Une teuf entre potes
Farah Khan est une femme incroyable qui possède un talent vertigineux : c’est elle qui, depuis 15 ans, chorégraphie la plupart des scènes musicales marquantes de l’industrie cinématographique de Bombay, de
DDLJ à
Don en passant par
La Famille indienne ou
Kal Ho Na Ho. Débordant d’imagination et d’inspiration, elle convertit en ballets impeccables les plus belles mélodies en extirpant de ses acteurs le meilleur d’eux-mêmes dans un rôle – la danse – qui n’est pas forcément leur domaine de prédilection.
De temps en temps, Farah décide de la jouer solo. Elle ouvre son gigantesque carnet d’adresses, convoque les plus grands noms et s’improvise réalisatrice. Je dis bien « s’improvise », car Farah met avant tout en scène des ballets. Dans son 1er long métrage
Main Hoon Na (2004), chaque passage musical était un morceau d’anthologie, des plans séquences époustouflants du début à la magnifique scène onirique avec la jolie professeur. Mais en dehors de ces moments magiques, son film sonnait souvent creux, accumulant les facilités d’écriture et les poncifs.
Om Shanti Om n’échappe pas à ce qui semble s’inscrire comme une règle chez la Farah Khan réalisatrice : on privilégie l’aspect « fun », le plaisir immédiat découlant de la beauté des chansons, des décors et du timing parfaitement maîtrisé, au détriment d’une cohérence d’ensemble qui limite rapidement la portée de l’entreprise.
Après avoir démarré sur les chapeaux de roue en une plongée jouissive dans le petit monde très select du show-bizz indien des années 70, le rythme se fait subitement plus lent pendant au moins ¾ d’heure, le temps d’installer tranquillement les personnages : un figurant débordant d’énergie qui rêve de devenir une star (Shahrukh Khan, plus cabotin que jamais, s’est d’ailleurs entraîné dur pour pouvoir présenter des muscles saillants qu’on ne lui connaissait pas), une actrice au plus haut de sa gloire (Deepika Padukone, dont le visage empli de mystère compense les lacunes d’interprétation), et un producteur véreux (Arjun Rampal, bien plus convaincant avec les cheveux gris). Farah multiplie les références et les clins d’œil à 30 années de cinéma indien, que seuls les aficionados pourront relever.
L’intrigue embraye alors sur une vengeance d’outre-tombe mêlée au thème de la réincarnation pas franchement originale quand on se souvient de
Karan and Arjun (1995), avec un certain…Shahrukh. Par la suite, plutôt que de développer sérieusement ce choix scénaristique, Farah s’autorise une pause assez hallucinante d’environ 30 minutes où elle se fait littéralement plaisir, provoquant de facto le décrochage immédiat du spectateur : d’abord, une reconstitution laborieuse des Filmfare Awards, puis une stupéfiante scène chantée tout à la gloire de la « caste des acteurs » trustant les meilleures places de Bollywood. Le défilé ininterrompu de stars simplement invitées pour pouvoir dire « j’y étais » coupe court à toute tentative de crédibilité : on se sent comme étranger à la scène, comme un invité qui n’est absolument pas à sa place parmi cette constellation de noms. Après cette faute de goût manifeste, Farah a alors le plus grand mal à faire repartir l’intrigue jusqu’à son dénouement final et susciter l’adhésion, malgré un réel talent à filmer le coup monté contre le producteur véreux.
Un sentiment mitigé s’empare du spectateur à mesure que le générique final défile : on s’est certes bien diverti, on a applaudi les stars, on a apprécié l’appel en filigrane à un retour aux valeurs qui dirigeait le cinéma dans les années 70, mais il y a eu tellement à boire et à manger qu’on ne sait plus trop sur quel pied danser, un peu ivre et la tête qui tourne.
La parade monstrueuse
Difficile de dire du mal de cet énorme mastodonte du cinéma indien, plus gros succès de l'Histoire à ce jour. Une machine à broyer, incluant l'apparition de 31 superstars, ressuscitant près de 4 décennies de ce cinéma extrêmement populaire. Un bonheur pour tous les fans et ceux qui voudront le devenir. Un véritable jeu de pistes quant à deviner les dizaines de productions indiennes (mais également occidentales, dont "Singin' in the rain" ou "Phantom of the Opera") pastichées. Et LE King absolu, Shah Rukh Khan en absolue roue libre, se parodiant lui-même dans toute la première partie avant de re-conquérir pour la énième fois le cœur de ses nombreuses fans, ne serait-ce qu'en exhibant ses incroyables plaquettes de chocolat et en assurant la chanson générique de près de 10 minutes (!!) en seconde partie du film.
Au-delà de cette incroyable machinerie parfaitement huilée, la première partie prime largement au-dessus de la seconde. Drôle et enlevée, elle s'avère un parfait hommage à la période d'or du cinéma bollywoodien des années 1970; tandis que la seconde partie sert quasiment de métaphore de tout ce que ce cinéma est devenu de nos jours: une grosse machine mercantile calquée sur celle de Hollywood, où les stars et les images clinquantes importent finalement plus que l'histoire. L'intrigue est ainsi incroyablement insipide et ne convainc guère dans sa lourde histoire d'amants maudits ressuscités.