Premier plan, fixe, Miao Tien se lève, fait des va-et-vient chez lui avec sa clope qu’il grille pratiquement en entier. Tristesse et silence. Deuxième plan, cérémonie mortuaire où l’on place ses cendres dans un endroit réservé pour. Il n’est plus de ce monde, merci d’être passé. Hsiao-Kang, son fils, vend des montres en extérieur où il rencontre une jeune femme désirant absolument acheter la montre qu’il porte au poignet, joli et à double cadran, cette dernière en a besoin parce qu’elle part pour Paris le lendemain. A quelques kilomètres d’où il travaille, sa mère fait tout en son possible, jour et nuit, pour accueillir chez elle l’esprit de son défunt mari à coup d’offrandes et d’heures de repas qui virent au grand n’importe quoi obsessionnel. Pendant ce temps là, Hsiao-Kang pisse dans des bouteilles ou des sacs en plastique, traine jusqu’à plus d’heure, l’esprit dangereusement siphonné par l’absence de la belle Shiang-Chyi partie pour Paris affronter ce que l’on ne sait pas. Mais une chose est sûre, tous deux vivent un calvaire, malgré les kilomètres qui les séparent. Si l’un règle toutes les montres et horloges qu’il trouve sur son chemin à l'heure de Paris, donnant lieu à des scènes d’un burlesque assez formidable, l’autre tente de se raccrocher à ce qu’elle peut pour se remémorer Taïwan, comme cette soudaine poussée homosexuelle avec une femme plus mûre rencontrée dans un café, seule source de réconfort et accessoirement scène d’une puissance émotionnelle prodigieuse.
Tsai Ming-Liang a le don de pousser la tension à son paroxysme, à sa dégénérescence la plus totale où le trio d’un jour, Hsiao-Kang, sa mère et Shiang-Chyi se soumet au laisser-aller qu’on ne soupçonnait guère : partie de jambe en l’air avec une prostituée dans une Twingo, masturbation avec l’urne renfermant les cendres de papa, prémisse d’une relation sexuelle vouée à l’échec. Déception, dégringolade, routine du malaise. Mais à contrario des autres films de Tsai, le film ne baigne pas dans la flotte. Il baigne dans à peu près rien de bien connu, vapeurs moites perceptibles dans un éclairage quasi expressionniste, silence morbide et problèmes par paquets. Effectivement, Shiang-Chyi vit un calvaire à Paris où la moindre scène routinière pour le parisien du coin se transforme en agression pour la jeune femme, théâtre également de séquences là aussi pleine d’humour et de burlesque montrant un Tsai sous un visage résolument différent, tour à tour moqueur face à ses personnages (Hsiao-Kang allant jusqu’à dérégler une immense horloge en pleine ville) et créateur de scénettes désamorçant la tristesse pesante de l’ensemble : le gros stalker suivant Hsiao-Kang armé d’une horloge, jusque dans le cinéma pour lui faire goûter son joujou est aussi drôle que merveilleusement décalé, Shiang-Chyi qui loupe l’entrée de son hôtel est également un exemple de l’incroyable énergie du film qu’on ne pensait pas là non plus après une introduction annonçant la couleur.
Est-ce que Et là-bas quelle heure est-il ? est une nouvelle chronique désenchantée ou bien un franc moment de rigolade ? Les deux, évidemment, analyse parfaite de trois êtres rongés par une sensation désagréable : l’une souffre dans un monde qu’elle ne connait pas, l’autre souffre de son absence, tandis qu’un troisième être, la mère, souffre de l’absence définitive de son mari malgré ses efforts acharnés pour tenter de faire revenir son esprit à la maison. En vain, mais ce n’est pas faute d’avoir essayé. Les personnages semblent une nouvelle fois enfermés dans une sorte de mutisme, fascinant chez Tsai, aussi bien à Taïwan qu’en France. Mais la communication se fait par le geste, la pensée et le malaise tant chacun semble être lié, dans le fond. Nouvelle étape formidable dans la filmographie de Tsai Ming-Liang, Et là-bas quelle heure est-il ? est l’un de ses plus beaux films parce que la distance qu’il installe face aux personnages qu’il met en scène est un outil cinématographique à part entière, parce que sa caméra, qui ne bougera pas durant tout le film, capte des images mortes d’une beauté fascinante jusque dans son final fantomatique dans le jardin des Tuileries : las du traintrain hystérique dans son appartement à Taipei, le fantôme du père a décidé de fuir pour donner un coup de main à une jeune femme livrée à elle-même, courageuse et surtout ambitieuse.
Loin d'être le chef d'oeuvre que j'essayais de trouver au milieu des oeuvres de Tsai Ming-Liang (et que j'ai arrêté de chercher), ce film est celui qui se rapproche le plus de son premier long métrage Rebelles du Dieu Neon, et quand on sait comment je n'aime pas ses autres films, c'est un énorme compliment. Même s'il est un peu longuet, il reprend la trame en trois personnages, tout en la faisant tourner principalement autour de Hsiao Kang, personnage principal de toute sa filmographie. Là où ils se démarque, c'est en montrant deux histoires en parallèles, qui n'ont finalement plus vraiment de rapport entre elles. La pauvre fille a vraiment la pire des expériences qu'on peut avoir en faisant du tourisme à Paris. Également, Tsai Ming-Liang efface de nombreux clichés, et arrive à éviter de montrer une histoire trop téléphonée. Au final, elle se termine tout de même comme tous les autres film de Tsai, c'est-à-dire sur rien de plus qu'au départ, et certains plans fixes vraiment long font palpiter les paupières sur les yeux.
un film qu'il vaut mieux regarder avec beaucoup de motivation et de concentration, si on ne veut pas perdre le fil... Les dialogues sont presque totalement absents et le plus souvent les textes n'ont qu'une signification secondaire: annonce haut-parleur dans le métro, discussions en bruits de fond, etc. … A dire vrai, je ne sais plus trop ce qu'il s'est passé.
Le dernier film de Tsai Ming Liang traite de sujets chers à son auteur (que je méconnais encore…), notamment la solitude et les interrogations face à l’avenir. Ici, ces thèmes aboutissent tous à un seul constat : le dérèglement des schémas établis, la déviance des comportements. Ce n’est en effet pas pour rien que le fil conducteur de ce film soit l’horloge, qui rattache chacun des protagonistes à travers l’espace et le temps. C’est le cas de Kang, petit vendeur de montres sans grand destin, qui se retrouve sous le coup d’un deuil paternel interminable et qui se prend à rêver d’évasion. Après sa rencontre avec Shiang, une jeune taïwanaise en partance pour Paris, Kang décide de se mettre à l’heure parisienne en décalant les horloges de 7 heures (dont une située au sommet d’un building avec une antenne, scène très drôle car totalement absurde) et en se documentant sur Paris par le biais des 400 Coups. Mais sa solitude, son incapacité à réagir face au néant de sa vie et son impossibilité à exaucer son rêve français auront raison de lui.
Shiang, quant à elle, est partie à Paris pour faire du tourisme. Mais elle n’y trouve pas le Paris des cartes postales qu’elle aurait souhaité… Son quotidien devient vite pénible, la solitude et le déracinement pesant plus que tout. La montre achetée à Kang est sans doute restée à l’heure taiwanaise, alors que dans le même temps Kang vit à l’heure parisienne à Taiwan ! TML nous propose une vision amusante et originale de Paris, filmant les rues, les parcs et la métro avec une froideur exceptionnelle, ce qui est très symbolique puisque son héroïne semble ne voir que les désagréments occasionnés par notre capitale (hôtels vétustes, tourista) sans profiter de ses réjouissances, signe d’un profond malaise…
Le troisième personnage mis en scène parallèlement aux deux autres est la mère de Kang, totalement obsédée par la mort de son mari, au point de voir en chaque bestiole sa réincarnation. Elle aussi vit de manière déréglée, mangeant quotidiennement à minuit pour honorer son mari et scotchant les sources lumineuses afin que son esprit hante à nouveau l’appartement. A l’image de la magnifique vue depuis la cuisine (un mur de briques rouges), son avenir est bouché, entravé, et cela provoque une déviance, dont l’exemple le plus flagrant est la déviance sexuelle commune aux 3 personnages : la masturbation pour la mère, les pulsions homosexuelles pour Shiang et le recours à la prostitution pour Kang.
Ce dérèglement se ressent même au niveau de la mise en scène de TML, classiquement composée de plans fixes parfaitement cadrés et chronométrés (il se passe quelque chose à chaque coin d’écran), mais qui n’hésite pas à insérer des plans beaucoup plus courts que les autres afin d’obtenir un changement de rythme, une cassure du plus bel effet. De plus, chose peu courante, il utilise la dérision pour étayer son propos, prouvant que son style n’est pas dénué d’humour. C’est assurément un pas vers l’élargissement de son public (même s’il restera encore en grande partie cinéphile) qu’a franchi TML avec Et là-bas quelle heure est-il, en signant un film peu habituel et assez déroutant. Mention spéciale à la bande-son, que vous pouvez retrouver sur n’importe quel CD vierge...
Le dernier Tsaï Ming-Liang est plus ouvert que ses films précédents, qui étaient plutôt claustrophobes. Et là-bas quelle heure est-il? pourrait être le premier à trouver un public au delà des cinéphiles, surtout en France où se situe une partie du film. C’est réjouissant de voir un auteur changer de registre et constater que son tryptique de thèmes « appartement-eau-impossiblité de communiquer » risquait l’usure. Le Taïwannais reste tout de même très fidèle à sa façon de filmer, qui s’est répandue à tous les auteurs de là-bas d’ailleurs. Il introduit juste des plans plus « libres » dans la partie parisienne, comme si ses fameux plans fixes n’étaient valables qu’à Taipeï. Sa vision de Paris est d’ailleurs assez réjouissante, lorsqu’il filme le métro comme un vrai zoo ou une boîte à sardines, ce qu’il est réellement, mais les réalisateurs parisiens manquent de détachement pour le dire.
Le film est cadré au millimètre, souvent d’assez loin, en voulant embrasser tous les éléments d’une scène à la fois, et en laissant la scène s’installer dans la durée. Du coup, les moments de tension sont renforcés et on découvre une facette de ce réalisateur qu’on ne faisait que soupçonner dans la comédie musicale The Hole : le comique. Car Et là-bas quelle heure est-il? est drôle, parfois hilarant. Le poisson dans l’aquarium n’a pas été loin de recevoir un Prix d’interprétation à Cannes (allez le jury, pête un coup, et lâche toi un peu !) pour sa magnifique prestation. Il faut expliquer qu’il représente un peu le père défunt dans le film (sans compter l’importance des animaux dans et la mythologie asiatique). L’aquarium trône fièrement dans le salon et est souvent au premier plan dans le plan. Pendant que la mère pleure son mari, le gros poisson nage, tranquillement, comme symbolisant le père qui se sentirait bien dans son royaume des morts, d’autant plus que l’animal rappelle le personnage bedonnant du père dans La rivière.
Une scène donne une grande importance à ce poisson. Pour porter le deuil du père, la mère suit à la lettre une croyance et affirme que rien, pas même une mouche, ne doit être tué pendant 49 jours. Or un cafard se balade en plein repas. Pour s’opposer au deuil, le garçon saisit le cafard et le jette dans l’aquarium. La bête flotte un moment. La mère bassine son fils (« aucun respect des traditions », « le malheur va s’abattre », etc…), et pendant ce temps, dans le même plan, en amorce, le poisson s’approche du cafard, et d’un coup, le gobe. Eclats de rires dans la salle. Au passage, la lumière tient du miracle pour éclairer dans un même plan un aquarium et la table d’un repas au fond… Après cette entrée en scène, évidemment, on ne loupe plus la moindre ondulation du poisson.
Le comique de Tsaï Ming-Liang est très pince-sans-rire. Jean Pierre Léaud fait ainsi une apparition toute naturelle, parodique mais de grande classe. Le film fourmille de belles idées, de scènes saugrenues, voire carrément surréalistes. La référence aux 400 coups de François Truffaut n’est pas plaquée, mais émouvante. Hsiao-Kang déverse sur ce film tous ces fantasmes, y compris son envie de faire lui aussi « les 400 coups », qu’il réfrène finalement. Son obsession de changer les pendules de Taïpei pour les mettre à l’heure de Paris est une superbe métaphore de l’envie de voyage et de l’amour « à distance ». Elle est montrée en parallèle avec les déboires de la fille à Paris, suggérant ainsi que l’un influe sur l’autre. Les plans, comme celui précité avec le poisson, ou la séquence finale au jardin du Luxembourg, cachent sous leur apparent dépouillement une complexité que le spectateur découvre avec bonheur, celui de trouver seul un sens que le réalisateur ne fait que suggérer.
Finalement, Et là-bas quelle heure est-il? est un appel de son auteur vers plus de compréhension, de rire, de chaleur humaine, de voyage et de tolérance, notamment en acceptant la mort. C’est son premier film gai, même si une pointe de désenchantement empêche encore l’optimisme. A un moment, on se demande si le fameux poisson n’allait pas se mettre à parler. Tsaï Ming-Liang est mûr pour le pétage de plombs. Ça pourrait en surprendre plus d’un !
Tsaï Ming-liang est un grand cinéaste de la distance. Mais pas comme peuvent l'être Kitano ou Imamura, c'est-à-dire comme cinéastes de ce qui les écarte du cinéma. Non, la distance, chez Tsaï Ming-liang, c'est tout bêtement la distance qui existe entre ici et ailleurs, entre Paris et Taïwan, entre Antoine Doinel et Jean-Pierre Léaud. Ou encore : entre soi et soi. Car "Et là-bas quelle heure est-il ?" est d'abord la scène d'un écartèlement, celui de la dyade amoureuse qui pulse en silence dans l'intimité horaire de sa propre horloge. S'il y a une heure ici et une heure ailleurs, dit Tsaï Ming-liang, c'est finalement la même. La même au prix de la schizophrénie de tout lieu ou l'écartèlement de tout temps. Au prix de la distance. Et c'est pour cela que Tsaï Ming-liand est un grand "cinéaste" de la distance : ce n'est pas tant qu'il la montre, voire qu'il la suggère, mais plutôt qu'il l'installe. Que son film est l'installation de cette distance. Qu'il installe l'espace du film dans la distance. Qu'il installe la distance comme principe du film. Qu'il vous installe dans la distance du film. Car Tsaï Ming-liang ne croit plus, comme Duchamp, que "les regardeurs font le tableau" (ou le film). Pour Tsaï Ming-liang, les regardeurs sont intégralement dans le film et le film intégralement dans les regardeurs. Le cinéma est une affaire d'intimité, et le distance est précisément celle qui s'ouvre dans l'intimité, à l'intérieur même de l'intime, par rapport à soi. Le cinéma, c'est l'écart qui s'ouvre en soi dans sa propre intimité. C'est pour cela que le théatre intime est toujours une affaire d'images et de son : l'intimité est peuplée de fantômes bruyants. Peuplé de cet amour qui manque et qui hurle à manquer. De cet amour qui creuse toujours davantage la distance de la dépossession. Tsaï Ming-liang a compris cela. Il a compris l'écartèlement meutrier qu'accomplit l'amour dans ses images. Les images de l'amour, cela creuse. "Et là-bas, quelle heure est-il ?", c'est ce trou qui se creuse, cette distance qui s'affirme. Entre ici et ailleurs. Entre vous et vous. Cette distance active s'appelle "désir".
L’idée de départ est très intéressante, un vendeur de montre tombe amoureux d’ une fille en quelques mots et quelques regards ! ! La seule chose qu’il sait d’elle, c’est qu’elle part en France ! ! Ainsi, pour se sentir plus proche d’elle, il règle toutes les montres (il es vendeur de montre) sur l’heure de Paris… On voit dans ces quelques lignes à quel point notre personnage est pathétique… Mais autour de cette histoire se brosse le portrait de plusieurs autres personnages : la fille aimée, bien sûr, mais aussi ses rencontres parisienne ; puis la mère de notre « héros » … Le point commun de tous ces « braves gens » est la solitude (thème déjà abordé par notre metteur en scène dans « vive l’amour ») ; on en pleurerait presque de les voir tous tristes chacun dans leur coins alors qu’ils désirent tous la même chose : de la chaleur humaine, de l’amitié, de l’amour… Le plus triste réside donc dans le fait qu’on comprends que tout ce beau monde pourraient vivre heureux avec un peu plus d’écoute et d’effort pour aller vers l’autre………..mais voilà, ce film décrit la réalité (ce n’est pas une comédie sentimentale US où tout est bien qui finit bien) et ça en devient presque gênant dans la mesure que ce film fait se remettre en question les citadins…et c’était probablement le but du cinéaste.
je ne m'attendais pas du tout a voir un film de cette sorte
et je suis sortie de la enchantee!!
la musique est tres rare mais c'est celle du magnifique film "les 400 coups" !!
et le film est lent mais les images sont comme des tableaux!
la derniere scene est d'une tranquilite et d'une beaute!(on voit la fille dormir dans une chaise du jardin du luxembourg et lentement au dessus d'elle sa valise flotte sur le bassin)
en plus de cela ce film est drole!!
un merveilleux moment a passer au cinema et a ne pas manquer absoluement!!
(de plus l'acteur joue dans le troublant sweet degeneration
de ling cheng-sheng!!)