Yasuho Furuhata livre une chronique mélancolique, partagée entre des visions d’un Japon actuel à la beauté éthérée, et leurs pendants sépias d’un passé touché de plein fouet par la Seconde Guerre Mondiale.
Japon, 1989. Yamaoka, vieux pêcheur proche de la retraite, apprend à quelques jours d’intervalles le décès de l’empereur Hirohito et le suicide de son ancien compagnon d’armes Fujieda. Il se remémore dès lors son passé de kamikaze durant la dernière guerre mondiale, où l’éventuel retour de mission s’accompagnait de cas de conscience à la violence émotionnelle irréversible… Le réalisateur choisit dès le départ de se focaliser sur une ambiance à l’âpre mélancolie, marquée par la fin d’une époque-clé. Partant du suicide d’un ancien kamikaze (encore profondément affecté) pour construire un récit oscillant entre des flashbacks au sépia magnifique et des plages visuelles faussement contemplatives, sises dans ce Japon ne tournant la page de son passé qu’à moitié, Furuhata cible avant tout son intrigue sur le facteur humain. Resserrant progressivement l’étau de sa caméra sur Yamaoka et son épouse, autour desquels se centrent les enjeux majeurs d’un film à la narration en tiroirs.
Explicitant avec subtilité les errances du présent par les angoisses sclérosantes d’un passé trop lourd à porter, Le Chemin des Lucioles impose des séquences à la beauté picturale saisissante. Si la caméra s’attarde parfois de façon trop appuyée sur des regards trop lourds de sens, ou sur la passivité douloureuse des protagonistes, elle n’en perd pas de vue pour autant son propos à l’humanisme délicat. Yasuho Furuhata filme ses personnages avec une pudeur magnifiant leurs souffrances et leurs doutes, prenant de plus en plus de poids au gré des réminiscences signifiantes du passé. Caractéristique majeur des modes narratives en cours dans le cinéma asiatique actuel, les scènes successives offrent au fil de leur déroulement une nouvelle lecture à ce qui précède. Une mise en abyme qui prend le risque de dévoiler toute sa puissance émotionnelle à retardement, pour mieux frapper le spectateur engoncé dans cette spirale dont le récit épouse les formes. Le Chemin des Lucioles entraîne peu à peu dans son histoire en deux temps, deux époques réunies par une mise en scène fluide dont l’esthétique achève de planter la complémentarité inextricable. Fatalement et malgré une conclusion apaisante, les spectres des personnages continuent de hanter longtemps après le générique de fin.
Interessant historiquement, pas cinématographiquement
Historiquement, le film est une petite révolution. Le Japon reconnait ses fautes, s'excuse auprès de la Corée, on peut ricaner du temps qu'ils ont mis à dire cela, mais à chacun son Algérie. C'est un film à la fois destiné aux "générations futures" dans un but éducatif et à l'international, comme une déclaration de politique étrangère. Le style du film devait donc ratisser large. C'est le moins qu'on puisse dire : fade, lisse comme un téléfilm mais avec des moyens de gros studio, avec une pincée d'esprit asiatique (le mutisme, la retenue) et une autre de sentiments à l'américaine ("on se dit tout", le grand pardon, etc...), Le tombeau des Lucioles n'a aucun intérêt pour qui cherche du "cinéma".
Vivre ou mourir, il faut choisir
"Le Chemin des Lucioles" traite du devoir de mémoire, un sujet plutôt sérieux donc. Mais surprise, le film, bien que légèrement figé, n’est jamais plombant. D’abord grâce à sa narration, car la guerre n’est pas froidement racontée, comme on pouvait s’y attendre. Elle est mise en images par des flash-back d’une grande puissance visuelle et émotionnelle. Et beaucoup d’autres plans, froids mais enivrants, viennent parachever la réussite esthétique de l’œuvre. L’autre atout du film est son absence de manichéisme. Si le couple central parvient, grâce au souvenir d’un soldat coréen, à se libérer de ses indicibles souffrances, il ne retrouvera pas sa joie de vivre pour autant. De même, le réalisateur Furuhata nuance fortement sa morale, qui prône l’importance d’aller de l’avant. Pour cela, il met en avant un paradoxe déchirant : même pour les anciens kamikazes, le choix de continuer à vivre ou de mourir semble encore plus dur à faire une fois la guerre terminée. Il appuie aussi sur la peur des Japonais que le drame de la guerre ne sombre un jour dans l’oubli. Alors, on sort de la salle attristé, mais heureux d’avoir participé à leur lutte contre l’indifférence. Une belle découverte.
01 décembre 2002
par
hendy