El Topo | 4.25 | Coup d'essai/coup de maître de la comédie pour Ishii Sogo |
Ordell Robbie | 4 | Aussi jouissif que corrosif |
Xavier Chanoine | 3.5 | Dynamitage en règle(s) ! |
Bien avant d'offrir d'intéréssantes relectures du thriller (Angel Dust) et du chambara (Gojoe), Ishii Sogo avait déjà offert en pleines eighties de crise du cinéma nippon une réussite dans un genre où l'on attendait pas le réalisateur punk de Burst City: la comédie. On peut même dire que ce Crazy Family fait partie avec l'excellent western culinaire Tampopo des vraies réussites de la comédie japonaise eighties. Ishii reprend ici un sujet vieux comme Ozu -le quotidien de la famille japonaise typique- pour mieux lui appliquer son goût du coup d'éclat visuel, un vrai sens du gag et du vitriol. Sous ses apparences de délire faisant mouche avec une régularité que n'a jamais atteinte un Miike d'ailleurs fan du film, le film d'Ishii offre un portrait acerbe d'un Japon alors économiquement au sommet et à l'arrière-boutique bien moins resplendissante que sa façade. Vieillard de nouveau assailli par les fantômes du Japon des années de guerre, petite fille se rêvant star, gamin obsédé par les études, mari ne supportant pas l'exubérance de sa femme et cherchant à faire le ménage dans un chaos intime contrastant trop avec sa vie d'employé modèle.
Spoilers Où se révèle de façon attendue que le plus "malade" n'est pas celui que l'on croit dans cette cellule familiale nipponne type au bord de l'explosion. Pas étonnant d'ailleurs que le salut final vienne de la destruction d'un pavillon/symbole de l'idéal de vie du salaryman nippon eighties et de l'éclatement de la cellule familiale. Comme s'il fallait repartir à zéro pour oublier cet idéal factice... Fin Spoilers Pour mener à bien son entreprise jouissive de démolition de la famille japonaise type, Ishii déploie un arsenal fait de mouvements de caméra parfois aussi énergiques que le montage du film et n'hésite pas à parodier aussi bien le film d'horreur que le film de guerre et le film catastrophe. Il n'oublie pas non plus entre deux gags de rendre à ses personnages un minimum humainement attachants, évitant l'écueil de la caricature.
Du coup, on pardonnera au film de parfois faire dans une surstylisation années 80 dans la mise en scène et le montage. Et aussi certains procédés plus du tout efficaces au visionnage aujourd'hui à force d'avoir été déclinés à outrance par le cinéma asiatique (les cadrages de près sous influence manga pour produire un effet comique). Pour un Ishii n'ayant rien à envier à ses réussites des années 90.
Avis Express
Faire voler en éclat une famille modèle dans un Japon qui connaît l’une de ses ères les plus prospères est aussi jouissif que lourd de sens. Ici, Ishii Sogo se place en rejeton d’Ozu, sans être le plus respectable. Pire encore, il est bien le vilain petit canard de la famille que les plus punks d’entre nous/vous attendaient. En faisant le ménage dans ce train-train quotidien d’une famille qui a réussi (une réussite qui passe par l’acquisition d’une grande maison), vive le miracle économique, Ishii Sogo remet en question ce modèle et y expose le dérèglement psychologique de cette famille entourée de murs et de cloisons. C’est donc cela, le bonheur ? La venue d’un étranger (plus précisément l’un des grands-parents) y est perçue comme une attaque extérieure qui accélère alors le processus de dérèglement, aboutissant à une folie contagieuse. Le résultat n’en sera que plus explosif, à la manière du final incroyable de The Family Game (Morita Yoshimitsu, 1984) où le cinéaste quadrille sa mise en scène comme l’aurait fait Ozu pour finalement transformer une scène de repas presque anecdotique en un véritable champ de bataille. Sauf que finalement son compère Ishii laisse planer un semblant d’espoir en se servant d’une morale qui viserait à dire « tout détruire pour mieux repartir ». Drôle, épineux, visuellement spectaculaire et habité par l’hystérie de ses interprètes, The Crazy Family envoie du lourd avec un réel panache.