Une descente aux enfers réaliste et sans concessions
Lorsqu’on a vu les 2 autres films de Tran Anh Hung (A la verticale de l’été, L’odeur de la Papaye Verte), on ne peut être que surpris devant celui-là. Car non, Hung n’est pas seulement un réalisateur zen, à la sagesse toute orientale, caractéristique qu’on pouvait lui attribuer a priori ; il est aussi capable, caméra au poing, d’être acerbe et violent, d’être dénonciateur et compassionnel de manière plus radicale. Cyclo nous en donne la preuve pendant plus de 2H.
D’ailleurs, c’est un peu normal. En tant que quasi-seul représentant du cinéma vietnamien sur la scène internationale, il se devait de décrire la réalité du quotidien de ses concitoyens, la réalité d’un pays qui sort de plus de 30 ans de guerre. Il a donc choisi de décrire la vie d’une famille comme tant d’autres, composée de parents absents, d’une fille aînée marchande, d’un fils cyclo et d’une fille cadette cireuse de pompes dans les restaurants.
Ce qui sous-tend le propos du film, c’est le fait de montrer comment on glisse progressivement du côté obscur, sans s’en rendre compte, lorsqu’on vit dans la misère. Pour ce faire, TAH a choisi un vecteur charismatique, le très beau et très mystérieux Tony Leung CW. A son contact, la fille aînée devient son amante et accepte de se prostituer pour lui. A son contact, le fils cyclo accepte de tremper dans des combines louches pour rembourser son cyclo volé. Par miracle, les 2 s’en sortiront juste à temps, avant qu’il ne soit trop tard.
J’ai cependant eu du mal à adhérer totalement au film. On dirait que TAH a beaucoup à nous montrer, peut-être même trop, et qu’il y a fourré toutes ses images de manière plutôt bordélique. Il tente d’y introduire de la poésie (la peinture, le meurtre) là où il n’y en a pas forcément besoin, et se montre maladroit, voire caricatural en voulant dénoncer par exemple la fracture sociale (le panoramique vers la fin, où l’on voit des riches lézarder au soleil au bord de la piscine d’un hôtel luxueux, une palissade puis la misère de la rue, qui contraste évidemment avec ce monde surfait). Sans compter que le film est un peu trop long (en fait il n’en finit pas…).
Beau. Dur. Très dur.
Caméra cachée dans une vraie foule, plan serrés, visages crispés, souffrance partagée. Cyclo est un film terrible de réalisme. Beaucoup plus dur que tous les films de combats ou de triades qui s'étripent : ici, pas de recul possible. Tout est vraisemblable, impossible de se dire que tout n'est pas vrai. On n'en fait pas trop, mais on va jusqu'au bout. Les personnages n'ont pas de nom (le poète, la berceuse, le couteau, etc), leur souffrance est sans nom. La vie intérieure se lit à livre ouvert dans ces âmes déchirées. Tout cela est quelque fois à la limite du supportable. Magnifique. Sans parler de l'esthétique remarquable, du sens de la symbolique, de la construction de l'histoire.
Je ne connaissais pas du tout le réalisateur, une belle découverte, un film à revoir.
A REVOIR
Un drame original à la fois sombre, sobre et envoûtant dans le Viet-nam d'aujourd'hui.
Tran - au top
Je me suis envoyé la filmo de Tran Anh Hung en longueur (répartition sur plusieurs année) mais à l'envers... J'ai commencé par le commencement en appréciant à sa juste valeur "L'Odeur De La Papaye Verte" (1993), j'ai continué, intrigué par "A La Verticale De l'Eté" qui m'a alors littéralement fasciné par sa poésie et ses belles couleurs. Anachronisme oblige, j'ai donc achevé cette rétrospective par le deuxième film de l'auteur franco-vietnamien : Cyclo.
Je ne vais pas tenter de raconter l'histoire, bien que tout se joue sur la longueur et l'intensité des moments (donc scénario simple et narration quasi impossible) ; je vais plutôt essayer de retranscrir brièvement ce qui m'a ému et ce qui conditionnera ce souvenir que j'aurai bâti un soir d'Avril 2003.
La photographie signée Benoît Delhomme et le premier élement qui justifie amplement le Lion d'Or remporté à Venise en 1995. Les images d'une finesse aux couleurs si chaude par moments et si froide par d'autres - comme une trace indélébile du Vietnam des années 90 - lumière propre et spéciale - envoutent par leurs franchise...
L'histoire complétée par la présence de Tony Leung nous empèche de ne pas rapprocher le film de Tran à l'ambiance suave des films du hongkongai Wong Kar-wai - "Days Of Being Wild" (Nos Années Sauvages) (1990) notamment.
Des femmes perdues qui s'abandonnent à aimer un homme pas forcément bon.
Le désepoir de la misère humaine qui pousse les gens déstitués à compter les uns sur les autres pour survivre.
Une solution honorable et largement étudiée par les personnages qui traduisent la cruauté des rapports humains une fois l'argent introduit entre eux.
Le film est beau et son souvenir restera gravé intact jusqu'au prochain visionnage... si j'ose prendre le risque de peut-être modifier le souvenir qu'il m'a laissé.
David Federmann, le 18 Avril 2003 à Strasbourg