Tout comme Happy, j'ai d'abord vu OCEAN FLAME avant de me pencher sur le premier film de LIU Fendou. Les deux films ont pas mal en commun: la violence des rapports humains (surtout homme/femme), une certaine misogynie, un sens esthétique et l'ego sous jacent du réalisateur. Même si on se doute que celui ci ne doit pas être très facile à vivre, il faut reconnaître qu'il accouche à chaque film d'une oeuvre atypique, parfois rebutante par sa violence psychologique mais qui prend aux tripes et dont le souvenir ne s'efface pas, de vrais films d'auteurs en somme. GREEN HAT déconcerte par sa manière de passer à la trappe les 3 premiers protagonistes en peu de temps pour se focaliser sur une histoire à 3 bien différente. On reste donc un peu interloqué au moment de la conclusion mais sans avoir décroché un instant du film. Green Hat est quand même plus abordable que OCEAN FLAME, moins dur psychologiquement, et j'espère que LIU Fendou continuera à faire des films anti commerciaux, durement réalistes et humains car imparfaits.
Death / Love
Un vrai coup de cœur, comme je n'en avais plus ressenti depuis longtemps. Littéralement envoûté par l'égocentrique et terriblement misogyne "Ocean Flame" au Festival de Cannes 2008, je décide de m'attaquer au premeir film de Liu Fendou…et me retrouve face à l'œuvre d'un vrai artiste. Qu'on aimera détester…ou détester aimer; mais qui ne peut en aucun cas laisser indifférent.
Premier constat à la (première) vision de "Green Hat": le progrès de la mise en scène effectuée entre le premier et le second. Malgré la présence (déjà) de l'acteur Fan Liao et un sens certain de l'exploitation de l'espace, Liu est loin de la maîtrise formelle de son second. Du coup, on perd de vue un peu l'histoire, d'autant plus que Liu ose briser l'une des prétendues règles d'or de tout cinéaste: ne jamais changer de pôle identificateur en cours de route. Je m'explique: tout vrai réalisateur (je passe sous silence les milliards de produits vidéo commis par des tâcherons sans aucun talent) doit adopter un "point de vue" pour raconter son histoire; soit se focaliser sur l'un des personnages de son histoire pour faire "vivre" l'intrigue de l'intérieur à un spectateur et – surtout – lui permettre de s'identifier. Ca permet de garder une certaine logique (le spectateur découvre l'historie en même temps que son héros), de faire "rêver" son audience (et hop, je me glisse dans la peau de Bruce Willis et dézingue tout le monde sur mon passage), etc. Une "exception" à la règle serait de raconter une même histoire de différents points de vue, à la "Rashomon"; voilà l'exemple par excellence de tout ce qui reste "invisible", lorsqu'on ne poursuit qu'un point de vue.
La "rupture" la plus célèbre de cette règle d'or a été celle commise par Alfred Hitchcock dans "Psychose". Soit toute la première partie durant laquelle on se glisse ans la peau d'une blonde avant d'être violemment assassinée (l'une de mes pires "agressions" cinématographiques; je pense avoir inscrit le choc ressenti jusque dans la codification de mes gênes).
Ben, Liu brise cette règle. Allégrement. Sans se poser de questions. Il est aussi prétentieux que ça. (sans parler du fait, que dès le générique, il signe à nouveau son film comme étant "le premier de Liu Fendou" – un branleur, quoi !).
Soit une première partie (extraordinaire), où il nous fait glisser dans la peau d'un braqueur de banques un peu branque, mais hyper cool avant que tout ne parte en sucette. Le braqueur s'arrête pour téléphoner à sa petite amie, qu'il n'a jamais trompé en deux ans de séparation après qu'elle soit partie aux States…et voilà qu'il apprend (au cours d'une scène mé-mo-rable
Douce-amère, comme seul Liu ne sait les faire), qu'elle le plaque. Sans raison de vivre, il se suicide devant les yeux ébahis d'un pauvre flic, un peu con-con et à la vie tout aussi ratée.
Ce chavirement forcé d'un personnage à l'autre a pour conséquence un rejet (au moins inconscient) de la part du spectateur. On veniat tout jsute de se nicher au fond du personnage du braqueur, de l'accepter dans ses torts et travers et de l'avoir pris en pitié pour s'être fait plaquer…et voilà qu'il faudra endosser la peau d'un pauvre flic, l'ENNEMI du braqueur, qui n'a pas su empêcher le suicide du héros (soit NOTRE suicide en quelque sorte) et qui paraît de plus en plus minable au fur et à mesure du film.
C'est au moins à ce moment-là, que le gros des spectateurs lâcheront le film, dérangés, irrités par un "je-ne-sais-quoi", qui les gêne (le refus de changement d'identification).
Pourtant la suite vaut le coup d'œil – surtout après plusieurs visions; car l'intrigue est assez minimaliste, mais se dévoile de plus en plus à chaque nouvelle vision.
Le flic n'arrive plus à satisfaire sa femme. Il est trompé. Il découvre la relation et va s'y mêler…dans la position la plus pitoyable, qui soit.
La suite donne envie de rire, autant qu'elle est absolument terrifiante. Le mari, impuissant, est mis dans une incroyable position de voyeur, totalement ridicule (et ridiculisé). Comme ce sera le cas dans son suivant, Liu "punit" littéralement ses personnages; sauf que dans son premier, c'est l'homme qui "subit" (et les femmes passent, déjà, pour des salopes).
C'est extrêmement misogyne, mais comme dans son prochain, au-delà du masochisme ouvertement affiché de son réalisateur, on ressent une incroyable fragilité. Liu a peur des femmes. Il joue les gros bras, mais la férocité dont il fait preuve à leur égard cache mal son incapacité à les affronter directement. Cette fois, l'homme est impuissant, incapable de satisfaire la femme, qu'il aime. Dans "Ocean Flame", l'homme n'arrive à avouer son amour. Dans les deux cas, l'homme est incapable de prouver combien il aime en fait la femme…
Bref, les films de Liu sont l'œuvre d'un homme extrêmement torturé, qui trouve dans le cinéma un moyen de s'exprimer, de faire sa thérapie, de passer un certain message. Il le fait de manière extrêmement égoïste, ce qui aura pour résultat d'en rebuter plus d'un.
Voyeur, je me délecte personnellement de ses malheurs, à la fois dégoûté d'assister à sa propre mise en abyme et fasciné par la descente aux enfers d'un esprit torturé.
Un cinéma, qui me va droit sous la peau.