visiteur | note |
Manolo | 3.5 |
le singe | 4.25 |
Phildu62 | 2.5 |
L'histoire
Ding Menghao alias "L'Epée du Sud" est un héros fier de son art et facilement enclin à en faire usage. A la suite d'un duel perdu face à un vieux moine aussi habile en combat que philosophe, il se verra contraint de servir celui-ci pendant trois longues années durant lesquelles il recevra malgré lui un enseignement qui l'amènera à réformer son comportement. Une fois libéré de ses obligations envers le moine, il tentera de reprendre une vie plus humble mais sera rattrapé par sa célébrité persistante lui amenant sans cesse de nouveaux challengers avides de reconnaissance. Décidé à ne plus sortir son épée et à se faire oublier du monde des arts martiaux, il s'établira comme simple ouvrier sculpteur dans une échoppe de village. Il parviendra ainsi à vivre caché jusqu'à l'apparition d'une bande de brigands et d'un mystérieux chevalier se prétendant un ancien ami...
Le film
Parmi les quelques wuxia-pian fortement inspirés de westerns américains, "The Fastest Sword" occupe une place assez particulière. Présenté officiellement (du moins de nos jours par IVL) comme une adaptation de l'excellent "The Gunfighter"/"La cible humaine" (Henri King - USA, 1950) avec Gregory Peck dans le rôle du légendaire Johnny Ringo, c'est pourtant du coté de la littérature populaire japonaise qu'il faut se tourner pour trouver l'origine de la construction de ses personnages. Car bien que le fond de l'histoire soit effectivement inspiré de la même problématique que le film de Henri King (un héros revenant de la vanité de sa condition), comment ne pas reconnaître dans cette aventure les protagonistes du célèbre "Miyamoto Musashi" de Eiji Yoshikawa ("La pierre et le sabre"+"La parfaite lumière" en français) contant la vie du célèbre héros japonais du même nom sur un mode romanesque. Toute la première partie du film sera ainsi une transcription de la partie similaire de ce roman populaire, en l'occurrence une phase initiatique absente de "The Gunfighter" qui se concentrait lui sur les relations du héros avec sa famille (un argument que l'on ne trouve traité pas ici). Remplacez juste Takezo / Miyamoto Musashi par Ding Menghao alias "L'Epée du Sud", le moine Takuan par le moine Lu Wei et Sasaki Kojiro par Qiu Yixing alias "L'Epée du Nord" en miroir du premier et vous y êtes presque. Les admirateurs de l'oeuvre de Eiji Yoshikawa s'amuseront d'ailleurs probablement de retrouver au fil du récit des petits détails tels que la symbolique de la sculpture dont la taille s'amenuise jusqu'à l'obtention d'un résultat satisfaisant ou encore la dégaine du héros qui n'est pas sans rappeler celle de Toshiro Mifune dans l'adaptation qu'en fit Hiroshi Inagaki dans les années 50. Et le résultat de ce mélange de deux histoires d'origines différentes s'avère extrêmement payant par l'enrichissement que l'une produit sur l'autre, preuve si nécessaire de la qualité universelle des sources d'inspiration utilisées autant que de la finesse d'adaptation qui les a si pertinemment réuni. On se retrouve ainsi en présence d'une aventure humaine à la fois plus concise et synthétique que le roman de Eiji Yoshikawa en même temps que plus large que le film de Henri King et agrémentée d'un verni romanesque chinois que n'aurait pas renié un Gu Long. Et ce qui ne gâche rien, c'est qu'au-delà de cette habile réunion scénaristique, la mise en image de l'ensemble se montre d'une efficacité toute aussi audacieuse. A l'instar du remarquable "Bells of Death" de Griffin Yue Feng, autre wuxia-pian SB d'inspiration western (mais coté italien cette fois-ci) sorti cette même année 1968, on pourra goûter ici à une réalisation exploitant les capacités suggestives du langage cinématographique et non plus basée sur la simple transcription texte-image d'un récit, une conception relativement novatrice à l'époque pour les productions martiales locales et initiée quelques temps plus tôt par le grand King Hu. Pour autant, Pan Lei ne s'est pas contenter reproduire le chemin tracé par son illustre collègue et a su élaborer sa propre voie pour transmettre sa vision de l'histoire proposée, probablement influencée en cela par une carrière de scénariste/réalisateur partagée avec le domaine du psycho-drame romantique (à voir par exemple son "Lovers Rock" de 1964 avec Cheng Pei Pei). Car au-delà de l'arrivée d'acteurs "martiaux", la montée en puissance du wuxia-pian en ces fins d'années 60 avait aussi nécessité le passage au genre de réalisateurs venant d'horizons divers avec comme effet bénéfique l'apport de leurs visions particulières. Un travail à apprécier ici dans le traitement essentiellement dramatique de l'histoire proposée et en particulier lors de l'affrontement final opposant l'humble Ding Menghao (Lu Ping) au vindicatif Qiu Yixing (Gao Feng). Déroulé sur une durée de près d'un quart d'heure dont au moins cinq minutes de préparation comme dans le meilleur western, il laissera les deux protagonistes en huis-clos dans un face à face où se mêlent confrontations psychologique et martiale avec une intensité montante assez inédite. Et quand bien même le niveau technique des combats n'était pas encore à son apogée, ce dernier affrontement gagnera d'avantage sa place de point d'orgue dans le film par sa retranscription cinématographique originale enrichie de quelques astuces telles que l'interprétation de certains passages au ralenti plutôt que par une débauche de techniques martiales plus ou moins approximatives et d'effusion d'hémoglobine. L'effet psychologique sera donc ici encore privilégié et sera même prolongé par la double-fin clôturant l'aventure à l'image de son vieux modèle américain quoi que de manière plus optimiste (SPOILER à la différence du film de Henri King astreint à suivre au minimum la biographie légendaire de son héros, "The Fastest Sword" offrira au sien la perspective d'entamer une nouvelle vie là où son modèle achevait de manière tragique sa quête de retour à un bonheur laissé pour compte FIN SPOILER).
Verdict
Aussi habile à mélanger ses influences de vieux western psychologique américain et de littérature populaire japonaise qu'à les mettre en image avec une audace maîtrisée, "The Fastest Sword" se révèle un excellent wuxia-pian pré-70. Une pièce de choix que ses particularités rendent rigoureusement indispensable pour tout amateur du (ou des) genre(s).