Xavier Chanoine | 2.75 | Bien emballé et vif, mais un grave manque de surprises |
S’il y en a un qui peut se targuer d’être taxé de « cinéaste pépère », c’est bien Kwak Jae-Yong, éternel monsieur My Sassy Girl pour les plus incultes d’entre nous, coup d’essai coup de maître qui le propulsa sur le devant de la scène au début des années 2000. Pourquoi « cinéaste pépère » donc ? Le terme peut être un peu fort, un poil flambeur aussi, mais rien de plus logique dans la mesure où ce dernier n’a pas un rythme de travail de forcené, dispose de liquidités confortables pour mettre en scène ce qui lui passe par la tête (même le plus saugrenu), tourne en 2007 au Japon avant de proposer ses services pour le dernier Tsui Hark en Chine. Tout ça avec 3-4 films au compteur l’air de rien.
Mais une chose ne semble pas changer chez Kwak Jae-Yong. Son approche du mélodrame partant automatiquement d’une vision comique de la chose, burlesque jusqu’au bout, n’hésitant pas à afficher une quantité de gags plus ou moins drôles à la chaîne pendant une heure avant de verser peu à peu vers le genre tire-larme convenu mais efficace. Cyborg Girl c’est donc la redéfinition de son cinéma depuis My Sassy Girl, sorte de mise à jour du cahier des charges coréen avec ici une traduction japonaise. Tout simplement. Jiro fête chaque année son anniversaire seul, personne ne le lui souhaite. Au restaurant dans lequel il a l’habitude d’aller apparaît une jeune femme très étrange. Elle vient du futur, ses mimiques kawai rappellent ce que l’on a déjà vu dans Windstruck, on y retrouve alors ces même jeunes qui courent, sourient et se chamaillent gentiment. On se sépare et l’on se retrouve un an plus tard, mais cette fois-ci sous une autre enveloppe : la jeune femme du futur est à présent un cyborg censé protéger son propre créateur d’un immense désastre, et ce créateur n’est autre que Jiro 65 ans plus tard. On vous passe alors la déferlante de gags mettant en scène un robot découvrant ce qu’est la vie sur Terre, elle ne paie pas ce qu’elle trouve en magasins, boit du parfum, et résiste très mal à l’alcool. Elle ne sait pas non plus ce qu’est le sexe, Jiro aura d’ailleurs du mal à lui expliquer malgré son envie de la ploter en douce, il faut dire que cette femme cyborg est juste un énorme canon. Elle se prend aussi pour un super héro en sauvant un gosse d’un accident tragique et en jetant par-dessus bord un preneur d’otages d’un lycée quelconque, le tout filmé par une équipe de journalistes en folie. Face à cette star discrète aux émotions plates, Jiro reste déçu, lui qui ressent –logiquement- des choses pour cet être pas comme les autres. Elle peut sentir son cœur battre lorsqu’il la prend dans ses bras, mais ses émotions restent uniquement robotiques (protection, aide à autrui). Frustration.
Là où Cyborg Girl devient moins intéressant, c’est dans sa seconde partie sans queue ni tête, où l’apocalypse plombe un peu les bases du film. On rit moins, on ne pleure pas non plus (là où un My Sassy Girl nous obligeait à sortir la boite de mouchoirs), on reste spectateur passif devant l’accumulation de scènes de catastrophe qui n’apportent finalement pas grand-chose. Le fait que Cyborg Girl épuise ses idées dans un contexte qui ne lui est pas bien approprié (idée paradoxale d’ailleurs) le dénue de tout son charme, bien sûr les gags téléphonés à la chaîne ne font pas montre d’une vraie originalité jusque là, mais ce n’est que comme cela que l’on s’attache au robot et que l’on commence à croire en une possible relation entre elle et Jiro. La catastrophe crée donc la rupture entre deux univers bien distincts, l’un se déroulant de nos jours et l’autre 60, 100 ans plus tard. Le changement d’époque ne semble être qu’un prétexte à Kwak Jae-Yong de mettre en scène son délire noyé sous des tonnes d’argent consacrées aux effets-spéciaux, ce qui nuit à l’attachement que l’on peut avoir envers Cyborg Girl. Les passages se déroulant dans le passé (baignant dans une esthétique chaude et humide) tout comme ceux dans le futur restent gratuits. La simplicité l’aurait emporté sur tout, la vision du futur ne fait qu’aseptiser l’univers. Elle le rend froid, c’en est presque triste de voir Jiro avec 60 balais de plus, accompagné de la même femme cyborg qui reste hélas qu’à l’état de boîte de conserve programmée pour protéger et pour lui souhaiter un bon anniversaire chaque année. N’allons pas non plus trouver de sens au programme d’enchères orchestré par Endo Kenichi ou au musée de « personnalités », tout n’est que décoration dépourvue d’âme et de sens. Restons plutôt dans le monde d’aujourd’hui à rigoler devant les mimiques de Koide Keisuke (réplique japonaise quasi exacte de Cha Tae-Hyun au passage) et à s’extasier devant l’adorable idole Ayase Haruka qui remplit parfaitement son contrat dans la peau d’un être sans émotion, naïve dans le monde dans lequel elle évolue. Son interprétation est plus intéressante qu’on ne pense puisqu’elle ne fait jamais preuve de sur-jeu malgré les capacités de son personnage à foutre la raclé aux méchants et à paraître au final « nunuche ».
Autre point rageant, la superbe mise en scène du cinéaste est souvent hors propos. Scope fluide, ample, presque gracieux au service d’une simple romance où tout est à peu près anticipable à l’avance et dans laquelle les univers sont bien trop détachés pour trouver une cohérence au niveau de l’esthétique du film. Tout y passe, de jour comme de nuit, des marchés nocturnes éclairés à la lanterne aux paysages de catastrophe brumeux et poussiéreux, mais l’ensemble est trop froid. La « virtuosité » du cinéaste pour mettre en scène ses personnages et pour créer cette identité visuelle parfois proche du manga est louable (comme les cours en classe orchestrés par Takenaka Naoto, visuellement jubilatoires), mais il manque un semblant d’âme pour crier au plaisir définitif, un semblant d’originalité où l’on ne serait pas obligés de retrouver ces mêmes séquences de clubbing déjà vues ailleurs, ces mêmes discussions larmoyantes la nuit, ces pichenettes maladroites, ces « tu m’as terriblement manqué » ou encore « ferme les yeux et compte jusqu’à 1000 » aux sonorités clichées, trop clichées. De plus, repasser en fragments l’introduction du film avec une voix off supplémentaire en guise d’épilogue « nostalgique » relève du tic larmoyant qui ne trouve ici pas sa cible. Et la musique, belle et accordée aux propos ne dispose pourtant d’aucuns thèmes marquants comme pouvaient l’être ceux de My Sassy Girl. Dieu merci on nous épargne le Canon de Pachelbel. Au final Cyborg Girl remplit son contrat à la lettre de vraie comédie romantique divertissante, bien mise en scène et pas interprétée par des jeunes manches, mais elle manque terriblement d’originalité pour marquer un minimum. On retiendra donc la relation que Jiro entretient avec le cyborg sans jamais réussir à aller plus loin qu’il n’espère, leurs histoires à côté et le sort réservé au monde, on s’en ficherait presque…