Le garde côtier de Kim Ki-Duk ne prête pas à sourire. On commence à connaître l'obsession du cinéaste pour la douleur et les réactions bestiales de ses héros, tout comme la transformation des corps qui ne font plus qu'un avec l'environnement ou les animaux (la jeune folle dans le bain de poissons), dans une atmosphère encore difficilement descriptible si l'on évite de tomber dans le registre fantastique et surnaturel. The coast guard n'est pas un film comme les autres, sorte d'allé pour l'enfer vert sans retour, où la folie s'empare peu à peu d'une poignée de personnages. Folie basique pour la naïveté des civils voulant à tout prix franchir les frontières pour faire beau ou tout simplement pour trouver de nouvelles sensations, excitantes et mortelles, ou folie bien profonde pour les deux "héros" du métrage : le soldat Cho, fier gaillard sombrant peu à peu dans la démence totale suite au meurtre accidentel d'un type pas bien malin, et enfin la petite amie du décédé, littéralement à côté de la plaque à cause du traumatisme vécu.
Froid, sans concessions (il n'y a pas cinq minutes où les protagonistes ne se mettent pas sur la tronche) et drôlement surréaliste, The Coast guard est une oeuvre aussi passionnante qu'inaboutie, n'allant finalement pas si loin que ça dans ses propos. La guerre c'est mal, les militaires sont des salauds qui se paient une jeune innocente quand tout le monde a le dos tourné, et le peuple coréen n'en peut plus de cette situation, la faute à un gouvernement sourd à tout arrangement et surtout incapable de gérer ses propres troupes. Dans le métrage de Kim Ki-Duk, la violence règne à tous les coins de rue, l'insécurité est totale. On se balade avec des armes, on cogne le premier venu, sans pour autant que cela n'alerte. D'un autre côté on se retrouve en face d'un cauchemar éveillé, violent et âpre, emmené par des personnages immondes et désespérément cantonnés à leurs activités : celles de tirer sur le premier péquin qui oserait franchir les fameuses barrières. Il y a pourtant tellement mieux à faire...
Esthétique : 3.5/5 - Les plans maritimes sont sublimes et étranges. Le reste est très classique. Musique : 3.25/5 - Pas très marquante ni vraiment emballante. Interprétation : 3.5/5 - Pas facile pour les acteurs. Vraiment. Bonne représentation de la folie sur toutes ses coutures. Scénario : 3/5 - Pas très original tout en étant étrange dans sa finalité. Plan final dans Séoul ahurissant.
On commence à connaître le style et la thématique de KIM Ki-Duk : cinéaste de l’humain primitif qui sommeille en chacun de nous, il construit film après film une œuvre cohérente à grands renforts de juxtaposition rapide de plans et d’ellipses permettant qu’ils s’entrechoquent, et d’escalade dans une absurdité et une violence qui nous semble palpable et compréhensible. Le cinéma de KIM Ki-Duk n’est d’ailleurs jamais aussi bon que lorsqu’il atteint des sommets de folie suite à une succession de scènes dont la tension monte creshendo, comme cette scène de The Coast Guard où une jeune villageoise devenue folle se fait avorter par une bande de militaires qui ont tour à tour abusé de ses faiblesses.
Dénonciation virulente de la situation qui perdure entre la Corée du Nord et celle du Sud via une plongée dans un endroit stratégique tel que le poste frontière, The Coast Guard reste cependant une trop lourde démonstration de la stupidité des décisions politiques et militaires : basé sur la répétition et l’acharnement buté d’un soldat zélé qui a pété les plombs, le film tourne bien souvent à vide et s’avère peu convaincant dans sa dernière partie, censé instaurer un climat de tension et d’incertitudes avec son jeu de cache-cache et ses plans floutés de sniper mystérieux. Heureusement, un dernier plan magnifique vient sauver l’intérêt général de ce long métrage brutal et sans concessions qui ne laisse pas indifférent.
J'étais assez pressé de voir ce film sur la vie des soldats chargés de la surveillance des côtes face à la menace nord coréenne. Je suis assez content que ce film en parle clairement, en décrivant la pression sur les soldats, nous plongeant au coeur de la paranoïa sud coréenne sans arrêt à l'affût de la moindre incursion d'un espion. Dans ce contexte on comprend le stress enduré par ces gardes, premier rempart de protection, et donc l'erreur commise sous l'impulsion d'un soldat qui veut protéger son pays. Mais ce qui est dommage, c'est qu'à partir du moment ou il sombre dans la dépression, le scénario n'est pas spécialement intéressant ; pour combler la lenteur qu'aurait subit l'histoire si on s'était attaché à la vie dépressive du soldat après être déchargé, on le suit dans sa folie galopante. Certes le film gagne en rapidité dans la mise en scène, mais perd énormément en intensité.
A cote de cela, la photo est très bien, assez classique qui rend bien l'esprit militaire du film, et la mise en scène elle-même est très fluide, donc peu ennuyeuse. JANG Dong-Kun est vraiment très bon ; il fait vraiment vivre son personnage tout au long de son changement mental ; les acteurs secondaires sont excellents également, YOO Hae-Jin pareil à lui même, mais on ne peut pas vraiment dire qu'il ai la chance d'interpréter des personnages bien différents suivant ses films, et les différents soldats sont assez marquant, chaque rôle ayant pas mal de profondeur, malgré le peu de développement personnel.
Sujet très intéressant, très bon film dans l'ensemble, interprété merveilleusement, mais il est juste dommage que le scénario soit un peu exagéré pour donner de quoi raconter quelque chose.
Le cas Kim Ki Duk est un des gros sujets de débat entre amateurs de cinéma asiatique. On dénombre d'un coté ceux qui le taxent de provocateur gratuit ou de cinéaste un peu trop hermétique (il est vrai qu'il fait souvent porter sur les épaules de ses acteurs certaines opacités scénaristiques), ceux qui le taxent de sexisme alors que c'est un cinéaste des désirs primitifs, ceux qui s'en prennent à ses quelques invraisemblances scénaristiques et puis les amateurs. Et parmi ces derniers on serait bien en peine de trouver un consensus sur le meilleur Kim Ki Duk: les défenseurs de l'Ile -qui se détache un peu à l'applaudimètre- mettent en avant sa liberté narrative, ceux d'Adress Unknown sa densité romanesque et ceux de Bad Guy sa maîtrise formelle. Au final, aucun des films n'est parfait. L'Ile est trop hermétique, Adress Unknown trop inégal et Bad Guy comporte trop d'invraisemblances. De notre côté, on avait tendance à préférer ce dernier film pour l'aboutissement stylistique qu'il représentait à nos yeux et pour la force du jeu des acteurs principaux. Et on était assez curieux de voir la manière dont un cinéaste qui n'existait jusque là que de façon festivalière en Occident allait négocier le succès surprise à domicile de Bad Guy.
Si Bad Guy avait déjà un aspect film-somme de tous les Kim Ki Duk, ici le cinéaste reprend des idées de ses films précédents pour essayer les traiter autrement et leur rajoute quelques éléments nouveaux. Kim Ki Duk avait déjà exploité cinématographiquement l'armée dans Adress Unknown mais c'était sur le mode du film choral alors que Coast Guard est un peu plus reserré au niveau personnages. Et si Adress Unknown parlait d'une occupation étrangère, ici il s'agit plutot du thème de la Corée comme nation fractionnée qu'il avait déjà abordé en dilettante dans le nanar Wild Animals. Au niveau mise en scène, le film prend le contrepied de Bad Guy en revenant à moins de stylisation. Là où l'Ile et Bad Guy étaient des Kim Ki Duk plutot muets, Coast Guard est très dialogué comme Adress Unknown.
Mais il est un point de continuité entre le film et Bad Guy, c'est qu'on peut voir dans les deux films une volonté de Kim Ki Duk d'essayer de donner sa propre lecture des genres populaires du cinéma coréen: Bad Guy revisitait le drame gangstérien, ici le plot de départ (tension à la frontière nord/sud) pourrait etre le pitch de n'importe quel blockbuster récent sur le problème nord/sud. Si Kim Ki Duk met au centre du film un camp d'entrainement militaire, c'est qu'il s'agit d'un élément qui dispose d'un potentiel cinématographique intéréssant pour un cinéaste des corps (Beau Travail en est un exemple récent). Par rapport aux films d'Oshima et de Claire Denis sur des thèmes voisins, le scénario de Kim Ki Duk a l'originalité de montrer un personnage de militaire qui déstabilise un camp de l'intérieur puis de l'extérieur. En outre, le choix du très effacé Jang Dong Kun pour le role titre fait que l'on ne s'attend pas à le voir péter les plombs et peut donc amener une intensité dramatique supplémentaire.
Si le projet artistique de Kim Ki Duk est intéréssant, qu'en est-il de son exécution? Si le choix de casting est intéréssant sur le papier, il pose problème lors du visionnage: si Jang Dong Kun est tout juste correct dans les moments retenus du film, il est bien moins convaincant lors des moments où son jeu doit augmenter en intensité. Dès lors on a du mal à se sentir concerné par un personnage tiraillé entre discipline militaire et désirs primitifs. Quant à l'actrice incarnant un personnage de femme sirène proche de l'Ile fascinée par celui qui a tué son petit ami, si elle est au début plutot convaincante dans un registre de rage rentrée, on ne saurait en dire autant de sa prestation par la suite. Elle affiche en effet une série de sourires à pleurer de niaiserie qui fait que son personnage n'est jamais crédible. Les acteurs jouant les soldats sont corrects mais n'ont pas assez de conviction pour créer un crescendo dramatique autour de la déstabilisation de leur unité. Les personnages extérieurs au camp jouent par contre avec conviction. Mais venons-en à la mise en scène. Celle de Kim Ki Duk n'apporte rien pour ce qui est de filmer les entrainements militaires par rapport à Kubrick ou Claire Denis et parait plutot quelconque.
Le film n'apporte d'ailleurs rien non plus sur le plan thématique pour ce qui est de la satire de l'institution militaire. Si les cadrages sont d'une grande rigueur, la mise en scène souffre globalement d'absence de point de vue. Certes, il y a cette fois moins de risque que l'on accuse de sexisme le cinéaste mais etre cinéaste, c'est prendre position avec la caméra quitte à risquer les quolibets et les lazzis. Quand la caméra prend enfin position en se substituant au regard de ses personnages (la caméra portée anticipant le regard de Jang Dong Kun par exemple), on retrouve un peu de ce qui fait la force de Kim Ki Duk cinéaste. Restent quelques moments de cinéma intéréssants comme certains plans qui évoquent par le cadrage et la disposition des personnages le passé professionnel de Kim Ki Duk peintre. La scène où le garde cote se retrouve dans la situation de celui qu'il a tué est un beau moment de cinéma. Le magnifique plan de de la "sirène" revenant couverte de sang et se baignant dans un aquarium dont l'eau rougit d'un coup en est un autre. Sans compter une jolie conclusion bien trouvée dans un univers urbain qui fait écho au plan maritime chorégraphié du début. Malheureusement le film se conclut sur une scène finale peu subtile. Musicalement, le score du film est assez mièvre alors qu'il aurait pu compenser certains de ses défauts.
Jusqu'à présent, Kim Ki Duk avait toujours su compenser les gros défauts cinématographiques de ses films par la dimension humaine. Ce n'est plus le cas ici et, meme si le film est loin "d'égaler" le pire de la production coréenne actuelle, il parait très mineur comparé à l'Ile, Adress Unknown et Bad Guy. Si c'était un second ou troisième film, on pourrait le considérer comme prometteur: il est bien plus construit au niveau scénario qu'un Birdcage Inn par exemple. En tant que huitième film, il est plutot décevant vu que les éléments potentiellement porteurs de renouveau ratent leur cible, donnant au final le sentiment que le cinéaste n'arrive pas à faire redémarrer la machine. Il ne s'agit pas pour autant de passer à la trappe le cas Kim Ki Duk: la volonté d'évoluer est là, on espère qu'elle se concrétisera mieux par la suite.