Un petit film pris dans un sujet trop grand pour lui
C’est avant tout son sujet en or qui a valu à ce film de représenter seul le Japon dans la compétition de Cannes 2005, que ce soit la réflexion sur l’engagement humanitaire ou cette histoire vraie ahurissante, très complexe qui a secoué le Japon depuis une petite ville jusqu’au gouvernement. Une affaire qu’on a peine à comprendre, surtout quand on compare l’accueil que l’on a fait en France aux ex-otages. Mais a grand sujet, film risqué. Il faut un grand réalisateur. Masahiro Kobayashi n’a jamais marqué (je garde personnellement de vagues souvenirs de L’Homme qui marchait dans la neige, il y a quelques années) et s'est taillé ici un costume un peu grand. Bashing est un film intéressant, il fait surtout très bien parler les japonais(e)s -faites le test- mais vraiment décevant. Il se tient trop en surface tout en étant trop lourd dès que les personnages se mettent à parler, il semble trop court tout en étant trop étiré.
Il y a pourtant des idées passionnantes, notamment grâce au choix de l’actrice. L’héroïne ne nous est pas sympathique, elle et hermétique, un peu agaçante avec son air buté. On souhaiterait qu’elle s’énerve alors qu’elle mûrit un plan très personnel. Les meilleurs moments du film sont ces gros sur son visage qui fait d’étranges mimiques, comme si elle cherchait littéralement quelle expression adopter, en écho au personnage qui ne trouve pas la bonne attitude face à l’adversité. Et puis il est assez culotté de rappeler que l’engagement humanitaire est avant tout une histoire d’orgueil, une quête intime qui n’a rien à voir avec un idéal. L’héroïne explique qu’en Irak, elle a trouvé des sourires d’enfants, des gens qui la demandent, elle se sent exister comme nulle part ailleurs. Mais cet aveu n’intervient qu’à la fin du film et lors d’un monologue, il eut été beaucoup plus fort d’en faire une vraie idée de cinéma qui aurait parcouru le film. La chouette ville dans laquelle elle erre explique en grande partie son choix de ne pas s’y éterniser, style Knokke-le-Zoute en hiver pour le front de mer, Monceau-les-Mines pour l’arrière-pays : un décor de rêve pour les frères Dardenne. Mais cette lisibilité du décor est peut être l’explication la plus facile et la moins plaisante du film : les habitants de villes merdiques n’ont pas tous des vies merdiques. Bref, dommage pour ce beau sujet et cette actrice, mais Bashing ne fonctionne pas. On ne sait pas trop quoi en penser à l’instar de la chanson du générique : on jurerait la voix d’un Renaud japonais à ses débuts, c’est à dire un chanteur exécrable qui récite une piètre mélodie en gratouillant sa guitare. C’est tellement sympa et amateur qu’on prend le parti d’en rire, mais on doute que ce soit le but recherché.
mais c'est aussi ça le Japon !
J'ai trouvé ce film très émouvant dans ses litotes et ses répétitions - chaque montée de l'escalier, chaque ouverture de la porte d'entrée, y compris la seule fois où il faut utiliser la clé, est une blessure de plus pour cette écorchée vive.
Film semi-clandestin à budget minimal, peut-être, mais qui ne se croit pas obligé pour autant de recruter ses rôles mineurs dans les petites annonces des gratuits, ou de faire tanguer la caméra façon super-8 amateur années 1960 (j'ai plus pensé à Ken Loach qu'aux frères Dardenne...) Je n'ai pas aimé le rôle difficile de la belle-mère, l'actrice avec son beau visage d'oiseau muré ne fait vraiment pas le poids, mais c'est la seule chose que je reproche au film.
Dont le thème lui-même ne devrait pas surprendre les habitués de Cinémasie. On peut difficilement fréquenter Ozu, Suzuki ou Imamura sans ressentir, comme pas mal d'Occidentaux qui débarquent au Japon, l'impression qu'on sort tout juste de nos cavernes pour entrer dans la civilisation, une civilisation qui fascine même ceux qui détestent son pouvoir d'oppression. Des Japonais cultivés, exquis, raffinés, altruistes, qui se sont suicidés parce que leur individualisme n'était pas compatible avec l'appartenance à la société japonaise, il y en a plein les bibliothèques et les cinémathèques ; et des Japonais cultivés, exquis, raffinés, altruistes, qui se sont expatriés parce que c'était ça ou le suicide, on a la chance d'en avoir beaucoup en France (accessoirement, c'est mon principal sujet de fierté de mon pays).
Prise en otage
"Bashing" est de ces petits films, qui ne payent pas de mine, mais restent durablement gravés dans votre mémoire. Un vrai film d'auteur sur un sujet incroyable dans note actuelle société et époque.
S'il y a des formes de Censure connus dans certains pays (Singapour, Malaisie, Indonésie, Chine...), il y a actuellement comme un regain de nouvelles formes bien plus implicites. Une recrudescence de sujets TABOUS, que les gouvernements s'efforcent d'appuyer pour en faire des leitmotivs politiques. "Bashing" en dénonce l'un d'entre eux, dans un pays que jamais on n'aurait encore pu soupçonner de tel niveau après leur si lourd héritage historique.
En s'attaquant au racisme des japonais envers leurs siens, Kobayashi s'est exposé à un véritable tollé de réactions colériques de sa propre patrie - jusqu'à se demander de ne pas mettre femme et enfant en sécurité à l'étranger.
Pour TENTER de comprendre cette réaction incroyable, il faut resituer le thème de l'intrigue dans son contexte : à l'annonce de la guerre en Irak, plusieurs associations de volontaires nippons se sont spontanément formées pour porter secours aux populations locales prises - malgré eux - au centre du conflit. Certains de ses bénévoles ont été pris en otage. "Bashing" raconte l'histoire du retour au pays d'une d'entre elles (d'après une histoire vraie)...et le harcèlement moral qu'elle subit de par ses proches et de son entourage.
Le gouvernement japonais avait vu d'un très mauvais oeil le départ de ses volontaires, qui dénonçaient de par leur implication l'intervention même des japonais pour soutenir les américains dans leur effort dans la guerre. Ils se sont alors violemment pris contre ces "manifestants" de la bonne conscience et ont fermement condamné leur action. Une majorité de la population nipponne s'est rangée du côté du gouvernement. Le fait d'avoir été pris en otage ne signifiait pas seulement un déshonneur pour les japonais, mais également un poids lourd en plus. Les autorités tentant tout de même de libérer leurs concitoyens ont proclamé : "Ils méritaient de mourir sur place, plutôt que de nous faire faire l'effort de les secourir". Ainsi déshonorés, ces revenants étaient rejetés des leurs. Messages incendiaires en public, par le Net et par téléphone démarraient un long harcèlement moral, dont sont toujours victimes des volontaires, qui n'auront pas pris la peine de changer d'identité.
En rupture totale avec ses films précédents, KOBAYASHI raconte de manière crue et réaliste le quotidien d'un de ses personnages. Sans aucun artifice spectaculaire, il représente simplement sa vie au quotidien et le racisme auquel elle est tous les jours confrontés. Non seulement, elle est régulièrement abordé dans la rue, retrouve son répondeur téléphonique rempli à craquer de messages médisants, mais doit également vivre avec le reproche tacite de ses parents vivant sous le même toit qu'elle. Proches, qui seront également directement touchés après que le père soit renvoyé pour éviter tout "scandale entachant la direction par médisance".
En réalisant ce douloureux sujet, KOBAYSHI n'a trouvé ni soutien financier, ni moral; une bonne partie des prétendus amis l'ont jugé de réaliser un film traitant d'un tel sujet. Il a tourné en une quasi-clandestinité en 5,5 jours. Réalisé caméra à l'épaule, il se rapproche de son favori courant de la "Nouvelle Vague", mais imite surtout un style propre aux Frères Dardenne. Friand des actions répétées pour leur donner un sens, les séquences de l'héroïne gravissant de plus en plus lentement les étages pour rentrer chez elle ont la douloureuse résonance du poids pesant sur ses épaules et de l'appréhension de se retrouver enfermé dans le tacite carcan familial.
La fin sera des plus crûs - réaliste, mais poignant de résolution.
KOBAYASHI intégrant toujours de larges parts autobiographiques, cette historie peut également pris pour la sienne, quand il a été renié et spolié par les critiques nippons pour avoir été plusieurs fois sélectionné au Festival de Cannes, parallèlement à sa carrière de scénariste de scénariste de films pinku. Revenant d'un accueil chaleureux et d'un pays reconnaissant tout son talent, il se retrouvait dans la position d'un homme renié par les siens - avec comme seule envie de revenir en France...Histoire moins poignante, mais tout aussi personnelle.