fusion parfaite entre thématiques passionnantes et style impeccable de l’auteur. Mais lorsque sa première œuvre est confiée à un artisan travaillant pour la seconde fois avec le studio ATG, on peut dire que l’on nage dans la sérénité ou tout du moins dans un produit à mille lieux des adaptations romanesques inodores et sans saveur particulière. De l’adaptation pour l’adaptation. Pas question ici, le film brassant les thématiques liées à la jeunesse comme l’écoute de trente-cinq tours rock n’ roll playa (California Girls des Beach Boys), les virées nocturnes ivres en bagnole, la sexualité, les dédicaces en radio, les confessions au bord de l’eau, mais le style opéré, marque de fabrique à la fois légère, onirique et contestataire fonctionne ici pour tenir le spectateur en haleine. Hear the Wind Sing s’autorise même quelques poussées formelles audacieuses notamment dans son introduction, où la caméra subjective n’est plus qu’une simple méthode de mettre en scène une histoire, mais davantage un procédé narratif à part entière se rapprochant du « je » narrateur d’un roman ou d’une nouvelle. Un plan séquence en vue subjective zigzagant sur les routes mal éclairées en guise de générique d’introduction est du même calibre, à la fois virtuose sur le plan formel et très proche de ce que voit ou perçoit le narrateur et son acolyte, alors ivres au volant de leur voiture.
Très complet sur le plan formel malgré une approche qui paraît au départ sage, le film n’en oublie pas ses fondements : contexte d’une époque où les jeunes sont nostalgiques (les vieux tubes rock playa), pleins d’espoir même si les ambitions ne se résument à pas grand-chose de très concret, comme ce type rêvant de faire du cinéma, armé de sa caméra Super 8. Ils ont le temps, de toute manière. Le temps d’apprécier la vie quitte à prendre des risques et faire des doigts d’honneur aux lois et conventions du pays, les images d’archive de révolution étudiante en début de métrage nous le font rappeler, comme les souvenirs relatés avec un humour assez corrosif (un des personnages se rappelle des sixties, de la fille pas très belle qu’il aimait, de la « tête explosée » du président Kennedy, entre autres). Le trio de jeunes n’est pas non plus ce qu’il y a de plus politiquement correct, et ils s’en fichent. Par exemple, lorsque l’animateur de radio NEB lit une lettre écrite par une jeune femme condamnée sur son lit d’hôpital, faisant le parallèle entre ses chances de guérir et un match de l’équipe de base-ball des Giants, Rat demande à son ami s’il trouve cette lettre touchante, ce dernier répond alors par un « non » cinglant car dit-il, il supporte les Tigers. Il est pourtant le héros du film, l’homme présent pour une jeune femme au départ suicidaire, sans doute malade, qu’il rencontra le soir dans le bar de Jay. Mais le vent tourne, raconte aux gens ce qu’ils veulent bien entendre. Il les fait également rêver. Mais si toutes ces rencontres et retrouvailles, toutes ces aventures vécues le temps d’un retour à Kobe n’étaient au final que du vent ? Pour son second et dernier film produit par la ATG, Omori Kazuki aura dignement adapté Murakami en y apportant la patte caractéristique des films du studio. Et si l'oeuvre peut paraître terne, elle reste très souvent sublimée par des images tour à tour audacieuses et poétiques.