Une histoire d'amour dans un Japon en plein contestation
Dès le deuxième film d'Oshima, on comprend que le garçon a du talent à revendre, c'est flagrant. Mais pour bien apprécier le film, il faut le voir en ayant conscience des évènements de l'époque. La nouvelle vague française, notamment les films de Godard (A bout de souffle), semble avoir marqué et influencé le jeune Oshima de par son souffle de fraicheur sur un Septième Art en perte de vitesse.
Son film retrace les aventures peu glorieuses de deux jeunes un peu paumés ( la jeune fille a un visage très étrange, je serais incapable de dire si elle est jolie ou pas...), deux petits truands qui vivent dans un Japon déboussolé, en proie à de violentes manifestations contre le régime en place et la mainmise des américains sur leur vie quotidienne. L'histoire d'amour qui va se nouer entre les deux personnages sera à la fois passionnée et complexe, en tout cas imprévisible, au même titre que les évènements extérieurs.
Malgré tout, le film est globalement assez inégal, des plans superbes et riches succédant à d'autres moins captivants. Mais il reste un portrait original de la jeunesse qui remet en cause les valeurs traditionnelles de la société nippone. Grâce à ce film, et 10 ans après la reconnaissance du cinéma japonais sur le plan mondial avec Kurosawa, on peut dire que la « nouvelle vague » nippone est née.
Nouvelle Vague
A Bout de Souffle japonais ces Contes Cruels de la jeunesse? En un sens oui vu qu’à l’instar du coup d’éclat godardien le film et son succès surprise ouvrirent la voie à la Nouvelle Vague de son pays natal. Avec son premier film A Street of love and hope, Oshima avait offert un drame social dont le traitement retenu et sobre était aux antipodes des mélodrames alors en vogue. Cette fois, il impose de façon magistrale sa marque à un sujet qui aurait pu être celui d’un de ces sulfureux taiyozokus fifties.
On pourrait même dire qu’esthétiquement le film reprend (de façon beaucoup plus convaincante) les choses là où ce Passions Juvéniles signé Nakahira Ko célébré par Oshima critique les avait laissées. Là encore, il est question de coller au plus près du ressenti des personnages par la mise en scène et le montage. Pour ce faire, Oshima n’hésite pas lui aussi à user de ruptures rythmiques :à de longs plans séquences dialogués peut succéder une situation coupée par le montage avant d’être arrivée à son terme d’où un certain nombre de trous narratifs. Mais le montage du film d’Oshima est quand meme bien moins bancal que celui du film de Nakahira, Oshima coupant toujours au moment opportun ses plans séquences sans inutilement les étirer. Cet art de la rupture se retrouve d’ailleurs de façon bienheureuse dans le montage sonore. Toujours dans cette optique de coller au ressenti, Oshima n’hésite pas non plus à user de caméras à l’épaule faisant ressentir le chaos d’une bagarre ou à pointer sa caméra sur le détail révélateur de l’état d’esprit d’un personnage (le gros plan sur une main battant la mesure d’un morceau rock’n’roll). Ou à cadrer pour coller aux émotions des personnages sans chercher le beau plan ou la précision. On notera également un usage réussi de la musique. Le score rock’n’roll donne au film son petit parfum sixties de façon attendue dans les scènes de club mais est aussi utilisé de façon plus surprenante dans la scène du bain de bord de mer des amoureux. Dans ce dernier cas, il apporte une note insouciante que n’aurait pas apporté un score lyrique plus attendu. La partie classique du score est quant à elle utilisée de façon sobre, sans pompiérisme ni surlignage dramatique.
Mais là où la rébellion de Passions Juvéniles était (cf mon avis sur le film) ambiguë, point de cela chez Oshima. En montrant dès l’ouverture du film une femme usant de sa jeunesse pour être ramenée en voiture par un conducteur espérant plus, Oshima fait déjà écho à ce qui sera une grande thématique godardienne : la femme vue comme objet (de consommation) et dès lors comme reflet d’un certain mercantilisme. Très vite, le plonge dans l’actualité la plus brûlante avec ce flash évoquant la Corée du Sud : le thème des rapports entre ce pays et le Japon sera développé plus tard dans l’œuvre du cinéaste. Puis avec ces séquences de manifestations nous rappelant qu’en 1959 le Japon était terre de contestation du Traité de paix américano-japonais. Le film va alors se révéler un tableau où derrière l’insouciance sixties apparente la noirceur va finir par dominer. Les deux amoureux du film y font du off shore mais c’est bien moins glorieux que les héros de Nakahira : ils le font au milieu d’un paysage triste, en pleine désolation. Et s’ils choisissent de vivre leur amour en rébellion contre leur entourage, leur relation n’est pas pour autant idéalisée. Chacun d’eux doit aussi user de son corps pour survivre financièrement et ils vont tomber ensemble hors de la légalité sans réaliser ce qu’ils font. La jeune femme devra ainsi user de ses charmes pour permettre à son boyfriend d’extorquer de l’argent à des hommes âgés. Et le jeune homme est dépendant financièrement d’une autre partenaire plus âgée. Il ne la respecte pas vraiment non plus, écoutant plus ses désirs égoïstes et incapable d’être vraiment attentionné. Elle trouvera d’ailleurs réconfort provisoire auprès d’un homme plus âgé et plus attentionné. Sauf que toute rebelle aux convenances et aux aînés qu’elle soit leur relation ne semble aller nulle part, ne peut rien construire de stable vu la situation d’amoureux dépendant du vol et survivant juste.
Fassbinder fut souvent rapproché d'Oshima par certains exégètes. Il est vrai que là où l’Allemand montrait l’envers du miracle économique de la RFA le Japonais évoque ici au détour de quelques scènes les lendemains qui déchantent après la part d’espoir de 1945 et n’hésite pas à pointer son regard vers les déçus du miracle économique en cours. Mais Fassbinder disait aussi qu’il ne fallait pas qu’en sortant d’une salle un spectateur soit heureux car il n’aurait plus envie de faire la révolution. Mission parfaitement accomplie par le film d’Oshima. Spoilers A la fin du film, les deux personnages sont libérés et aimeraient vivre leur amour. Mais le moment où les amoureux désormais brisés par la vie doivent semer celle qui a permis la libération du jeune homme joue le rôle de révélateur de voie sans issue : ils ne peuvent payer le taxi et c’est la poursuivante qui le règle. D’où ensuite ces adieux où le jeune homme refuse l’amour de son ex-compagne d’infortune et décide de la quitter, conscient que dans leur situation, dans ce contexte leur relation ne peut aller nulle part. Et le film d’enfoncer le clou en séparant définitivement ces deux amoureux dans une fin d’une grande noirceur. Fin Spoilers
Bien sûr, Oshima ne les aura jamais idéalisés ni condamnés, il évite le jugement moral comme l’excuse du type «victimes de la société». Il laisse juste le spectateur aussi furieux contre le destin de ces jeunes nés au mauvais endroit, au mauvais moment qu’il l’est en tant que cinéaste contre la situation de la jeunesse japonaise de son temps. A cette époque, il croyait encore que la caméra pouvait être un instrument de révolution sociale. Plus tard, il n’y croira plus.
A s'en mordre les doigts
Détesté par Kido Shiro (à la tête de la Shochiku depuis 1924) que le trouvait trop "tendancieux", voilà l'un des films qui entraîna le conflit entre Oshima et sa boîte de production avant d'être purement viré après la distribution de
Nuit et brouillard au Japon, lequel créera sa boîte de production indépendante pour laisser libre cours à son art. Dans
Contes cruels de la Jeunesse il est question d'anarchie, d'amour et de violence à la manière d'
Orange Mécanique. On se crée une identité (voyous sommaires), on trouve le moyen de s'amuser dehors et de se faire de l'argent facile (par la violence) sans forcément penser aux répercutions possibles que tout cela entraîne. Les virées des deux amoureux ne représentent jamais quelconque forme de paradis, juste des errances car la société ne leur correspond plus. Oshima voulait dépeindre le portrait de la jeunesse nippone actuelle, en danger et incapable de faire preuve de communication. Il réussit à faire passer son message, mais s'endort sur ses lauriers en milieu de métrage à cause d'un manque de rythme et une succession de scènes qui n'apportent pas grand chose au récit si ce n'est que d'appuyer davantage le propos d'Oshima, lequel nous l'assène pourtant déjà depuis trois quart d'heures. En revanche, le scénario trouve sa force lors des séquences de passages à tabac et dans la représentation de sa violence. Lorsque les jeunes tapent sur les plus vieux, ils finissent par s'en mordre les doigts à la fois face à la police et la mafia. L'ultime plan du film d'Oshima en est le plus parfait illustrateur.