Avec Arigato-san, Shimizu Hiroshi signe une belle réussite du film d’aventure. Bien sur, on ne parle pas du film d’aventure au sens large comme on le perçoit au premier abord, on n’est pas en face d’un Spielberg ni d’un Kurosawa mais bien d’un film se déroulant essentiellement dans un bus. Une femme d’un certain âge est contrainte de vendre sa fille à Tokyo. Elle décide de faire le trajet en sa compagnie à bord d’un bus connu de tous, celui d’Arigato-san (nous garderons l’appellation japonaise originale), conducteur émérite connu pour sa gentillesse et politesse. Effectivement, lorsque celui-ci se met à doubler chaque obstacle potentiel (passants, animaux…), il actionne son klaxon pour avertir le passant et crie un grand merci lorsque ce dernier se décale pour laisser passer son imposant véhicule. On parlait d’aventure, pourquoi ? Parce que le bus est le lieu idéal pour faire de nouvelles rencontres, découvrir de nouvelles personnes toutes issues de milieux sociaux bien différents, c’est aussi l’occasion de parler de tout et de rien, de draguer le conducteur ou de jalouser les personnes plus avenantes, on n’omet pas non plus les petites piques envers les personnes trop propres sur elles laissant les pauvres à l’arrière du bus. On n’est pas non plus au niveau d’une critique ségrégationniste pure et dure, mais Shimizu n’oublie pas de pointer du doigt les inégalités sociales au Japon en caricaturant les plus riches (remarques hautaines, drague facile) et les plus pauvres (vocabulaire plus rentre-dedans, sourire aux abonnés absents, tête baissée) dans un pur souci de contraste social. Mais Shimizu se sert de ces inégalités pour mieux prendre en revers les riches que l’on croit intouchables, sans pour autant les faire passer pour des clowns non plus. Shimizu n’est pas le plus virulent dans la critique sociale car la plupart des personnages ont finalement un bon fond, qu’importe les apparences : la jeune fille hautaine aux premières places du bus ne cèdera jamais sa place à la jeune fille bientôt vendue à Tokyo et à sa mère, essaiera de faire de l’ombre à cette dernière qui venait de donner gracieusement quelques bonbons aux passagers, mais fera preuve d’humanisme avec la jeune fille.
Tout comme le noble moustachu, pervers sur les bords mais son côté rondouillard et sa moustache de grand guignol lui confèrent un immense capital sympathie, surtout lorsque ce pauvre se fait charger par sa voisine toutes les cinq minutes. On trouve aussi d’autres personnages qui montent peu à peu dans le bus, omnibus oblige, dont une future jeune mariée, un enfant (logique, on est chez Shimizu) et le film réussit à brasser les genres avec une finesse telle que les différentes thématiques abordées, nombreuses, n’alourdissent pas la narration : les différentes missions confiées au chauffeur (renseigner des personnes, porter des fleurs et de l’eau sur une tombe…) et les remerciements à son encontre en fin de métrage (ou comment aborder le mélodrame en l’espace d’une séquence) donnent à la fois du rythme au film et permettent d’afficher une vraie absence de linéarité malgré l’approche casse-gueule : un intérieur de bus comme unique décor, pratiquement les mêmes personnages dans chacune des séquences, la répétition des scènes où Arigato-san remercie celles et ceux qui le laisse passer, cet ensemble aurait pu conférer à une certaine lassitude, logique, mais le film est davantage épique qu’un Hideko receveuse d’autobus de Naruse Mikio, pas forcément plus long mais définitivement plus sommaire. Il y a mille et unes histoires à l’intérieur de ce bus, mille et uns commentaires sur les personnes rencontrées et sur la route et dans le bus, ce qui lui vaut une certaine fraîcheur dans son approche du « film en sans-cesse mouvement » : on y cause des pauvres, des malheureux, de ceux qui viennent de perdre leurs entreprises ou leurs femmes et qui errent sur les routes à la recherche de quelque chose ou de quelqu’un.
Pas forcément humaniste, Shimizu constate l’état de la société nippone d’époque et dresse un portrait pas avare en remarques. Sa mise en scène permet à Arigato-san d’être dynamique et le fait d’aller « sans-cesse de l’avant » par le chemin qu’empreinte le bus est une belle métaphore de l’optimisme. Non avare en audaces sobres mais présentes, notamment dans son montage très soutenu et dans ses nombreuses séquences en vue subjective, le cinéaste opte aussi pour le ralenti le temps d’une magnifique et courte séquence où trois adolescents courent face à la caméra pour s’agripper au pare-choc arrière du véhicule. Le regard du cinéaste franchit parfois les limites de l’ironie avec l’omniprésence d’un score festif (à peu près le même que celui d’Hideko receveuse d’autobus, sauf que ce film embarquait des personnages joyeux) alors que la ballade est à l’origine tout sauf joyeuse. Mais au fur et à mesure que le film avance, les pauvres relégués au fond du bus franchissent peu à peu les sièges pour finalement s’asseoir devant comme tout le monde, parce que chacun aura réussi à se libérer des préjugés à cause des différences de classe sociale. Un beau message de tolérance pour un film rythmé comme il faut, bien que n’évitant pas toujours les facilités d’interprétation, le film étant encore un peu trop axé «muet » dans son exécution (on note notamment la présence de cartons informatifs). A découvrir.