un classique
Histoire pathétique d'un frère et d'une soeur confrontés à la bassesse et la cruauté du monde. La mise en scène de Kinugasa donne à cette histoire mélodramatique assez prévisible, une densité visuelle et "sensorielle" peu commune. Un classique du cinéma muet japonais. Apparemment le premier film japonais à avoir eu une diffusion à l'international.
Un objet théorique très soigné, date dans l’histoire du cinéma japonais
Deux ans après l’éblouissante abstraction qu’est Une page folle, Kinugasa poursuit son exploration des potentialités d’expression propres au cinéma, au sein d’une industrie japonaise déjà orientée vers les productions de genre très balisées. Il réalise Carrefour aidé de son alter ego Daisuke Ito et inspiré par le mouvement d’avant-garde nommé néo-sensationnisme, qu’il a rejoint au milieu des années 20.
La trame est sommaire, mais là n’est pas l’essentiel. A la douce torpeur presque oppressante de sérénité de la maison familiale, filmée en plans fixes, Kinugasa oppose Yoshiwara, quartier roi du sexe monnayé et de l’alcool (quelques années plus tard, Yoshiwara deviendra l’un des décors principaux de certaines monographies sur la prostitution féminine faites par Mizoguchi), dont il retranscrit l’effervescence et la factice gaieté en rapides travellings latéraux, selon un rythme initial d’alternance qui laisse présager l’absorption par ce lieu des deux protagonistes.
Dès lors que le drame a eu lieu, la césure est nette : Carrefour, qui était jusque là une étude de mœurs conventionnelle, se meut en un drame éprouvant d’injustice sociale, mais surtout en un objet théorique très soigné, au croisement des influences du ferment du cinéma nippon, le théâtre kabuki, de l’expressionnisme allemand, et des théories soviétiques sur le montage. Il en résulte une mise en scène outrancière, presque hiératique, et un surjeu de la part des acteurs. La mort en est nécessairement l’issue la plus hyperbolique, et le dénouement apparaît comme la résultante d’une somme d’indices pessimistes.
Après Carrefour, Kinugasa s’est assagi, allant même jusqu’à céder dans les années 50 à la facilité du film d’exportation (La porte de l’enfer). Mais Carrefour reste une date dans l’histoire du cinéma japonais. Pour son contenu thématique et formel, mais surtout parce qu’il s’agit du premier film nippon projeté en Occident, Kinugasa ayant voyagé, bobines sous le bras, à Berlin, Moscou et Paris, où le film fût projeté au studio des Ursulines, avec un franc succès.