Itto Ogami et Daigoro continuent leur périple, toujours impitoyablement et inlassablement pourchassés par les tueurs du clan Yagyu. Cependant, passés les présentations des personnages et les bons massacres jouissifs des deux premiers épisodes (excellents !), comment conserver un vif intérêt sans tomber dans la répétition bête et servile ?
Le loup et l'enfant, apparemment aussi transparents l'un que l'autre, font découvrir des facettes de leur personnage au fur et à mesure qu'ils semblent s'enfoncer dans les limbes infernales. Dans cet épisode, pour sauver une prostituée promise à un avenir peu glorieux, l'ex-décapiteur du shogun n'hésite pas à se sacrifier lui-même et ainsi subir des dizaines de coups de batons en échange de la liberté de la jeune femme. Lui, que l'on savait pourtant invulnérable, accepte de se compromettre pour une personne qu'il ne connait pas (tout comme dans le premier épisode, mais où la punition était plus agréable). Probablement donc par compassion mais également comme s'il fallait trouver une punition, comme pour s'auto-flageller, étant donné qu'apparemment aucun bretteur ne peut lui faire grand mal.
Ce désir masochiste (il aurait pu facilement l'éviter) fait donc apparaître une nouvelle facette d'Ogami, qui cherche visiblement ici un exutoire rédempteur pour toutes les têtes qu'il a pu trancher. Impressionnée par tant d'abnégation et de résistance, l'ordonnatrice du châtiment propose de louer les services du ronin, afin d'éliminer un gouverneur corrompu. Ogami accepte. Dans une scène hallucinante, une fois en face du fourbe, ce dernier lui propose également un contrat, qu'il refuse. Ogami ne tue donc pas n'importe qui. Et bien qu'il ait rejeté le bushido, il s'invente et s'impose un code de l'honneur du tueur à gages : ne tuer que les vils, ne pas retourner un contrat.
Voici le lonewolf lavé de ses récents pêchés avec une nouvelle mission en poche. Le sabre est donc encore prêt à trancher. Toujours plus forts, Ogami et un petit peu Daigoro, se débarassent des gardes du corps attitrés du gouverneur - et ce même s'ils ont des colts - et attaquent de front une armée entière ! Le bodycount est ultra-impressionnant, le climax final est une pure merveille ! Et on ne doute plus un instant que la série peut encore grimper en intensité.
L’ambiance perd de son souffle à cause de ce récit loin d’être passionnant même si on évite quand même l’ennui profond. On découvre d'autres facettes de notre pourfendeur préféré (cf Chris) mais rien de bien surprenant dans ses agissements. Il y a bien le viol collectif, très bonne introduction nihiliste au samouraï déchu qui affrontera finalement le loup solitaire dans un duel plein d’honneur, mais le reste ne m’a pas du tout convaincu : un peu inutile tout ça à la vue des deux premiers opus, non ?
Si j'ai une petite préférence pour le second volet parce qu'il délivre son quota de gore, de dialogues cultes et d'action jouissive, il est aussi à mes yeux le plus réussi car unitaire niveau ton. S'ils souffrent la plupart du temps de ruptures de tons pas toujours bien négociées, les autres Babycart se tiennent tous dans un mouchoir de poche niveau qualité et ont tous leur charme propre. Ce troisième épisode par exemple, moins gore que le second mais plus profond. Tout en forçant paradoxalement la dimension exploitation de la série. Deux choses présentes dans le viol d'ouverture: d'un côté une scène cliché du cinéma d'exploitation japonais seventies, de l'autre une observation de la condition de samouraïs qui ont perdu leur train de vie somptuaire et leur superbe.
Sur ce dernier aspect, le personnage de Kanbe que devra affronter Ogami Itto est très intéréssant: un samouraï déchu parce qu'il a voulu défendre son maître qui fait écho à la chute d'Ogami Itto. Là où Kanbe semble avoir des restes d'humanisme et dégage un certain désenchantement, Ogami Itto, qui s'assume comme figure négative de l'assassin sans manières, va jusqu'à accepter de se sacrifier pour sauver de la prostitution une femme qu'il ne connaît pas. Si sa vision de la justice n'a rien à voir avec le bushido évoqué par le film, reste qu'Ogami Itto campe ici une figure paradoxale: mauvaise conscience assumée de l'époque tout en étant aussi une figure de justicier. Rayon mise en scène, on retrouve le style épuré de Misumi, son usage des silences ainsi qu'un usage du zoom et du style caméra à l'épaule dans la lignée des épisodes précédents, preuve de la cohérence visuelle de la franchise.
Mais revenons à l'aspect exploitation du film. Les seventies ont beaucoup pratiqué les croisements entre cinémas populaires. On retrouvera d'ailleurs Lo Lieh dans le western spaghetti la Brute, le Colt et le Karaté. Ici, le film introduit des armes à feu afin de propulser des éléments de western dans un univers chambara (le landau permettant désormais de mitrailler les adversaires d'Ogami). Notamment dans la "fusillade" finale: lorsqu'il s'agit de filmer un gunfight, Misumi est d'abord très loin de Peckinpah qui le dépasse sur tous les points; par contre, lorsque la fusillade se transforme en festival de sabrages signés Ogami, la mise en scène de Misumi est plus convaincante et la scène tient ses promesses en terme d'action et de plaisir du spectateur. Achevant de faire de cet épisode un film complétant les deux premiers de façon paradoxale.
Troisième opus de la série des Baby Cart, Dans la Terre de l'ombre poursuit la thématique déjà bien travaillée des opus précédents, à savoir un Ogami Itto toujours aussi seul contre tous, payé 500 pièces pour décapiter les chefs des différents clans. Une nouvelle fois Misumi ne s'embarrasse pas d'un scénario très recherché mais prouve qu'avec une philosophie basée sur l'honneur, le respect et les coutumes de l'ordre des samouraïs le résultat peut être à la hauteur des espérances. On n'y trouve pas la gratuité démentielle du second opus, gore et exploitation à outrance, mais plus une surenchère d'explications basées sur les codes d'honneur des samouraïs ou même des clans yakuzas (dont un dirigé par une femme dangereuse) à l'époque hors-la-loi notoires. Le métrage fait aussi preuve d'une belle cohérence, car même si certains personnages sont prétextes à créer une sous-intrigue (ou étirer le film de plusieurs minutes) en les utilisant de manière quelque peu aléatoire (la jeune prostituée), d'autres reviennent et propulsent ainsi le film au rang de grand chambara.
On pense notamment à ce samouraï criminel du début de métrage que l'on revoit par la suite lors d'un duel mythique, aussi bien dans les préliminaires que dans sa finalité, où ce dernier évoque son passé et son envie de connaître ce qu'est le vrai samouraï. Là encore, une superbe parabole sur la quête du savoir. Car si il s'avère linéaire dans sa trame sans surprises, Dans la Terre de l'ombre déploie toutes ses qualités au niveau de sa mise en scène esthétique où les trouvailles visuelles s'enfilent comme des perles sous la houlette du staff de Misumi. Le sabre d'Ogami Itto faisant office de miroir dans le but de trahir des ninjas aquatiques (sic!), le travail sur le premier champ et le second champ avec cadre rapproché façon western Leonien (en plus des gros plans sur les yeux), caméra en vue subjective qui dégringole sur le sol pour simuler une décapitation, ralentis savamment utilisés (en majorité pour les attaques aériennes d'Itto). Un condensé du cinéma raffiné de Misumi, trahit en fin de métrage lors d'une séquence barbare que l'on retrouvera en partie dans l'opus suivant, où Itto combat une armée de samouraïs dans le plus pur style du cinéma d'exploitation des 70s' : gerbes de sang oranges, musique prenante, virtuosité de l'objectif -bordelique et chaotique- de son auteur.