Ordell Robbie | 2 | Arrière-garde |
Xavier Chanoine | 2 | Rigide et lassant, vaut pour un final décomplexé |
Film emblématique du Japon contestataire seventies, L'Extase des anges se voudrait d'abord un tableau de la façon dont l'ordre établi exploite les travers individuels pour neutraliser les forces susceptibles de le déstabiliser. Mais les dispositifs formels et narratifs de Wakamatsu sont si liés au propos du film qu'ils finissent trop souvent par le transformer en un tract lourd et peu inspiré. La manière dont la déstabilisation envahit tout le groupe d'anarchistes est montrée au travers d'une narration au déroulement trop mécanique finissant par lasser. Et ce cinéma se voulant avant-gardiste appuie également son propos par un recours à des procédés déjà vus du côté de la Nouvelle Vague occidentale et de la modernité sixties dont le systématisme finit par lasser. Comme ces dialogues politiques pendant les scènes de sexe: ils rappellent la façon dont Godard tentait par des effets de distanciation et d'artificialité assumée de saisir la vérité de son époque.
Mais la répétition de l'effet tout le long du film finit par lasser. Comme d'ailleurs ces multiples angles de vue obliques censés refléter le sentiment d'oppression des personnages, ces moments où les personnages semblent s'adresser au public lorgnant vers une distanciation théâtrale, ces entrées en scène théâtrales de personnages ou ces longs plans fixes continuant là où un montage classique aurait coupé. Chainon manquant entre le roman porno et la Nouvelle Vague nipponne, Wakamatsu semble trop souvent prisonnier d'un dispositif en forme de compilation light de procédés en vogue dans le cinéma d'auteur mondial des années 60.
Mais heureusement le film se détourne parfois de ces routes balisées pour trouver sa propre voie comme avec son usage des passages noir et blanc/couleur faisant surgir des explosions vitales au milieu d'un univers terne, son décalage apparent entre score jazzy cool et titres de journaux évoquant les actions anarchistes (la révolution comme un morceau free jazz). Et l'énergie du filmage de la scène des bombes posées en série, le chaos du montage d'une scène où se téléscopent de façon fascinante bar chic où une chanteuse chante un commentaire sur l'époque, les tourments d'une terroriste, les manifestations et la violence anarchiste. Avant qu'une phrase idéologiquement aussi inadmissible de nous jours que radicale ne vienne porter l'estocade finale. Pour un film assez décevant au regard du potentiel de son sujet.
Chronique faite à partir de l'édition japonaise Shoki Kessakusen qui propose un montage approuvé par Wakamatsu.
N'étant pas particulièrement fan d'œuvres qui servent d'outils de propagande, cet Ecstasy of Angels est tout de même une petite curiosité signée Wakamatsu, réalisateur à la vitalité de révolutionnaire intacte. Autopsie d'un groupe de révolutionnaires avec tics de mise en scène à l'appui, le gros problème du film réside dans sa lourde mécanique frénétique qui ne débouche finalement à rien de bien excitant. Point d'extase, point d'exaltation extatique, la faute au côté rigide et extrêmement statique des plans et de la position des personnages à l'écran. On pourrait penser que Wakamatsu se la joue esthétiseur au profit d'un message d'une lourdeur encore intacte après les années (lorsque la mise en scène n'est que le prolongement du message, ou vice versa), ce qui s'apparenterait plus à la démonstration des limites du cinéaste dans un domaine particulier qu'à un parfait mélange entre érotisme soft et film de propagande. Dans tous les cas la mise en scène a beau souffrir de tics gonflants, le choix de certains cadres témoigne d'une belle maîtrise de son sujet : les séquences d'amour alternent différents points de vue, à la fois distanciés ou près du corps dénudé, certains gros plans sur les visages rendus blafards par la luminosité offrent aussi bien de l'émotion simple qu'un vrai message sur la situation qu'endure ces jeunes soldats révolutionnaires illuminés par cette envie de tout faire péter. Ensuite, faut-il encore être réceptif face au message de Wakamatsu, face à cette "révolution" opérée par le sexe, où on baise à tout va comme pour exacerber un sentiment de révolution, surtout après s'être fait piétiné et violé par des gros bras en début de métrage.
Ou le sexe n'est-il là que pour cacher les limites des plans organisés par la troupe de pseudonymes, des plans qui tendent à s'éterniser inlassablement pour finalement n'en voir la couleur qu'en toute fin de métrage? D'où ce sentiment d'assister à une explosion en fin de métrage -au sens propre comme figuré- où Wakamatsu montre enfin ce qu'il a dans le ventre notamment par un découpage et une mise en scène anarchiques qui lui scient bien mieux que lorsqu'il filme ses jeunes anarchistes pas loin de tomber dans des discours qu'un Yoshida période seventies n'aurait pas renié. Le film possède ceci dit un parfum d'œuvre culte du à la portée du message, à la peinture de la société nippone d'époque et sans doute parce que le cinéaste commet quelques audaces formelles justifiées (selon le niveau de lecture de chacun) ou non notamment lorsqu'il passe à la couleur lors de brefs instants. A l'époque, être contestataire pouvait aussi bien freiner la diffusion du film tout comme il pouvait rallier quantité de jeunes à la cause de Wakamatsu. Certains jetaient des livres par les fenêtres et sortaient dans la rue, d'autres explosaient Tokyo à coup de dynamite.