Interview Yu Lik Wai


All Tomorrow’s Parties recèle plusieurs intérêts pour le cinéphile « Cinémasien », c’est à dire esthète et qui s’intéresse à tous les pays d’Asie.

Le film a été tourné dans une sublime image Haute Définition, d’où quand même l’occasion de causer technique avec le chef op des films de Jia Zhang-ke, et par ailleurs de prendre des nouvelles du milieu des cinéastes indépendants chinois et de la censure, qui se porte encore trop bien. De plus, Yu Lik-wai est un chinois paradoxal : il est né à Hong Kong et a fait ses études à l’INSAS de Bruxelles. Ce qui lui donne un regard distancié sur son pays et il parle bien français, c’est pratique en interview. Enfin All Tomorrow’s parties a un rapport inattendu avec la Corée du Sud. Cela faisait beaucoup de questions pour 20 minutes.

 

Yann: D’où est venu cette envie de faire un film d’anticipation ?

LW: C’est le lieu qui m’a donné l’inspiration. A l’époque, je faisait un documentaire avec Jia Zhang-ke, In Public, à Datong. Une image m’est revenu tout de suite, Alphaville, de Jean-Luc Godard. C’est un film fait en décors naturels, avec très peu de moyens, mais qui est très efficace. Après coup, j’ai conçu l’histoire pour ce lieu. On a tourné surtout à Datong, dans un avion et un aéroport en Corée.

Y: Le film a des rapports étroits avec la Corée. Avez vous des liens privilégiés avec ce pays ?

LW: La Corée et la Chine vivent des situations similaires. Ce sont deux pays qui vivent une modernité tardive, pas comme le Japon. C’est une modernité imposée, sauvage. On est obligé de courir après le modèle du premier monde, qui une modernité plus mûre. Cela créé beaucoup de sacrifices. Quand je vais en Corée, je me demande si la Chine ça ne deviendrait pas un jour comme cela, ce que j’appelle un deuxième monde.

Y: Une modernité qui est aussi un retour au moyen-âge.

LW: Oui, c’est une modernité un peu rétro-active. Spirituellement, on n’a pas évolué. Il y a des choses comme les talibans, les sectes religieuses, qui sont du moyen âge.

Y: Un des symboles de la modernité, c’est le savon, avec cette réplique magnifique : « Cette nuit, j’ai rêvé de savon ».

LW: L’hypothèse du film, c’est une catastrophe. Pour moi cela recommence avec les instincts les plus basiques, se sentir, se caresser. Les survivants doivent tout réapprendre.

Y: Que veut dire « Gui Dao » ?

LW: « Orbite », mais aussi « la voie », « le chemin de fer ».

Y: Le fait de tourner en numérique, c’était un choix ?

LW: Je devais faire beaucoup de manipulation image, en numérique c’est plus facile car en 35mm il aurait fallu digitaliser la matière première, ça aurait pris plus de temps et d’argent. Et la HD est le format le plus performant. J’ai été formé à l’image 35 mm, j’ai toujours la nostalgie de ce côté tactile de la pellicule, mais avec la HD, je suis vraiment convaincu. C’est d’une qualité presque égale, mais avec beaucoup plus de souplesse dans le traitement de l’image. ça a été inventé pour le cinéma, pas comme le Beta et la DV. Quand il y aura des projections numériques, comme le disait Georges Lucas, c’est comme si tu projetais ton négatif, il n’y a pas une poussière. Le transfert 35 mm est un compromis, cela rajoute du grain, personnellement je préfère la projection numérique.

Y: Avez vous recréé certains décors numériquement ?

LW: Non, 100% des décors sont existants, mais après il y a eu des retouches, pour créer une ambiance « après guerre ». Par exemple on casse les immeubles, on rajoute de la fumée derrière. A part le plan général de l’aéroport, il n’y a quasiment rien de « CG ».

Y: Cet incroyable portique kitsch en néon à l’entrée du camp, il existe vraiment ?

LW: Oui, on a rajouté les écritures en néons mais la structure existe déjà. Je ne sais pas à quoi ça sert. C’est pour ça que je m’étais dit : c’est vraiment un décor pour un film.

Y: Un des acteurs est le réalisateur de Uniform, Diao Yinan. Pourquoi ce choix ?

LW: Parce que je fais tourner surtout les amis ! L’autre garçon, Zhao Wei Wei, était dans le film de Jia Zhang-ke, Plaisirs Inconnus. Je préfère travailler avec des gens que je connais, de toutes façons ce film-là, ce n’est pas pour les stars. Ce qui est important, c’est la confiance. Diao Yinan, j’avais déjà pensé à lui en écrivant le scénario, ce grand garçon au corps massif, avec un côté évasif.

Y: Qui est l’actrice coréenne, Cho Yong-won ?

LW: Elle était connue quand elle était très jeune, elle a joué notamment dans un Im Kwon-taek (NDLR : peut être Le flot éternel, 1984) et après a dû quitter le métier pendant 10 ans car elle a eu un grave accident de voiture.

Y: Vous avez eu une mésaventure assez connue ici, une interdiction de tourner sur le territoire chinois. Est-ce que cela vous gêne vraiment ?

LW: Oui, car cette interdiction touche aussi les films sur lesquels je travaille comme chef opérateur. Parfois j’ai des propositions de travail, et je ne peux pas accepter. Je pense qu’avec le temps, cela s’arrangera, mais pour l’instant cela pose des problèmes, je ne peux pas travailler officiellement. Je peux le faire à Hong Kong, car ce n’est pas valable là bas.

Y: Avez vous un nouveau projet comme réalisateur ?

LW: J’attends un peu car je ne veux pas une confrontation avec les autorités. Mais j’ai un projet qui date d’avant All Tomorrow’s parties, un film plus personnel, une histoire d’amour. Cela voyagerait pas mal, mais il faut que ce soit en Chine.

Y: Vous faites partie d’un groupe d’amis réalisateurs, Wang Chao, Jia Zhang-ke... Quelles sont leurs nouvelles ?

Jia Zhang-ke vient de finir le tournage de son nouveau film, si tout va bien son premier film « officiel ». C’est très bon signe, car cela montre une réelle volonté des autorités de se réconcilier avec les jeunes cinéastes. Wang Chao a terminé son film, Ri ri ye ye, mais je ne l’ai pas vu, il parait qu’il sera à Cannes.

Y: Li Kit-ming produit vos films et ceux de Jia Zhang-ke. ça ne doit pas être évident, pour lui...

LW: Le financement , justement c’est le problème, on est très dépendant de l’argent extérieur. D’ailleurs, c’est très malsain, mais on est obligé de vivre avec cette perversion. C’est pour cela que l’espoir est d’avoir une industrie plus saine, de trouver une plus grande partie des financements en Chine.

Y: Je suppose que votre film est visible par les chinois en CD ou DVD pirate, comme tous les autres (il acquiesce). A Rotterdam, il y avait un film sur ce sujet, Pirated Copy. Il montre que absolument tout est visible en pirate, y compris les films d’auteurs européens, mais l’objet « film » ne vaut presque plus rien.

LW: Oui, environ un euro... C’est effectivement terrifiant. Comme le réseau de distribution est contrôlé par l’état, il y a très peu de choix. Le CD pirate est la seule possibilité pour voir les films étrangers ou chinois clandestins.

Merci à Hervé Dupont et à la journaliste de notre cher « concurrent » Sanchodoesasia.com, qui nous a sauvé la mise, on est tous dans le même bateau...

date
  • avril 2004
crédits
Interviews