Petits meurtres entre amis...
Nouvelle manière d'aborder l'amour et la passion fusionnelle par Oshima, trois ans après son chef d'oeuvre L'Empire des sens que l'on ne présente plus, et dans le fond, les films n'ont rien à voir entre eux d'où l'interrogation sur le titre finalement racoleur. Oshima n'en est pas à son premier film où l'amour prédomine, mais de là à évoquer une suite c'est faire une grosse erreur. L'Empire de la passion prend lieu et place dans un village reculé du Japon, pauvre et habité par une poignée de paysans qui vivent de leur modeste récolte. Contrairement à L'Empire des sens, Oshima ne s'arrête pas à l'idée du huit clos puisqu'il filme les ébats amoureux et laborieux de ses personnages aussi bien dans les vieilles bicoques que dans la forêt, jusqu'à s'attarder dans des espaces mystérieux et particulièrement inquiétants, comme ces chemins perdus et brumeux que Seki empruntera sur le pousse-pousse de son mari...défunt. Car dans L'Empire de la passion, il est question de fantôme, celui du mari de Seki assassiné par cette dernière et son amant. Cette nouvelle approche nihiliste est intéressante, dans la mesure où l'épouse du mari assassiné éprouve encore des remords, voir même une peur permanente puisque le fantôme ne semble pas prêt à quitter sa demeure et pire, sa femme. La notion de l'amour éternel est notable, Oshima travaille donc cette donne avec en parallèle une intrigue policière qui ne vole hélas pas plus haut qu'un film érotique de base. Cette intrigue débute par les premiers soupçons des habitants (encore jusque là, rien de grave), mais l'arrivée du policier "Zorro" plonge le métrage dans une pastiche même du film policier classique avec les pressions de ce dernier (et son cabotinage), sa traque qui n'arrivera jamais au bout (ce dernier épie les amoureux jusque dans les toits de leur maison) et son air de justicier guignol incompétent et ridicule, surtout lorsqu'il se vautre en enfonçant une porte. Hormis cette légère déception due peut-être à la trop grande facilité d'écriture, L'Empire des sens reste un grand classique du cinéma nippon des années 70.
Oshima obtiendra d'ailleurs le prix du meilleur réalisateur à Cannes, une récompense hautement justifiée tant ce dernier réussit à varier les ambiances, filmant les saisons avec soin, jouant avec la lumière et ses contrastes. Il faut voir ces sublimes séquences où Toyoji jette les feuilles d'automne dans le puits avec vue en contre-plongée, ou lorsque le fantôme les jettent à son tour. Des séquences surréalistes teintées d'une poésie rare, que l'on retrouve aussi dans l'aspect purement fondamental de l'oeuvre. Au départ, le couple adultère est beau, mais au fur et à mesure que le film avance, ils semblent s'enlaidir, à l'image que l'enquête qui avance et qui influe sur leur comportement, leurs craintes de se faire arrêter, jusqu'à finir crasseux et boueux pour évoquer la mort qui approche à grand pas. Un parti pris contredit en toute fin de métrage quand le couple est retrouvé nu, enlacé, cachant les rayons du soleil (apparition presque divine), pour finalement se retrouver pendu et tabassé par la police. On regrettera d'ailleurs cette fin si brute, si rapide, à des années lumières de l'horreur absolue et non gratuite de L'Empire des sens, sommet du genre. Ici l'on se contentera d'un cri, de coups de bâtons et d'une voix off. Rien qui n'empêche ceci dit L'Empire de la passion d'être un grand film de part ses images de toute beauté, son score lyrique et désenchanté, et l'interprétation générale de haute tenue ne laissant hélas peu de place à l'érotisme tant attendu. Il n'est pas sulfureux, mais l'on ne s'en plaindra pas forcément.
L'Empire de la Passion n'est pas un Empire des Sens n°2, du moins dans sa forme...
Car il y a certes quelques è sensuelles, mais rien à voir avec le degré d'érotisme de son prédécesseur. Si Oshima reprend l'idée du huis-clos sexuel et de l'amour passionnel baignant dans l'adultère, il situe l'histoire dans un petit village reclus où il n'y a pas grand chose d'autre à faire que l'amour, et surtout place entre les 2 amants "interdits" le fantôme du mari assassiné puis jeté dans un puits, et un policier hargneux qui fera éclater la vérité au grand jour.
Ce fantôme va d'une part les séparer l'un de l'autre, mais également les rapprocher avec une puissance surmultipliée lors de leurs brefs contacts nocturnes. Mais l'enquête policière va rattraper petit à petit les amants criminels qui finiront par avouer leur crime sous les coups de bâtons devant les autres villageois.
Comme souvent chez Oshima, les plans sont visuellement superbes, avec des couleurs chaudes renforçant le sentiment de sensualité de l'oeuvre. Mais la redondance de quelques è conjuguée à la trop grande longueur de l'ensemble rend parfois le film un peu poussif, voire ennuyeux. Sa vision n'est pas désagréable, mais elle ne laisse pas un souvenir impérissable; l'Empire de la Passion n'attteint donc pas la puissance d'un Furyo ou d'un Empire des Sens.
Fantôme d'amour
Si le titre évoque ouvertement son célèbre prédécesseur L’EMPIRE DES SENS, l’orientation de cet EMPIRE DE LA PASSION s’avère différent.
Basé sur un fait divers d’époque, soit 1895, il conte le meurtre de deux amants, SEKI et TOYOJI, pour se débarrasser de GISABURO le mari encombrant. Un thème récurrent au cinéma qui a donné des classiques reconnus tels que LE FACTEUR SONNE TOUJOURS DEUX FOIS, mais abordé ici par le biais du récit historico fantastique, plus précisément le film de fantômes, genre très populaire au Japon.
OSHIMA soigne en parfait esthète son sujet : une photographie somptueuse, avec des éclairages très soignés et un choix de couleurs parfaitement adaptées. Les plans d’intérieur de ces maisons traditionnelles baignées par la lumière des lanternes sont superbes, les visions de la campagne désolée sous la neige eux aussi de toute beauté. Ce décor très évocateur sera le théâtre d’une intrigue remarquable, dont l’issue prévisible n’entache en rien la tension permanente qui accompagne ce drame passionnel. L’aspect psychologique y est beaucoup plus poussé que dans un traditionnel film de genre : le cinéaste arrive à distancier le regard qu’il porte sur ce couple et ses sentiments, faisant ressortir son décalage avec le reste de la communauté, pour finalement sublimer cette relation adultère meurtrière. Les deux amants nous sont présentés sans jugement de valeur, mais leur comportement les rend immédiatement plus vivants que leur entourage qui reste embourbé dans une médiocrité du quotidien, ou aucune perspective n’est envisageable pour sortir de sa condition. Le policier est ainsi un parfait fonctionnaire et rien de plus. L’arrivée de TOYOJI représentant un échappatoire du réel pour SEKI, concrétisation éphémère de rêves de jeunesse, sa propre fille finira quant à elle par partir définitivement pour Tokyo.
Une fois le crime commis les amoureux sont plongés dans un contexte
d’irréalité, les isolant un peu plus encore du reste du monde. TOYOJI devient obsédé par son acte et répète inlassablement le même geste de couvrir de feuilles mortes le puits ou repose le cadavre, pendant que SEKI rongée de culpabilité voit apparaître le fantôme de son défunt mari. Cette impression de cauchemar éveillé atteint son paroxysme lorsque SEKI perd la vue, dernière étape avant la chute finale et la condamnation des deux amants.
La musique de TORU TAKEMITSU joue un rôle essentiel, rajoutant cette envoûtante et inquiétante étrangeté qui parcourt tout le film.
Rappelant parfois sa contribution au chef d’œuvre LA FEMME DES SABLES, parenté que renforce la sensualité évidente de l’actrice KAZUKO YOSHIYUKI, proche de celle de KYOKO KISHIDA l’interprète de ce fameux film.
Sur la thématique Sexe/Crime très porteuse au cinéma, NAGISA OSHIMA nous donne cet EMPIRE DE LA PASSION visuellement somptueux et profond, bien dans la manière du cinéaste.
Amants crucifiés
Déjouant la censure japonaise très virulente suite à son précédent "Empire des Sens", Oshima ressuscite le kaidan eiga en signant une terrible histoire d'amour entâchée par le retour du fantôme du mari.
Mise en scène chiadée, intrigue parfaitement maîtrisée, malgré quelques longueurs et redondances, Oshima rélaise pourtant un très beau film de fantomes à la psychologie renforcée : le spectre du mari n'est pas moins la reminiscence d'un crime commis, le sentiment de culpabilité dont n'arriveront jamais à se débarasser les deux amants pas aussi maléfiques que présentés au départ du film. Leur amour est PASSIONNEL et leur brouille donc tout sens de la logique. Leur crime les entraînera dans une spirale infernale et un point de non-retour.
Si Oshima rend un bel hommage aux plus intélligents kaidan eiga, il n'en oublie pas pour autant ses premiers amours de jeunesse de la Nouvelle vague (la relation passionnelle des deux amants) et des grands classiques français du temps du muet (l'atroce plan de l'oeil perforé rappelant clairement la célèbre séquence gore du "Chien Andalou").
Moins provocateur et innovant que d'autres de ses oeuvres, "L'Empire de la Passion" reste pourtant un classique du genre.