Difficile de rentrer dans ce film doté de longs plans séquences très peu communicatifs. A réserver aux inconditionnels de HHH et aux curieux.
Pourtant, on ne peut être que surpris par l'entrée en
matière de HHH: un long plan dans un train de banlieue sur
fond de hard-rock, pour l'auteur de films comme La Cité des
Douleurs, il y a de quoi se poser des questions... Mais
rapidement on déchante lorsqu'on découvre que la majeure
partie du film sera composé de scènes de groupes où tout le
monde parle en même temps de choses pas forcément
passionantes. Et le style HHH déconcerte une fois de plus:
dans sa recherche d'absence complète d'émotion pour
favoriser une approche de ses propos de la manière la plus
objective, la plus lucide possible, il filme des débats
autour d'une table complètement en retrait, comme si le
spectateur n'y était pas invité! Cela procure au choix une
impression de recul face aux évènements afin de mieux les
appréhender, ou bien une impression d'indifférence totale
devant ce triste spectacle, comme si nous n'étions
absolument pas concernés par le sujet...
Le thème développé avait cependant de quoi intéresser
beaucoup d'entre nous: un thème classique certes,
l'incertitude de la jeunesse face à l'avenir, mais qui
montre bien un certain état d'esprit de la société
taiwanaise actuelle. Désarroi, petites combines minables,
subites envie de tracer la route - de quitter le Sud - pour
des contrées lointaines où l'argent pourrait être au rendez-
vous (magnifiées par des plans de toute beauté sur un
paysage qui défile au gré des moyens de transport
empreintés, HHH n'hésitant pas à employer des filtres de
couleurs extravagants), ou encore projets foireux, tous les
jeunes le vivent ici, à commencer par Tête d'Obus, qui est
plus ou moins le personnage principal. Mais la recherche
formelle qu'a adoptée HHH est bien trop désarçonnante pour
accrocher véritablement, même avec toute la bonne volonté
du monde, et ces 110 minutes de Goodbye South Goodbye
peuvent devenir 110 longues minutes de souffrances et
d'attaques de paupières répétées...
Mouvement
Goodbye south, goodbye est une nouvelle tentative d'Hou Hsiao Hsien de trouver sa propre langue cinématographique pour représenter le Taïwan contemporain. Inabouti mais parsemé de moments de grâce, le film témoigne de son acharnement à se trouver une seconde manière, à brouiller les pistes à l'époque de sa toute fraiche canonisation par les festivals et la critique internationale. Outre la relative (re)mise en mouvement de la caméra, l'autre point notable de la partie contemporaine de Good men, good women était que la caméra s'était un peu plus rapprochée de l'héroïne du film. Comme si le fait de traiter l'individu plutôt que le groupe (couple, famille) induisait une nouvelle distance du cinéaste à son sujet. Avec ce film conçu autour du trio des tris acteurs principaux et de leur complicité, Hou Hsiao Hsien revient à un cinéma du groupe. Du coup, la caméra semble de nouveau revenir à distance. Associée à une photographie ne jouant plus sur des rapports binaires clair/obscur, ce choix produit un cadre où les points de focalisation du spectateur sont multiples. Alors que dans les passages intimistes les mouvements de caméra tentent de casser les points de focalisation possibles de la scène, de les déplacer. Tous les personnages du plan sont égaux devant la caméra. Comme devant un traitement prenant le contrepied de la linéraité et de la dramaturgie au risque parfois du longuet de l'embrouillé. Avec tout ce que ça peut impliquer concernant la vision de la société taïwanaise actuelle selon Hou, société où selon lui la seule culture est celle de la consommation. Soit une société où ce qui compte c'est la circulation: circulation d'information (les portables récurrents), dans l'espace proche (train, voiture, moto) ou mondial (le désir de partir à Shanghaï).
Ce qui compte, c'est le réseau (d'êtres, de communication, de transports) et l'être humain en tant que tel n'a plus de valeur. Le trio formant les trois personnages principaux du film hésite lui constamment entre accepter ces lois-là et tenter de s'y opposer. Car s'ils évoluent au milieu du réseau, ils incarnent une idée minimale des rapports humains ayant résisté à cette évolution-là. L'idée d'une aventure vécue en commun par exemple. Les "membres" du trio ont ainsi des buts antagonistes. Mais lorsque Kao annonce à Ying l'idée d'ouvrir un restaurant à Shanghaï, celle-çi est sceptique. Et quand Ying annonce à Kao son envie de partir aux USA rejoindre sa soeur, Kao dit qu'il n'a rien à faire là bas comme si pour lui c'était évident qu'il s'agissait d'un projet collectif. Ce à quoi Ying répond qu'elle ne lui a pas demandé de venir. De même, Kao, peut être à cause de l'héritage des rites mafieux, a un comportement parfois paternel vis à vis du reste du trio. C'est cette idée a minima du collectif, de l'humain dont Kao incarne une survivance qui va se crasher contre le Taïwan contemporain. Goodbye south, goodbye est d'ailleurs l'histoire de ses échecs, échecs dans ses rapports professionnels et humains aux autres, échec de son désir d'évasion. C'est qu'ici les personnages du trio ont de toute façon un but à court terme pour tenter de surnager dans ce monde-là mais pas de vrai objectif de vie moteur. Et que l'évasion est un objectif ambigu: volonté de fuir un certain environnement sociétal mais en même temps intention en droite ligne de cette société de la circulation. Les moments émotionnellement les plus forts pour les personnages (comme pour le film) sont quant à eux ceux où les êtres circulent (en train, en voiture, à moto). Filmés avec fixité créatrice d'un sentiment d'apesanteur et à l'abstraction accentuée par le superbe score de Lim Giong, ce sont des moments d'action pure, d'action sans but finalement synchrones du fonctionnement de la société dans laquelle ils vivent. Au final, le squelette des anciennes valeurs se révèle inadapté à l'époque.
Après cela, Hou Hsiao Hsien jouera encore la carte du contrepied avec des Fleurs de Shanghaï en huis clos et évoquant un passé historique lointain avant d'offrir un aboutissement à la démarche de La Fille du Nil, Good men good women et Goodbye south, goodbye avec Millenium Mambo. Personnellement, on préfère justement la façon dont ce dernier film montrera une figure d'un Taïwan éclaté retrouver un peu d'humanité dans son rapport à l'autre. C'est à dire le moment où un cinéaste ayant pleuré ici la disparition de ce sens humain entreverra une certaine forme d'optimisme.