Hitman hits man
Le réalisateur Poj Arnon est à la réalisation, ce qu'est un éléphant au magasin de porcelaine: attention aux dégâts !!
Pas étonnant, que Poj Arnon ait eu besoin de filmer "Bangkok Love Story" et "Haunting Me" coup sur coup la même année 2007: l'un retient tout ce que l'autre relâche. Soit "BLS", un film, qui totalise autant des dialogues sur tout le film, que "Haunting Me" en une minute; un cri dans tout le métrage pour un cri à la seconde…
En réalisant "BLS", la démarche d'Arnon est très clair: donner dans de "l'artistique", du circuit festivalier, tenter de se loger à la même enseigne qu'un Wong Kar Wai; sauf qu'il ne suffit définitivement pas de laisser tourner la caméra pendant de longues minutes, fixé sur deux hommes regardant dans le vide, tandis qu'un violon et un chœur d'homme sur la bande-son tente d'extirper un quelconque sentiment, que le réalisateur est incapable de traduire en image. Car même en ne faisant rien, Poj Arnon en fait encore des tonnes…et ça, c'est tout un art !
Soit donc l'histoire de deux mecs, qui sont rassemblés par la force des choses et qui vont se rapprocher par la force de la Nature (humaine). Un regard timide, une main qui en effleure une autre…sauf qu'Arnon ne fait ni confiance au (pourtant merveilleux) travail de son chef-opérateur Moeithaisong Tiwa (jamais Bangkok n'a paru aussi beau à l'écran), ni à la prestation très honnête de ses comédiens. Non, il a besoin d'appuyer chaque geste, en multipliant les prises de vue, en insistant bien pour que le dernier des demeurés comprenne, ce qu'il pense exprimer. Oui, ces deux hommes vont finir par se trouver…oui, ils vont finir par s'embrasser…et quand il s'embrassent, ils le feront pendant de longues minutes: debout, assis, couchés, à l'endroit, à l'envers, en gros plan, en plan américain et plan large, vu depuis un hélicoptère. Et pour que ça fasse plus stylé, ils vont le faire à l'intérieur, à l'extérieur, sur fonde de ciel bleu, rouge, noir, organe…et pour finir même dans de l'eau accumulé en haut d'un toit, pour que leurs maillots soient bien trempés et que leurs tétons pointent…Edifiant.
Et comme si cette véritable arme visuelle de destruction massive ne suffisait pas, il faut également mettre le paquet côté scénario. Pas qu'il ne se passe grand-chose entre deux regards lancés dans le vide pendant des longues minutes…non…mais Arnon réussit pourtant à caser plusieurs meurtres, des suicides d'amour et de désespoir, une historie d'adultère et deux personnes atteintes du SIDA. Ah…personne depuis Chatri Chalerm Yukol n'avait su exploiter la maladie du SIDA avec aussi peu de tact, que dans ce présent "BLS"…
Et comme si tout ceci ne suffisait toujours pas…eh ben, Arnon il retravaille tout bien tranquille pépère depuis chez lui. Surdécoupe et surexpose l'image, met des ralentis au petit bonheur au hasard et joue du colorimètre pour faire hype. Et met le paquet côté son; car si vous avez aimé les sourds accents à la gratte de "In the mood for love" ou "Isabella", eh bien vous en aurez pour votre argent dans "BLS", où la bande-son ne cesse que l'instant d'une chanson bien sirupeuse en plein milieu du métrage pour aussitôt reprendre la litanie de plus belle. Et comme les personnages ne parlent quasiment pas, le spectateur aura tôt fait de faire une fixette sur les violoncelles hyper envahissantes.
Pourtant, il aurait été tellement bien de pouvoir AIMER ce bout de pelloche. Les images font illusion l'espace de quelques minutes, présentant Bangkok sous un jour carrément nouveau. Et même si le thème de l'homosexualité commence à être archi-rebattu dans le récent cinéma thaï ("Me myself", "Love of Siam" pour n'en citer que deux), il est toujours bon de voir des réalisateurs assez courageux pour l'aborder (contrairement à ce que l'on pourrait croire avec l'omniprésence de ladyboys dans les films thaïs, l'homosexualité reste un sujet largement tabou et quasiment méprisé dans la communauté thaïe). On aurait même voulu applaudir des deux mains, le courage de confronter la censure thaïlandaise, qui avait une première fois rejeté les premières versions du scénario, qui prévoyait l'un des deux héros étant un flic…Or, comme le comité de censure l'avait fiat si judicieusement remarquer, il n'existe pas de flics gays en Thaïlande, donc pas besoin d'en "inventer"…Le personnage a été réécrit, mais le film s'est quand même fait…dommage seulement, que ce soit un pachyderme à la réalisation.