Commençons par situer ce film atypique dans la carrière de cinéaste de Kitano : dans les années 80, ce dernier était reconnu à travers tout l’archipel nippon comme un grand comique troupier télévisuel qui inventait des jeux plus stupides les uns que les autres pour faire marrer son auditoire. Mais lorsqu’il se lança dans le cinéma en 1989 avec Violent Cop, il se détourna de son humour caractéristique pour signer des films très noirs, très violents, qui faisaient l’écho d’une société japonaise mal en point. Seul problème, le public l’a massivement boudé. Getting Any ?, réalisé en 1994 et sorti en France seulement en 2001, peut donc être interprété comme un coup de gueule, du genre « vous me préférez quand je fais le con ? Et bien voici ce que vous attendez de moi à la puissance 10… », et de signer une suite de sketchs vaguement reliés par une pseudo-intrigue (un obsédé sexuel tente de réaliser ses fantasmes) où il se permet tout : humour scato, une quantité de filles topless, un scénario qui part dans tous les sens, des parodies (SOS Fantômes, la Mouche) et des clins d’œil (la série Zato-ichi, Akira Kurosawa).
Le style employé ici n’a rien à voir avec la maîtrise formelle de la plupart de ses autres films, les habituelles ellipses qui sont à l’origine du rire sont supprimées, les brefs et intenses moments de violence (Hana-Bi, Sonatine) n’ont plus court. Kitano ne fait qu’accumuler les gags sur un rythme effréné et très inégal, alternant le très drôle (les dessous de bras, le service de bord du pilote de Cessna, l’apparition délirante de Susumu Terajima en gangster blessé) au très lourd (l’homme-mouche, le canari), ce qui rend le tout forcément un peu décevant. Mais dans l’ensemble, celui qui dira qu’il n’a pas ri devant les aventures « sextraordinaires » de l’imbécile Asao est un menteur.
Toujours est-il que si on avait dit à Kitano (le scientifique affublé d’une moumoute culte) en 1994 que Getting Any ? serait distribué en France, il ne l’aurait sans doute pas crû !
Takeshi Kitano est décidément plus imprévisible qu'on ne pense. Certains pestent sur son incapacité à se renouveler au fil des ans, certes, mais quand on sait que le bougre s'est déjà lancé dans des projets aussi farfelus que celui de Getting any, dans le même genre Takeshis' (en plus sérieux), on se dit que ce n'est pas si mal finalement. Quoique, pour avancer, s'auto critiquer voir parodier son style, Kitano avait besoin d'oeuvres barrées telles celle-ci. Point de scénario à proprement parlé, juste une succession de scénettes cohérentes aboutissant à un résultat détonnant : Getting any? choquera les fans de Kitano, et fascinera les mordus du Beat Takeshi.
Avec en personnage central le jeune tordu Asao qui ne pense qu'à baiser dans une voiture ou un avion, Getting any prend alors la forme d'une pastiche de films de genre d'époque, hallucinantes de maîtrise. On y voit par exemple tout un tas de parodie et de clins d'oeil aux plus grands cinéastes du siècle. Il s'auto parodie, de prime abord avec son yakuza blessé qui revient souvent, non sans rappeler Sonatine ou Violent Cop. Ensuite, le haut du panier : Akira Kurosawa (adulé par Kitano) se voit alors caricaturé (et en plus cité!) par une parodie de Kagemusha (ou Ran), suivi d'un autre clin d'oeil avec un général Russe loupant son casting (référence à Dersou Ouzala...il fallait y penser). On passe alors à un autre grand, Misumi et son Zatoichi parodié de telle sorte à ce que sa canne se voit échangée avec une louche à excrément. Mieux encore, peut-être le clou du spectacle, le grand Jo Shishido se voit alors massacré par un sosi bien gras, et porte le nom du "Tueur numéro 1", appellation qu'il recevait dans l'extraordinaire La Marque du tueur de Seijun Suzuki. Le fan apercevra d'un oeil avisé des références aussi pointues qu'étonnantes, comme celle de La vie d'un tatoué juste avant le massacre final, toujours du même Suzuki. Kitano continue les parodies, allant du Godzilla (effets spéciaux, situations de catastrophe) à La Mouche de Cronenberg, suivit de celle de Ghostbustersl'homme invisible de Whale sous un remix musical du film, du plus mauvais goût. Formidable.
Drôle, extravagant, extraverti, con et gras, Getting any? est un produit dont les ZAZ n'auraient même pas eu idée. L'oeuvre semble pourtant être détesté par beaucoup et c'est peut-être bien trop injuste vu qu'il permet, dans un certain domaine, de casser les codes du cinéma de Kitano, et de prouver que Takeshi est capable d'être Beat quand il veut et Kitano quand il le désire. Il peut faire les deux, et on l'en remercie mille fois.
Esthétique : 3/5 - Sommaire mais le but de plaire n'est pas recherché. Musique : 2.5/5 - Des thèmes kitchos, bien lourds et tordants. Interprétation : 3/5 - On passe du larmoyant douteux à la parodie ultime. Scénario : ?/5 - Des références absolument incontournables. Quel toupet!
Le plaisir qu'on peut éprouver à regarder ce Kitano à l'humour sumo, c'est celui de se recevoir dans la figure la crachat que jette un sportif de haut niveau avant de reprendre sa course vers les sommets. Car cette déjection aussi grosse que le tas de crottes utilisé dans le final du film précède le renouveau artistique de Kids Return un peu comme si Takeshi décidait d'expurger une bonne fois pour toute ses penchants d'humour poids lourdingue pour en ressortir purifié. Chaque gag y est aussi navrant qu'hilarant: la voiture vendue au "héros" qui perd progressivement l'arrière de sa carosserie puis sa portière, les incidents sur le tournage d'un Zatoichi -entre autres le remplaçant qui ne comprend pas qu'il doit fermer les yeux pour son role, confond d'abord son sabre avec une louche -on se croirait dans une kung fu comedy...- puis l'huile avec l'eau pour la scène de l'incendie et ressort en feu-, le yakuza en sang joué par Terajima Susumu qui vient à chaque fois tirer d'affaire le héros, une première fois pour lui offrir un flingue, une senconde fois un sachet de coke qui donnera lieu à un sketche hilarant du test du sachet de coke par l'acolyte d'un parrain, le strip-tease d'un pilote de jet pour un passager nommé SHISHIDO Jo, la parodie de Ghostbusters avec descente dans des bains pour femme et dans un studio porno, la conférence de presse ratée pour présenter l'"homme invisible", la transformation du "héros" en mouche. A ce stade-là, on est presque proche des sommets nanaresques hongkongais. Presque... Car le film comporte quelques énormes longueurs (meme si moindres que dans certains délires alquaidesques): les répétitions du casse, les parties yakuzas du film, la recherche d'or pas très fructueuse, la chasse à la mouche. Ce n'est donc pas toujours le délire non stop au cours de ce "roman d'apprentissage" du sexe fast food (le "héros" y apprend d'abord qu'une voiture aide à tirer son coup, que pour avoir plus de chances il veut mieux avoir une cylindrée décapotable, que pour l'acheter il faut beaucoup d'argent etc etc etc). Néanmoins, si ce n'est pas le the Cat nippon, le film peut faire son petit effet au cours d'une projection en comité réduit muni de packs de bière ou pour récupérer des efforts intellectuels fournis suite au visionnage d'un classique taiwanais. Getting Any devrait etre remboursé par la Sécurité Sociale cinéphile.