El Topo | 4.25 | Le Trou, version Série Blanche ? |
Junta | 3.75 | Bon film de prison à la narration lente. |
Ordell Robbie | 2 | Prison sans Feu |
Il est bien difficile de voir pareil film décrivant le quotidien carcéral d’une cellule à 5 occupants sans penser à l’ultime chef d’œuvre de Jacques Becker, Le Trou (adapté du roman de José Giovanni issu de la fameuse Série Noire). Pourtant c’est dans ces fondements même que Doing Time se démarque du film de Becker en annihilant une de ses données premières : ni Hanawa (le narrateur et personnage principal admirablement campé par Yamazaki Tsutomu), ni ses compagnons de cellules n’ont la moindre intention de s’évader de prison ; pire, ils y sont bien (Hanawa va jusqu’à s’émerveiller qu’on les nourrisse tous les jours, il affirme « Je ne mérite pas tant de luxe après tout le mal que j’ai fait »).
De ce fait, le film se trouve dépourvu de tout ce qui pourrait constituer la base d’une hypothétique intrigue et s’architecture autour d’une esthétique du dérisoire. Dérisoire du crime commis par Hanawa, dérisoire de ces règlements qui régissent la vie des détenus, dérisoire de ce qui déchaîne leurs passions, dérisoire des procédures fastidieuse à entreprendre pour pouvoir effectuer un geste infime, dérisoire des détails auquels on s’attache dans l’organisation du temps et des espaces, dérisoire des fautes vénielles qui amènent à croupir dans une cellule individuelle…
Le quotidien des prisonniers n’est rythmé que par des détails, le temps est étiré à l’infini (au point qu’il est impossible d’estimer la durée diégètique du film), impression appuyée par l’usage du ralenti à plusieurs reprises, et notamment quand sourd une manifestation du monde extérieur sous la forme par exemple d’un avion qui survole la prison, laissant planer son ombre sur les détenus avant de disparaître dans un horizon forcément opaque et inaccessible…
C’est Hanawa qui guide le spectateur dans cette démystification de la prison. Il la montre à travers ses yeux, la commente en voix-off (remarquable), dirige une visite qui s’articule autour de ses associations d’idées. Comme les autres occupants de sa cellule, l’esprit de Hanawa se focalise essentiellement sur la nourriture qui a un rôle majeur dans le développement du film. Les repas syncopent l’écoulement des journées, stimulent, attisent les désirs, et l’imagination des détenus (capables de s’émerveiller pendant un long moment, avec un enthousiasme et un appétit communicatifs, autour de l’hypothétique festin de Nouvel An). La nourriture devient même matricielle et génératrice de récit quand elle fonctionne en « madeleine proustienne » pour les prisonniers à qui elle évoque des temps heureux où la pitance paraissait avoir moins bon goût ou quand elle est ce qui rassemble (dans l’acception la plus forte du terme) les hommes entre eux.
Même si Doing Time est né d’un manga directement tiré de l’expérience vécue du véritable Hanawa Kazuichi, on peut légitimement s’interroger en tant que spectateur occidental, sur la valeur documentaire d’un tel film. Le regard porté sur l’univers carcéral par l’œuvre de Sai Yoichi (Dog Race, All under the Moon, assistant d’Oshima Nagisa sur L’Empire de Sens) présente beaucoup d’humour et d’ironie distanciée ce qui amène à penser que l’objectif de la caméra n’offre ici qu’une perspective déformée de la prison. Pourtant, on ne s’en plaindra pas, car dans Doing Time l’essentiel est sans doute ailleurs.
Cette idée est accentuée par la vision des prisonniers donnée dans le film. Ces hommes, pour la plupart dans la force l’âge, apparaissent pour l’écrasante majorité d’entre eux comme de grands enfants qui multiplient les attitudes puériles. Il règne dans la prison une atmosphère de colonie de vacances tout juste atténuée par la présence des seuls personnages qui soient caractérisés comme des adultes : les gardiens. Les détenus se plaisent ainsi à commenter certaines particularités anatomiques entrevues un jour de bain collectif, témoignent d’un enthousiasme presque irrationnel à l’idée de dévorer des sucreries, se jalousent au gré des fayotages d’untel, jouent au base-ball, mettent de la sauce de soja sur leur riz (on ne peut faire plus puéril à table pour les Japonais), échangent candidement leurs adresses quand cela est interdit par les règles de la prison… En fait, avant même d’être incarcéré, Hanawa jouait déjà. Le pantomime guerrier du pré-générique est à cet égard significatif puisque il montre que ce n’est pas la prison qui fait des enfants de ces hommes qu’on peine à imaginer (comme dans le film de Becker) comme des voleurs, des assassins, des drogués… Pour s’en convaincre, il suffit de voir l’émerveillement du cercle qui se forme autour d’Hanawa quand il déballe religieusement une réplique du fameux Magnum 44 de Dirty Harry. Ainsi, les personnages de Sai offrent de nombreuses similitudes avec les deux adolescents plein d’illusions et de naïveté du Kids Return de Kitano Takeshi dont quelques fugaces extraits apparaissent au cours d’une projection pour prisonniers sages. Est-ce ainsi que Sai voit les Japonais de sa génération ? Le trait est féroce mais on peut le penser.
Porté par la réalisation simple et élégante de Sai Yoichi, le talent de ce dernier pour installer la durée, le score minimaliste qui rend le film d’autant plus touchant, une excellente interprétation des différents acteurs (en particulier un très grand Taguchi Tomorowo à contre-emploi et une apparition remarquable de Kubozuka Yosuke), un regard plein d’humour et de finesse sur le milieu carcéral, un rapport aussi réjouissant qu’appétissant à la nourriture (qu’il partage avec le Tampopo d’Itami Juzo avec lequel il a aussi en commun l’acteur Yamazaki Tsutomu) et la légèreté de son ton, Doing Time est donc bien plus qu’un film sur la prison. Le film de Sai Yoichi transcende ce sujet pour se muer en une chronique lumineuse de l’expérience, ici, drôle et émouvante d’un homme-enfant dans un univers carcéral qui cristallise certains aspects du Japon contemporain.
Du reste, les plus beaux moments du film sont peut être ceux où la caméra vient nous rappeler que la prison n’est pas un espace clos et accompagne, le temps d’un plan fugitif, l’esprit d’Hanawa dans ses évasions.
Présenté à la Panasia de Deauville et raté à ce moment-là pour ce qui me concerne, Doing Time ne fait rien pour réhausser après coup mon impression sur la sélection 2003 du Festival. Certes, il y avait bien plus médiocre à Deauville mais Doing Time appartient à la catégorie cinématographique du ventre mou. Adapté d'un manga culte et autobiographique de Hanawa Kazuichi, le film de Sai Yoichi se présente comme une suite de saynètes sur le monde de la prison : d'un coté, un travail à la chaine et des contraintes de discipline -marche au pas, respect des chefs- plus proche de l'univers militaire, mais de l'autre une vraie absurdité avec ces prisonniers levant la main pour demander d'aller faire leur commission ou pour faire activer le WC de leur cellule afin de pouvoir uriner. La limite est que si le film se veut comique sa lenteur rythmique l'empeche d'etre efficace et alerte en tant que comédie, un peu comme si Hou Hsiao Hsien essayait de réaliser un Chow Sing Chi, et en plus tous ses gags tombent à l'eau. Les acteurs font leur travail correctement mais rien n'arrive à faire oublier le caractère quelconque des mouvements de caméra ou du choix des cadrages.
Surtout, le film n'arrive pas tout à fait à égaler la précision minutieuse, millimétrée jusqu'à l'absurde dans la description de l'univers carcéral au quotidien qui faisait la force du manga d'origine. Précision qui compensait une psychologie des personnages venant de divers milieux sociaux (yakuza, aristocrate...) pas vraiment fouillée. Vu qu'il ne reste à l'écran que le second aspect, le film en pâtit. Un coup pour rien.