Monde de merde
Deuxième épisode d'une trilogie qui s'attarde à décortiquer les étranges créatures qui peuplent la métropole, Animal Town s'attaque vraisemblablement à la face de la plus sombre de la vie citadine. Alors que Mozart Town et Dance Town traitent tous deux de personnages se retrouvant paradoxalement seules et abandonnées dans la jungle urbaine, les deux protagonistes principaux de ce film doivent en plus survivre à leurs démons.
Le sujet est extrêmement sensible en Corée, puisque trop souvent on apprend l'enlèvement d'enfants qui se concluent mal. Les criminels sont considérés comme des malades mentaux incurables, et le gouvernement a même proposé d'instaurer une liste publique de pédophiles connus de la justice. Dès lors, c'est d'autant plus courageux de la part de Jeon Kyu-hwan de nous inviter à prendre place aux côté d'un agresseur tout juste sorti de prison et qui essaie de reprendre une vie normale. Tout le défi du réalisateur devient alors de nous faire nous identifier de plus en plus à lui, tout en sachant également toujours plus de son passé. Cela se fait notamment, sa peine étant payée à la société, par le fait que celle-ci ne veut plus du tout de lui. Logement délabré, travail minable, constamment surveillé du coin de l'oeil. Il n'y a que nous pour l'aborder avec un regard nouveau et sans dégoût. On se surprend alors à espérer qu'il ne cède pas à la tentation lorsqu'il se met de nouveau à regarder une fillette. Pas seulement pour elle, mais pour lui aussi.
De l'autre côté, on a un homme qu'on devine plus ou moins vite être le père de la victime. Sa vie a été gâchée à cause de cet événement, et le couple semble arriver au point de rupture, mais il s'en fiche. Lui, c'est le regard condescendant des autres qu'il ne supporte plus. Etrangement, cette partie est moins intéressante, car plus évidente dans son déroulement. Il reste un personnage sympathique, jusqu'à ce que le passé lui revienne en pleine figure. Un moment crucial, qui met quand même un peut de temps à venir, mais qui nous fait perdre tout espoir de sortie pour eux.
On se rattache alors à cette jeune fille, aperçue auparavant, orpheline et abandonnée par les services sociaux, qui n'a finalement que peu de chose à voir avec le reste de l'histoire, mais qui devient la seule victime innocente digne de compassion. Car finalement, Jeon Kyu-hwan dénonce de tous les côtés les instincts primaires, et la société comme un énorme troupeau qui condamne irrémédiablement les bêtes qui n'y trouvent pas leur place.
Narration et jeu d'acteur excellents
Bracelet électronique à la cheville, Seongcheul ne peut pas oublier ce qu'il a fait. Surveillé régulièrement par un coordinateur, il n'a pas d'autre choix que de travailler sur un chantier jusqu'au jour où, par manque de moyen, le contremaître le renvoie. Il est alors ennuyé et se lançant dans une société de taxi, il n'a de cesse de voir ses démons remonter à la surface, malgré les médicaments qu'il prend pour s'apaiser. A l'inverse Hyeongdo est comme un mort en sursis, traversant la vie sans vraiment y participer, dommage colatéral d'une grande tragédie, jusqu'au moment où il tombe sur Seongcheul et voit sa douleur ravivée. Comme le titre l'indique très judicieusement, le film montre les instincts animaux qui resurgissent chez ses personnages, malgré leur volonté de les maîtriser. La photo en ce sens joue énormément dans l'ambiance, avec son ton très gris et sale, ajoutant au poids appliqué généreusement sur les épaules des protagonistes. Parsemé de scènes particulièrement intenses, d'une montée très prenante de la pression et d'un jeu d'acteurs exemplaire (le réalisateur était avant directeur de casting, ce qui explique sans doute son bon choix d'acteurs), Animal Town est vraiment un bijou du cinéma coréen, en attendant le troisième volet de sa trilogie sur la ville (Mozart Town, Animal Town, Dance Town), peut-être à Cannes.
22 février 2010
par
Elise
Aime le maudit
Second volet dans une future trilogie urbaine en devenir, "Animal Town" est une petite production indépendante viscérale, terrible, qui prend aux tripes, comme les premiers Kim Ki-duk ou l'"Old Boy" d'un Park Chan-wok, sauf que l'on serait beaucoup plus proche d'un cinéma humaniste et engagé d'un Lee Chang-dong, plutôt que des deux autres réalisateurs, qui n'hésitent pas à verser dans une certaine gratuité pour appuyer leur propos.
Avec sa caméra à l'épaule et son approche extrêmement naturelle, le film se suit quasiment comme le documentaire de la difficile réintégration d'un homme suite à un emprisonnement. On n'en saura rien de son crime pendant la quasi intégralité du film; on est donc exempt de jugement, mais l'on assiste, impuissants, à l'injustice qui lui est fait pour tenter d'adopter à nouveau un rythme de vie normale.
Le bracelet électronique met évidemment sur la voie d'un crime un brin plus odieux et des indices discrets ci et là mettent sur la piste…
La force du film, c'est de basculer instamment tout point de vue précédemment adopté en se référant par rapport à tout ce que notre société actuelle aurait pu nous inculquer, de comment approcher, juger par avance et condamner certains individus, au lieu – tout simplement – de leur donner une seconde chance ou – mieux – tenter de trouver des solutions quant à savoir comment les aider.
Un REGARD, donc…Celui d'un réalisateur sur des personnages fouillis, sur une ville, sur une société…Le regard d'un vrai auteur, tout simplement, qu'il sera extrêmement intéressant à suivre.