Ordell Robbie | 3.5 | Yakuzas dans le brouillard |
Xavier Chanoine | 3.5 | Dans la continuité des précédents films |
Troisième volet de la série des Jingi naki takai en un an, ce Proxy Wars est aussi intéréssant que difficile à suivre et nécessite peut etre d'etre revisionné pour etre pleinement apprécié. Car il est aussi intéréssant que surchargé narrativement. Avec toutes les rivalités, les alliances entre clans et les calculs stratégiques ici dépeints, il y aurait eu de quoi faire un film de 2 heures 30/3 heures plus digeste. Car ce qui se déroule sous nos yeux est des plus passionnants. Le film commence en 1960 et se termine en 1963, année de l'assassinat de Kennedy et du début de l'engagement américain au Viet Nam. Il s'agit cette fois pour Fukasaku de montrer les conflits claniques de l'univers des yakuzas comme un reflet de ce qu'on appelait les "conflits de Guerre Froide", soit des conflits locaux déclenchés pour servir les intérets stratégiques des Etats Unis ou de l'URSS. Et l'on voit effectivement des figures de yakuzas n'hésitant pas à faire des vagues, des alliances, à déclencher des guerres de clans dans le propre intéret de leur ascension. Le personnage d'Hirono va tenter ainsi tout au long du film de contracte des alliances afin de servir les intérets de son clan. Sauf que progressivement cet univers dont il croit maitriser les règles va se retourner contre lui.
Quant à Ushimoto qui tente de profiter de l'instabilité due à la disparition d'un héritier potentiel du clan Muraoka, il incarne une figure du yakuza businessman n'ayant pas peur de contracter des alliances au mépris des principes régissant l'univers yakuza pour "étendre" son pouvoir. Fukasaku rejoint alors les grands cinéastes américains qui dépeignirent l'univers mafieux comme une entreprise en montrant les compétitions entre individus, entre clans comme aussi féroces que peut l'etre la compétition économique. Le fiasco d'Hirono à la fin du film ne sera d'ailleurs pas que professionnel mais personnel. On aura en effet vu au début du film une mère demander à son clan de "protéger" son fils: malgré le miracle économique, le chaos moral du Japon est toujours là. Et Hirono regrette de n'avoir pas pu empecher celui-çi de finir en victime expiatoire des guerres de clans, victime qui ne sera meme pas honorée après sa mort. Ce final d'un pessimisme foncier sent l'opportunité gachée: en héros fukasakien typique, Hirono a émergé du chaos mais ses ambitions se heurtent à la rigidité du système mafieux. Comme souvent chez le cinéaste, les ambitions nées du chaos se heurtent aux pesanteurs de la société japonaise. Mais en héros fukasakien typique, Hirono ne semble pas encore baisser les bras comme si déjà nanti d'un certain vécu dans le monde mafieux il considérait ces morts prématurées de jeunes membres de clans comme inévitables.
Malgré ses limites mentionnées plus haut, le film offre quand meme son quota de fulgurances. Fukasaku sait ainsi toujours immerger le spectateur à l'intérieur de l'action à coup de caméras à l'épaule rendant bien le chaos d'une bagarre. Grands angles et téléobjectifs délirants fonctionnent aussi très bien. La voix off sort parfois le récit du brouillard en anticipant ce qui va se passer à l'écran et sa combinaison avec des arrets sur image accélère parfois le récit. On trouve aussi cette scène d'action de rue photographiée en bleu vert et filmée à coup de caméra à l'épaule ultrastylisées qui n'auraient pas dépareillé chez le Wong Kar Wai versant polar. On apprécie encore ces vraies gueules de gangsters qu'on oublie pas notamment un Takeda/Kobayashi Akira qui risque probablement de prendre de l'importance par la suite, quelques traits d'humour, et le plaisir voyageur procuré par le récit.
Toutes choses qui font que ce Proxy Wars vaut bien mieux que tant de films de genre actuels encensés.
Note Globale d'estime de la série: 4.75/5
Notes séparées de chaque volet:
Combat sans code d'honneur: 4.5/5
Deadly Fight: 4/5
Proxy war: 3.5/5
Police Tactics: 3.75/5
Final Episode: 3.75/5
Fukasaku perpétue ce qu'il a entrepris jusque là avec une autopsie du milieu des yakuzas différente de ce que l'on a l'habitude. Ici, le contexte politique est très fort, appuyé par une introduction passionnante à base d'images et d'écrits de journaux, le surplus d'informations à l'écran cher au cinéaste atteint en plus ici des sommets. La voix off et les écrits continuent de présenter les membres des différents clans, guerre des gangs économique à Hiroshima, rupture des liens qui soudaient les hommes jusque là, le film réussit à instaurer un climat d'alerte permanent et nul ne peut dire quelle sera l'issue finale. Le film contient son lot de scènes virtuoses, de l'attaque surprise d'un inconnu en début de métrage au carnage nocturne final impliquant un petit jeune qui représentait l'avenir du gangstérisme et qui terminera sur le trottoir complètement ratatiné. Fukasaku pousse d'ailleurs le bouchon assez loin en en rajoutant une couche après le climax -déjà particulièrement sombre et visuellement marquant- en gâchant une belle cérémonie mortuaire et un instant de mémoire poignant. Et en cela, le monologue de Hirono à ce sujet est particulièrement évocateur de la situation de chaos qui règne au pays et des pertes misérables : "Les jeunes sont toujours les premiers à perdre la vie. Leurs morts n'ont pas été honorées une seule fois". Ce troisième opus n'est pas des plus simples à suivre à cause -comme dit plus haut- du surplus d'informations. Mais le fait que Fukasaku rythme le récit par des images fixes et une narration qui -heureusement- ne paraphrase rien, hisse ce Proxy War (à ne pas confondre avec un autre Hokuriku Proxy War) au rang de grande fresque urbaine. Et pour ne rien changer, la mise en scène de Fukasaku est sublime : insolente dans les rues, posée et ultra rigoureuse lors des nombreuses séquences où la discussion, le mot, le verbe ont autant d'importance si ce n'est plus qu'une décharge de chevrotine.