Arno Ching-wan | 3.75 | Bonne catatouille... |
drélium | 4.25 | Rêve animé |
Ordell Robbie | 3.5 | Le talent de YUASA est déjà (un peu) là. |
... qui part en vrille autour d'un fil rouge très ténu. Dès lors nous suivons ce court métrage sans vraiment être pris par un quelconque enjeu, admirant simplement les passages de folie douce qui défilent, des images fascinantes et ludiques qui s'installent tranquillement dans notre esprit. Mind Game? Oui mais pas seulement, l'art naïf mélangé au sadisme naturel nous rappelle aussi beaucoup l'enfance et l'innocente méchanceté gratuite qui l'accompagne. Le DA foutraque se transforme alors en joli conte teinté d'une poésie macabre, le tout plane assez haut, rappelant au passage qu'un court métrage peut avoir une raison d'être en rapport avec ce qu'il a à dire et ses propres limites (temporelles mais aussi thématiques et narratives).
A la vue de ce "Cat Soup", force est de constater que Mind Game n'a rien d'un miracle, un nouvel auteur est bel et bien à suivre de près et on espère que le long qui a suivi le court n'est que la première baffe d'une longue série de torgnoles. Il est quoi qu'il en soit difficile d'être allergique à cette soupe féline, un océan en guise de soupière au dessus de laquelle des papillons mécaniques folâtrent inconsciemment. Pour le reste tout a été très bien dit, permettons nous toutefois de passer une seconde couche en concluant également que ceci est définitivement ce à quoi aurait dû ressembler Tamala 2010.
Car Cat Soup est aussi et surtout une sorte de pré Mind Game à vrai dire, une demi heure en compagnie de la nouvelle génération de créatifs japonais et de Yuasa Masaaki en particulier, d’ores et déjà grand maître du rêve animé aux côtés d’un Miyazaki, mais à sa propre manière. Il endosse d’ailleurs de nombreuses responsabilités sur ce court dont celles de co-réalisateur, co-scénariste, responsable du chara design et directeur de l’animation. Même si Masaaki adapte assez fidèlement deux mangas bien différents (Nekojiru et Mindgame), on décèle déjà ici de nombreux thèmes qui seront présents dans son Mindgame et nourrissent en profondeur ses affinités récurrentes autant qu'ils définissent une partie des animés japonais rafraîchissants qui débarquent en parallèle des gros calibres.
Tout d’abord une envie effrénée de ne pas suivre une ligne de récit linéaire et de plonger dès le départ dans le mystère total. Bien impossible d’essayer de tout rationaliser dans Cat Soup, voir complètement inutile, Masaaki nous invite avant tout au voyage, à dériver d’une animation à l’autre, d’une idée à l’autre sans aucune volonté apparente de trop lier l’ensemble, du moins de manière cartésienne, juste en laissant glisser l’imagination et si possible sans prévenir le spectateur de ses soudaines et constantes envolées vers des contrées improbables peuplées d’animaux fantasmagoriques comme un éléphant liquide ou une sorte de kiwi géant transparent rempli de nuages. Une autre pochette surprise avec 10 000 idées à la seconde en bref.
Il semble beaucoup plus intéressant pour Masaaki de palper l'irréel propre aux rêves en liant une idée et une image qui sont bien là devant notre rétine, mais se déforment, évoluent, se métamorphosent pour passer d’un stade à l’autre et aboutir à une autre idée sous jacente. Un cochon pêche un poisson pour nourrir Nyato et sa sœur, tous les trois seuls sur une barque en pleine mer. Nyato préfère le cochon pour nourrir sa soeur et lui découpe donc un bout de ventre à la volée. Le poisson repose alors dans un panier et en profite pour s’enfuir. Il se fait alors couper en rondelles par des samouraïs pour finir en sushis, alors que lui (enfin ce qu’il en reste) plonge à la mer et traverse une onde étrange proche d’une marre de pétrole en ébullition. Il échoue finalement sur une plage où Nyato gobe son œil avant de se faire remontrer par sa mère (touche pas c’est sale !). Nyato est donc maintenant en famille sur la plage et cela n’était que l’un de ses bons souvenirs qui nous ramène à lui, pensif, sur la barque.
Voilà un tout petit exemple de pirouette qui passe de la réalité au rêve puis y revient d’un coup de baguette magique, à la fois par l’idée et l’image, don du symbole incompréhensible sur le moment qui s’explique uniquement par la suite des évènements. Et tout part ainsi constamment en vrille dans Cat Soup, avec une attirance certaine pour le cyclique, l’infiniment grand, l’infiniment petit et le lien magique qui les unit (autre exemple de la baleine que l'on découvre comme éfigie du cirque et bien plus tard imbriquée dans la superbe vague crystallisée rappelant Hokusai).
Comme dans Mind Game, il y a aussi un peu de l’Incal de Moebius dans Cat Soup, cette idée du voyage physique et spirituel à la fois, de partir d’un point réel puis de passer dans une succession d’états plus ou moins conscient pour terminer par le début et ainsi boucler la boucle, mais cette boucle était-elle réelle ?
Déjà dans Cat Soup, la notion de temps relatif qui s’accélère, remonte ou se transperce par le corps et l’esprit est bien présente et justifiée par une puissance supérieure dont le pouvoir sur la vie permet toutes les digressions imaginables. Déjà, on y croise un dieu omnipotent, la vie et la mort puissamment reliées, une fleur symbole de guérison, des animaux tordus à longs becs, un dérangé sado maso rappelant indéniablement Bill Plympton, des vues subjectives troublées, des phylactères ou "bulles d’aide", des histoires de popo, bref un univers récurrent et une forte attraction pour la spirale, le tourbillon temporel sans fin. Le générique de fin en est d’ailleurs un exemple parfait.
Tout en gardant le trait enfantin et minimaliste du manga de Nekojiru, presque kawaï, son penchant opposé vers le sombre et le cruel (découpage de membres à foison, tortures, grands yeux noirs oppressants), et un statisme total à première vue, Masaaki surprend par de soudaines accélérations dynamiques, des travellings et des zooms endiablés et distordus qui passent de fourmis au raz du sol, remontent le long d’un arbre et repartent à l’opposé pour terminer sur le père chat qui dort, simulation animé d’un fisheye sans contrainte. Une excellence de la dynamique du plan, déformée par l’objectif, comme une des signatures du studio 4°C et que l’on retrouve aussi chez son confrère Morimoto Koji (Beyond par exemple). S’y ajoutent de nombreuses références graphiques plus adultes comme un hommage direct à "La vague" de Hokusai ou "La tentation de Saint-Antoine" de Dali et ses animaux quadrupèdes aux jambes infinies.
Et pourtant, quintessence du trip, le tout se tient, est uni et cohérent. En premier lieu, l’amour, le lien silencieux mais très fort entre les personnages est comme le liant qui leur permet de vraiment exister sous nos yeux. Ils seront quatre dans Mind Game, ils sont deux ici.
Pour résumer l’histoire maintenant, Nyata meurt de maladie et est emmenée par un sorcier, incarnation de la mort. Nyato récupère une partie de son âme (une sorte de nuage magique) qu’il réinsère dans le corps alité de sa soeur mais l’expérience en a fait un légume. Ils entament donc spontanément un voyage en quête de la guérison, débarquent en pleine représentation de cirque, et passent ensemble d’un lieu à l’autre (mer, désert, caverne, etc), d’un espace temps à l’autre, chamboulés par un magicien blanc impassible mais facétieux, incarnation de dieu, le tout avec une liberté de création captivante. La boucle bouclée (la fleur trouvée au fin fond des soutes mécaniques du temps), Masaaki termine par faire disparaître tout ce petit monde et éteint l’écran comme pour signifier au spectateur que l’histoire n’a pas de fin en soit (Mind Game là encore), que l'interprétation n'est pas primordiale, que nous avons suivi ce petit chat étrange et que nous aussi avons voyagé dans cet espace temps si particulier. L’objectif principal reste de permettre au spectateur de traverser un rêve surréaliste au plus près des sensations d’un vrai rêve, à la fois doux et cruel, chaotique voir nonsensique, et pourtant entier et signifiant.
Bref, c’est Nekojiru et Tatsuo Sato qui flirte avec Robin Nishi (auteur du manga Mindgame) par l'entreprise évidente de Masaaki. Les nombreux parallèles exposés sont bien du Yuasa Masaaki en profondeur tant Cat Soup sent fort son travail. C’est expérimental, spécial, muet, nonsensique et signifiant, simple et complexe à la fois, étiré et rondouillard, salé et sucré, très maîtrisé sous le minimalisme apparent, et le concept ravira tout rêveur en quête d’irréel et de contrées fantastiques à demi enfantines aux frontières mal définies. Ce court culte a souvent été qualifié d'anti Hello Kitty. Si j’osais, je parlerais même d’anti Tamala. ^^