un spectacle total
Avec Eijanaika, Imamura réussit à se réapproprier le film historique. Tout d'abord, le début du Meiji a beaucoup de points communs avec l'après-guerre durant lequel Imamura a grandi: ce sont des périodes de confusion, d'instabilité politique, de règne du matérialisme et de perte de repères et de plus on retrouve dans les deux cas un début d'occidentalisation du Japon du fait de l'arrivée des Américains. Ensuite, Imamura va s'attacher à montrer la révolte contre l'ordre établi en se concentrant sur les personnages à la marge (monde de la prostitution et des spectacles de rue) car ce sont les personnages que son cinéma a toujours affectionné et ceux qu'il a connus durant la période où il vivait du marché noir. Ce choix est pertinent car, à l'instar de l'après-guerre, cette période se caractérise aussi par de forts liens entre une partie du milieu politique et des gens en marge pour des raisons intéréssées. Le film décrit d'ailleurs la chute des codes d'honneur chez des samourais devenus mercenaires, les tentatives de récupération de la révolte par les réformistes du régime qui ne se doutent pas que le shogun veut la réprimer.
Surtout, Imamura va s'attacher à montrer la force de caractère des femmes durant une période trouble: la femme de Genji ne se soumet pas aux décisions de son mari (refus d'embarquer pour les Etats-Unis) et elle incarnera tout au long du film une insoumission festive (SPOILERS spectacle de danse dont la chanson-titre deviendra l'hymne de la révolte du peuple, final où elle urinera en public pour braver la garde du shogun et où malgré sa lassitude elle continuera la lutte contre le régime en place SPOILERS). Elle représente également la volonté passionnée et impose à son mari tous ses désirs sexuels. Dans le film, les rapports homme/femme sont présentés comme des rapports de force, rapports où la femme est force de vitalité.
La mise en scène est classique mais sa photographie est très crue, très réaliste tandis qu'un grand nombre de scènes se situent dans une obscurité quasi-totale. Imamura n'oublie pas les passages obligés du film historique: meurtres, complots, émeutes et ces scènes sont brillament exécutées. Son autre apport personnel est l'aspect baroque de certaines scènes: l'arrivée de l'éléphant des Indes, les spectacles de cancan commentant la révolte en marche, les émeutes finales où la joie insouciante et la prostestation provocatrice parce que non-violente des femmes explose. SPOILERS Dans les scènes finales, malgré l'échec de la révolte, on sent que quelque chose vacille (la garde du régime hésitera longtemps avant de tirer sur des émeutiers pacifistes). C'est ce que confirmera le texte final qui montrera que le combat de la femme de Genji n'était pas vain vu que le shogun chutera finalement, faisant entrer le Japon dans l'ère de la civilisation industrielle. On peut néanmoins apporter quelques bémols. Même si le film est une tentative de réintégrer le peuple, la marge, les oubliés de l'histoire aux grands changements historiques du Japon, Imamura demeure sceptique vis à vis de la modernisation. On sent bien que l'empathie du cinéaste va vers les figures de ce Japon paysan en voie de désertion durant la période historique du film. FIN SPOILERS
Entre temps, Imamura nous aura offert une beau spectacle et un hymne à l'insoumission des femmes.
Il était une fois la révolution au Japon...
Ambitieuse fresque qu'IMAMURA avait projeté de monter en tant que comédie musicale sur scène dès ... 1963, avant que ce ne soit un de ses étudiants qui ne le fasse avec sa promotion en 1977. L'immense succès de son "La vengeance est à moi" permet finalement au réalisateur de concrétiser son rêve.
Fresque historique prenant place en 1866 à l'avènement du Japon dans l'ère dite de modernité, IMAMURA n'est moins intéressé par les faits historiques et les personnages légendaires, que par l'épisode vécue par le petit peuple. Il s'attache donc à brosser un réaliste portrait des habitants d'Edo (Tokyo) de l'époque, sous-couche populaire composée de prostituées, paysans fuyant leurs terres pour trouver fortune à al ville et immigrés autrement rejetés par une nation hostile. Largement fellinien dans sa représentation visuelle, IMAMURA les dépeint comme des vrais êtres humains aux fonctions essentielles primaires : boire, manger, baiser. Raconté à travers la folle vie de Genji et de sa terrible fiancée Iné, le réalisateur ne s'attache moins à leur histoire, qu'ils ne lui servent de fil conducteur pour les besoins d'une représentation d'une communauté prise dans son ensemble, comme en témoigne sa mise en scène restant à distance et privilégiant les plans larges.
Pourchassant ses thèmes chéris à travers toute sa filmographie, le réalisateur dépeint une tranche de vie d'une communauté peuplée de maints individus somme toute simple. Si ses citadins sont dépeints comme des pauvres êtres sans grande culture, c'est qu'il porte un regard très dur sur la désertification des campagnes pour une vie dite "meilleure", alors qu'elle n'est que (dés-)illusion. La révolution annoncée et l'entrée du pays dans sa modernité donnent peur à voir...D'un autre côté, il tente de montrer une nouvelle fois le peuple tel qu'il est et forge une réelle identité à son pays.
Difficile à saisir par un côté historique spécifique, mais méconnu par le gros des occidentaux et des envolées lyriques - surtout en fin de film - également difficiles à cerner pour celui qui ne serait pas un minimum affilié aux coutumes japonaises; il n'empêche que même sans en saisir toute l'étendue, la séquence finale montrant l'affrontement entre la masse populaire face à l'armée est d'une rare puissance et à ranger à côté des scènes de foule parmi les plus maîtrisées de l'Histoire du Cinéma.
Parfaitement maîtrisée de bout en bout, regorgeant de plans à double-lectures, une grandiose fresque oubliée de l'Histoire du Cinéma Japonais.
L'arnaque au film historique pas Imamura !
L'époque Meiji est un lieu commun d'un certain film d'époque japonais: fin d'une certaine idée du Japon, fin de l'isolationisme alors ambiant, déclin du shogunat et déclin aussi de la caste des guerriers, peu à peu remplacée par une armée régulière (phénomène un peu comparable dans le fond aux modifications intervenues au tournant de l'époque classique en Europe). Bien des films se sont penchés sur cette période charnière, et les plus mémorables sont souvent ceux qui en ont dressé le portrait le plus amer: Goyokin, le Sabre du mal, Lady Snowblood entre autres... autant de film qui dessinaient un Japon à bout de souffle, en pleine décadence.
Tous ces points se retrouvent dans Eijanaika: la base étant une révolte populaire et les intrigues politiciennes visant le Shogun, le fond politique est présent. L'influence américaine ensuite, personifiée par le héro qui a vécu et veut retourner au Etats-Unis, mais aussi par la fascination que la culture anglo-saxonne exerce sur les potentats avides. La perte des valeurs de l'honneur et de la dignité liée au bushido ensuite, incarnée par le personnage du samourai (Ogata Ken) qui se vend de la façon la plus cynique parce que sa vie n'a plus de sens. Mais au final le film d'Imamura est surtout une duperie implacable. Ce qui est doublement paradoxal si, comme le fait remarquer Ordell Robie, la Meiji jidai a de fortes affinités avec la black-market generation dont est issue Imamura!
On pourrait d'abord postuler que si le film n'est pas un film historique au sens fort du terme, c'est parce que, délibérément, Imamura choisit des personnages médiocres, des petits, des hommes communs jusqu'à la banalité. Ce n'est pas un bio-pic des grands hommes qui prirent les grandes décisions, ca non! Mais le pire, c'est que ces personnages ne sont pas non plus des acteurs particulièrement signifiant de cette période: Genji n'est pas un idéaliste exalté, c'est avant tout un mec qui veut récupérer sa femme pour se faire la malle aux Etats-Unis. Iné n'est quand à elle qu'une pauvre fille victime de sa propre indécision (un personnage les plus gonflants mais aussi les plus attachants du catalogue de caractères de femmes assez chargé d'Imamura) mais qui a cette force formidable qu'elle finit toujours par retomber sur ses pattes.
Le film n'est pas pour autant vide de grande figures politiques, mais ici aussi l'absence de sérieux avec laquelle Imamura les traite est assez formidable: neuf fois sur dix ils se contentent de donner des ordres contradictoires et de boire! La façon qu'ils ont d'exploiter des parsonnages aussi peu reluisants que des macreaux ou des ronins dégoutés n'en fait pas des personnages bien reluisants. A coté de leur mesquinerie et finalement de leur ridicule, les personnages anonymes qui sont les vrais héros du film en sortent bien grandis. C'est la fresque du peuple qui intéresse Imamura et c'est tout. Ses personnages, ils les aime, point, et cet amour n'a rien à voir avec l'admiration due à une époque révolue du Japon. De la tendresse et puis c'est tout. Aimer, c'est adhérer semble-t-il nous dire.
Il n'y a guère qu'à la fin, avec la scène de protestation populaire et sa répression sanglante que l'on arrive à un vrai tableau de film historique, épique et beau, même s'il s'agit avant tout d'une liesse populaire burlesque! Le sérieux démesuré avec lequel la caste militaire répond à celle-ci est la démonstration ultime de son obsolence. Le monde se rit des militaires rigides qui ont fait la grandeur du Japon et se font une gloriole de continuer à le diriger. La fin amère nous laisse le cul entre deux chaises: était-ce vraiment bien sérieux? S'agissait-il vraiment d'un film historique? Toute cette gaudriole valait-elle bien la peine d'une telle violence? Le personnage n'ont-ils pas été pris trop au sérieux? Nous même ne prennons-nous pas Eijanaika trop au sérieux quand nous disons qu'il s'agit d'un film historique? Imamura, comme d'habitude, ne nous aurait-il pas arnaqué en nous laissant croire qu'il laisserait son ironie moqueuse le temps d'un film?