Avis Express
L'une des nombreuses qualités de 24 City réside dans son exécution. A travers des témoignages personnels plus ou moins intéressants relatifs aux souvenirs de l'usine 420 située à Chengdu, Jia Zhangke développe un projet de mise en scène de belle facture. Le film suit un schéma précis fait de protagonistes prenant la pose face caméra, suivi ou précédé de leurs témoignages, d'extraits de poèmes, de temps à autres entrecoupés de plans davantage contemplatifs captant la matière ou la nature qui eux aussi suivent un schéma précis : l'évolution de la zone, aussi bien dans le fond (l'utilisation de la musique de plus en plus moderne, la hiérarchisation sociale des interviewés) que dans la forme (des usines puis un paysage de ruine) est le prolongement du schéma narratif employé par Jia Zhangke. Ils sont identiques, ciselés, travaillés comme les métaux de l'usine 420. Si le film est souvent rigide et ennuyeux, parfois trompeur dans certains récits fictifs, il est sauvé par de grandes séquences dues au talent pur et simple : l'homme qui pédale de nuit sous la chanson culte de The Killer interprétée par Sally Yeh, la petite fille patinant sur un toit des nombreux immeubles de Chengdu, l'effondrement de l'usine sous les chants patriotiques communistes, le plan large sur le chantier en fin de métrage et les nombreux travellings -immenses, donnant au film un parfum quasi surnaturel et affirmant s'il était encore nécessaire Jia Zhangke (et son chef opérateur)comme un très grand plasticien moderne.
Cela fait 10 ans que Jia Zhang-Ke filme les transformations brutales de son gigantesque pays à sa manière : contemplative et parfois hermétique. On peut considérer que 24 city est le film-somme de la première décennie de sa carrière, une sorte de condensé de tous ses thèmes fétiches. Si les historiens de l’an 2050 veulent comprendre quelque chose de l’évolution de la Chine entre 1970 et 2008, ils devront probablement commencer par voir ce docu-fiction.
3 générations, un gouffre immense. Le Parti communiste chinois a beau revendiquer « l’Harmonie » dans sa façon de développer le pays, il ne faut pas chercher bien longtemps pour découvrir le fossé spectaculaire qui existe entre la génération Mao et la génération McDo – témoin sans doute du retournement idéologique le plus vaste, le plus radical et le plus rapide de l’histoire de l’humanité. Le cadre du documentaire exprime en lui-même ce bouleversement : le complexe d’armement 420 qui employait des dizaines de milliers d’ouvriers, véritable ville dans la ville en plein Chengdu, est en passe d’être rasé pour donner place à un complexe hôtelier de luxe. On passe là du tout au tout – même si c’est toujours le Parti qui décide.
Les témoignages recueillis, qu’ils soient réels ou interprêtés, sont édifiants, exprimant le passage d’une société fermée, repliée sur elle-même, à une société beaucoup plus ouverte sur le monde :
Les vieux nous parlent d’un temps révolu où l’accomplissement de la révolution tenait lieu de motivation, où la propagande était le lot quotidien et dont les traces subsistent encore dans leurs cerveaux manipulés : on parle encore d’ « impérialisme américain » pendant la Guerre de Corée alors que c’est bien la Corée du Nord soutenue par la Chine et l’URSS qui déclencha la guerre en envahissant la Corée du Sud, ou bien de « catastrophes naturelles » de la Révolution Culturelle pour cacher les désastres d’une politique criminelle.
La génération intermédiaire dont fait partie JZK est une sorte de trait d’union entre 2 mondes, assistant sans vraiment trop savoir quoi en penser à un basculement historique. On ne sait s’il faut être nostalgique ou plein d’espoir. Peut-être ni l’un ni l’autre.
La jeune génération, quant à elle, à moins de scrupules. Le rejet en bloc du passé est total. L’uniforme ouvrier, symbole d’autrefois? Après 3 jours d’usine, celui-ci jette l’éponge, trouvant insupportable le moule routinier dans lequel on l’enferme. Son alter-ego féminin veut venger l’humiliation subie par ses parents en ayant pour objectif de gagner un maximum d’argent, en voyageant à la recherche d’opportunités lucratives. Une génération prête à tout.
Alors que l’on chante encore l’Internationale, un bâtiment en ruines s’effondre sous la dynamite. Les basses electros de Lim Giong remplacent les chants révolutionnaires périmés tandis que l’on découvre le Chengdu d’aujourd’hui. JZK ne fait que constater le changement, mais semble refuser d’y prendre part. Il est l’anti-militant, l’anti-Micheal Moore par excellence.
Je dois certainement être un peu maso pour continuer à me taper les "oeuvres" de JZK, considérant que j'ai vu à peu près la moitié de sa filmo et que je n'ai jamais accroché, toujours trouvé ça vain et surestimé. (pour résumer). Le précédent "Still Lile" m'avait quand même convaincu au niveau de la forme, je me suis donc motivé pour regarder 24 CITY. Le constat est à peu près identique: JZK se fait maintenant esthète, (YU Lik wai n'y étant sûrement pas pour rien), cette fois ci c'est un quartier industriel de CHENGDU à l'honneur, moins photogénique que les abords du Yangzi dans Still Life mais réellement bien mis en image. Quelques aspects alourdissent un peu ces beaux cadres, comme le fait de faire prendre la pose aux protagonistes, certaines musiques qui ne collent pas à mon avis, ces deux aspects faisant que le film documentaire sonne parfois faux. Quand on sait qu'une partie des témoignages sont joués par des acteurs, on est un peu perdu. Disons que j'ai été dérangé par ce côté docu brut mélangé à ces aspects artificels, je trouve que ça fait perdre un peu de force au propos et à l'émotion.
Il faut aussi parler du fond, des "témoignages" donc: je n'ai pas été tenté d'arrêter le film en cours de route, mais cela vient pas mal du fait que la Chine me passionne en général, malheureusement le contenu n'apporte pas grand chose à mon avis, et de manière peu originale. J'ai donc apprécié cette immersion dans l'ambiance d'un quartier industriel de CHENGDU, mais JZK reste encore limité et mon avis est qu'il devrait choisir entre docu et fiction.
Quand j'avais eu la chance de prendre en charge le réalisateur Jia Zhang-ke le temps de quelques jours de festival en 2007, il avait semblé quelque peu exsangue, en train de chercher un nouveau souffle dans sa propre filmographie en cherchant de l'inspiration du côté de quelques projets de documentaire ("Dong", "Useless") et dans la production de quelques-uns de ses poulains protégés ("Walking in the wild side" et d'autres à venir très prochainement).
Il disait lui-même avoir connu un véritable point de rupture depuis son "The World" curieusement célébré à une échelle internationale, alors qu'il s'agit – selon lui – de son œuvre la plus consensuelle. Depuis ce film et de sa "victoire" sur la censure chinoise de pouvoir désormais tourner à peu près tout ce qu'il voulait en raison de sa réputation mondiale, il cherchait des nouvelles choses à dire.
Démarche entamée avec son diptyque "Still Life" et "Dong", mêlant adroitement docu et fiction ("Still Life" inclut des images de son documentaire "Dong", tandis que "Dong" inclut quelques personnages de fiction), Jia trouve donc un nouvel aboutissement avec son présent "24 City", regard incisif sur l'actuelle incroyable mutation de la société chinoise en seulement quelques décennies.
Durant le temps passé ensemble, Jia récupérait des retranscriptions d'interviews faites par des assistants restés en Chine, qui interrogeaient des anciens ouvriers de l'usine 240 et commentait assidûment ces témoignages. Il avait hâte de donner la parole à d'autres ouvriers, mais également de mettre en bouche certaines de ces tirades dans la bouche d'acteurs plus ou moins célèbres pour "reconstituer" les souvenirs d'un passé.
"24 City" est donc moins une fiction, qu'un "documentaire fictionnalisé", qui s'attacherait à poser un regard sur les profondes mutations de la société chinoise sur les dernières décennies, tout en établissant également un rapport très intéressant de la très étroite interrelation entre la vérité et la fiction au sein même du cinéma (un rapport d'autant plus étroit dans la plupart des cinématographies asiatiques, très influencées par leur passé de documentaristes). Le véritable tour de force, c'est de gommer toute trace entre vérité et reconstitution et même de réussir à émouvoir avec des histoires "interprétées" plutôt que véritablement vécues. Avec un petit bémol pour les "rôles" féminins, à l'instar d'une Joan Chen ou Liping Lü, curieusement beaucoup moins crédibles dans leurs rôles respectifs, que les hommes…
Un véritable enchantement, qui devrait trouver un large public dans les salles de cinéma d'art et essai françaises lors de sa sortie et qui remet sérieusement en question au-delà du seul pays chinois les entiers systèmes capitalistes mondiaux.