L'argent ne fait pas le bonheur
Royston Tan est un ami personnel; quelqu'un dont j'ai pu suivre la carrière de près depuis son moyen (et non pas long, réalisé beaucoup plus tard), "15". Critiquer – dans le mauvais sens du terme – l'une de ses œuvres est donc d'autant plus chose difficile; en même temps je ne m'inquiète pas du tout quant à la qualité de ses projets à venir.
"12 Lotus" est la prolongation logique de ses précédents, "881", mais surtout de son documentaire "Sin Sai Hong" dédié à l'Art du getai. Le getai est un fait une forme dérivée de l'opéra chinois traditionnel, chanté à l'occasion du septième mois lunaire de chaque année dans la communauté sino-singapourienne à un moment où les portes de l'Enfer sont dites ouvertes pour laisser s'échapper des fantômes pendant tout un mois. Cette véritable découverte de l'art du getai marque profondément Royston, qui décide même de s'improviser acteur pour se familiariser au plus près avec cette culture.
C'est ainsi que lui vient l'idée de "881", une comédie légère écrite en quelques jours et qui sera tournée en un temps record de 22 jours avec pas moins de trois séquences musicales à compléter par jour. A sa sortie, le film bat tous les records d'entrée en Singapore, devenant le troisième plus gros succès de tous les temps et remettant le getai au goût du jour, notamment en proposant des remixes d'anciens tubes, adulés par des générations nouvelles, qui trouvaient cet Art jusque-là au mieux ringard.
Mais Royston n'était pas très heureux avec le cours des événements, pensant avoir "trompé" son public en n'ayant passé aussi peu de temps en préproduction; il s'attèle donc à un nouveau scénario, toujours en rapport avec le getai, mais qui bénéficierait d'un meilleur traitement et surtout de coûts de production plus élevés; mais parfois, il ne suffit pas d'investir du temps et de l'argent pour qu'une idée rapporte des millions…Tout ce que "12 Lotus" gagne ainsi en maîtrise formelle et en budget financier, il le perd en spontanéité et en fraîcheur. Une fausse note dans la foisonnante filmographie de son réalisateur.
Au moins ne pourra-ton pas reprocher au réalisateur de refaire ce qui a déjà été fait. "12 Lotus" n'entretient que très peu de points en commun avec son précédent "881", si ce n'est que son titre tout en chiffres (marotte de l'ensemble des longs-métrages de Royston après son "15", "04:30" et "881"), une bonne partie du casting (avec des rôles diamétralement opposés au précédent) et la chanson getai. En fait, "12 Lotus" s'inspire de l'ensemble des précédentes œuvres de Royston, courts-métrages y compris. Sa structure narrative épouse ainsi celle des célèbres strophes de l'une des plus belles chansons du répertoire classique getai, "12 Lotus" en démarrant sur la jeunesse de son héroïne principale, racontée – un peu – à l'instar de son précédent "04:30". Ensuite, le film adopte un ton très "881" avec quelques belles séquences musicales effectivement beaucoup plus abouties que sur son précédent avant de continuer sur une seconde partie purement mélodramatique pas très éloigné de son "15".
Malheureusement, cette dramatique accumulation de scènes mélodramatiques s'enfonce rapidement dans une intrigue incroyablement soapy, où les malheurs de Lian Huan illustrés sur fond d'une musique sirupeuse ressemble à s'y méprendre aux romans-photos thaïlandais portés sur les grands écrans thaïlandais dès les années 1950; quant aux thématiques du film – dont la volonté farouche de s'enrichir coûte que coûte dans une société Singapourienne entièrement vouée au Dieu argent – elle ressemble à s'y méprendre à 99 % de la production locale tous genres confondus. Curieusement et comme souvent dans le cinéma de Royston dès qu'il tente d'explorer une thématique dans un format autre que le court, le propos finit par sonner incroyablement faux et exagéré et il ne manquerait plus que les violons pour tenter de sotuirer des grosses larmes de crocodile à un public cible avant tout constitué des ménagères de plus de 50 ans, qui avaient déjà porté son précédent "881" au triomphe, avant que des générations plus jeunes s'étaient identifiés aux Papaya Sisters.
Ici, la seule Lian Hua n'arrive malheureusement pas à porter le poids de tous les malheurs sur ses épaules de plus en plus larges et tout le propos finit terriblement par lasser.
Une œuvre toute entière empreinte du cinéma de son réalisateur, véritable ARTSITE du 7e Art, mais malheureusement englué dans un trop-plein de bons sentiments calculés pour tenter de ressusciter une formule gagnante.
Next time will do better.