Interview Moon So-Ri

Dans quelles circonstances Lee Chang-Dong vous a t-il proposé le rôle de Gong-Ju ?

Parce que personne n’en voulait et qu’il m’avait sous la main ! (rires)

Qu’est-ce qui vous a touché à la lecture du scénario ?

En fait j'ai aidé Lee Chang-Dong pour la préparation du scénario à l'époque de sa conception. Il m'avait choisi comme actrice principale, au milieu d'une quantité de candidates, pour son précédent film (Peppermint Candy) et je tenais donc à le soutenir le plus possible pour celui-ci. Sur son conseil j'ai fait de l'aide à domicile, pendant quelques mois, auprès de jeunes handicapés qui n'étaient pas scolarisés afin de "nourrir" l'histoire et aussi me confronter à cette réalité... Au début on voulait voir dans quelle mesure une actrice était capable de jouer ce type de rôle mais par la suite c'est devenu -pour Lee Chang-Dong et moi-même- comme une sorte de "devoir" d'aller au bout de ce projet... En ce qui concerne le scénario à proprement parler je ne peux pas dire que quelque chose en particulier m'ai touché, mais j'y ai retrouvé beaucoup d'éléments qui renvoyaient directement à ma personne, ce qui a favorisé une certaine identification. Par exemple mon personnage dans le film n'aime pas les haricots rouges et il en est de même pour moi... C'est tout un ensemble de détails qui m'ont parlé, dans les petites habitudes... Et puis aller au bout de cette interprétation est aussi devenu un défi qu'il me fallait surmonter.

Avez-vous eu une certaine liberté de jeu pour trouver votre personnage ou Lee Chang-Dong avait-il des attentes précises ?

Pendant 6 mois j'avais des amis handicapés que je fréquentais régulièrement, ce qui m'a permis de me plonger psychologiquement dans l'environnement de mon personnage. Dans le même temps j'ai également suivi un entraînement physique de 2 mois plutôt intense auquel le réalisateur participait tous les jours. Il me donnait des conseils sur sa façon de voir le personnage, nous échangions constamment sur ce qu'il devait être ou non... En fait il n'y avait rien de préétabli pour Gong-Ju et on s'est donc livré à une recherche constante afin de trouver le " ton " juste. Mais une fois ce travail de défrichage préalable réalisé, au moment du tournage même, c'était à moi d'ajuster et d'affiner mon jeu en fonction de mes capacités : par exemple pour une scène où Gong-Ju doit aller décrocher le téléphone Lee Chang Dong m'a d'abord demandé si c'était physiquement possible, pour le personnage, de le faire... on a essayé, la caméra m'a suivi et ça se tenait. Si la scène n'avait pas fonctionné, ou si j'avais jugé que c'était le cas, on aurait changé sur le tournage même. Il y avait donc une certaine souplesse dans l'approche du jeu et Lee Chang Dong prenait beaucoup en considération ce que je jugeais "faisable" ou non... Il ne donnait pas de directives détaillées mais poussait plutôt à ce qu'on s'approprie au mieux le rôle.

Une des scènes clés qui modifie la relation des spectateurs aux personnages (la distanciation) a lieu dans le métro, après la partie de karaoké, lorsqu'on voit votre personnage se fantasmer "normale" et se mettre à chanter. Cette scène est réalisée en plan séquence là où les précédentes transformations se faisaient plutôt hors champ : est-ce que ça a demandé beaucoup de travail pour atteindre la fluidité de jeu nécessaire à la transformation tout en douceur, naturelle, à laquelle on assiste ?

Ce genre de scène en plan séquence était très difficile à tourner pour moi et a demandé de nombreuses prises. Dans ces moments là, après plusieurs mois passés à interpréter une personne handicapée, je désirais atteindre une certaine "liberté" dans mon jeu lorsque Gong-Ju devenait " normal ", mais j'avais beaucoup de difficultés à y parvenir, à trouver le bon comportement. Je ne savais plus trop comment agir et idem pour mon partenaire (Sul Kyung-Goo) qui ne savait plus vraiment comment se disposer. Toute la relation construite au préalable s'en trouvait affectée. J'avais envie de "bien" jouer une fois redevenue "normale" mais je ne trouvais plus le moyen d'y parvenir... D'ailleurs on a décidé que le personnage dans sa version fantasmée " normale " devait se comporter avec timidité et réserve et pas du tout entrer dans une interprétation fantastique de son fantasme. C'est un fantasme très simple, un fantasme du quotidien. Dans le même ordre d'idée de fantasme de la normalité Lee Chang Dong m'avait demandé, pour cette scène dans le métro, de ne pas m'appliquer pour le chant, de chanter légèrement faux comme ç'est souvent le cas lorsqu'on entend des gens le faire dans un tel lieu public...

Oasis propose également un regard plutôt critique sur la famille coréenne et ses valeurs confucéennes, dans quelle mesure cela reflète t-il la réalité du pays ?

Le film traite plusieurs problèmes de la société coréenne dont la plus importante sans doutes est son manque de diversité et de pluralité. Bien sûr, actuellement avec l'arrivée d'Internet par exemple les choses commencent à évoluer mais si on prend la question de l'art, ou de la sexualité, on constate que les mentalités restent assez conservatrices, la diversité n'est pas vraiment acceptée. L'explication tient peut-être au développement historique de la Corée qui a cultivé une certaine uniformité (conformité ? -ndr) dans ses goûts et en général les coréens ne se sentent pas très bien face à la différence. Quoi qu'il en soit le résultat est que pour des catégories de la population comme les handicapés, ou comme le personnage de Jong-Du (débile léger -ndr) interprété par Sul Kyung-Goo, la vie est bien plus difficile. Alors quand on dit "différence" on pense à la laideur, à la normalité et Oasis montre, de ce point de vue, cette situation d'intolérance aussi bien vis-à-vis de l'apparence que de l'acte d'aimer. Il est vrai aussi que les valeurs familiales confucéennes sont très enracinées chez les coréens et la famille de Jong-Du en est l'illustration, notamment avec les personnages de ses deux frères qui au vu de leur place d'aînés doivent s'occuper de la famille et ne peuvent donc qu'être lâches. Ils ont les responsabilités et ça leur donne également une obligation de conformisme... D'ailleurs les spectateurs coréens ne peuvent pas juger ces personnages parce qu'ils les comprennent et qu'ils se reconnaissent, dans une certaine mesure, en eux.

Avec un sujet -sur les handicapés- aussi "casse-gueule" et un discours qui met les coréens face à leurs contradictions sur cette question, comment expliquez-vous le succès du film en Corée lors de sa sortie dans les salles (plus d'un millions d'entrées) ?

En ce moment le cinéma coréen est un marché très dynamique et les spectateurs ne boudent pas les films locaux qui touchent à plusieurs genres en passant par le cinéma d'auteur. Donc la situation au moment de la sortie de Oasis était plutôt favorable et puis le public coréen était curieux de voir ce que pouvait donner une actrice dans un rôle d'handicapée. En plus Lee Chang-Dong est un cinéaste très apprécié là bas, il est très respecté et il y a comme une relation de confiance entre lui et le public... A part ça le succès du film reste un grand mystère (rires).

Vous avez tourné votre dernier film, A Good Lawyer's Wife, sous la direction de Im Sang-Soo qui est un des autres grands auteurs coréen, quelle différence entre sa façon de travailler et celle de Lee Chang-Dong ?

Mes deux premiers films ont été réalisés par Lee Chang-Dong et je m'étais donc dit que ce serait bien de travailler avec quelqu'un d'autre pour mon troisième, de toucher à un autre style et une fois le film de Im Sang-Soo terminé je dois avouer que j'étais assez étonnée finalement. En fait j'en suis venu à me demander si ces deux réalisateurs partagent bien la même culture tant ils sont différents l'un de l'autre ! Leur regard sur le monde n'est absolument pas le même, leur style de mise en scène aussi et c'est ce qui explique que mon image soit si différente chez Im Sang-Soo de ce qu'elle était chez Lee Chang-Dong. Pour vous donner une idée je dirais que travailler avec Lee Chang-Dong c'est comme traverser un long couloir très sombre avec une lumière au bout qui lorsqu'elle atteinte procure un grand plaisir, tandis qu'avec Im Sang-Soo ça s'apparente plus à des montagnes russes. Et si on devait trouver un point commun entre les 2 hommes c'est dans leur courage qu'il réside.

Dans les quelques biographies qui vous sont consacrées il est indiqué que vous êtes enseignantes mais on ne sait pas en quoi ?

En fait c'est une erreur. J'ai étudié à l'université les sciences sociales mais je n'ai jamais voulu me destiner à l'enseignement, c'est le théâtre qui m'attirait et c'est ce que j'ai fait après mes études.

Lee Chang-Dong est-il un bon Ministre de la culture ?

Même si jusqu'à maintenant il n'a pas atteint le niveau d'André Malraux il reste tout de même un très bon Ministre de la Culture.

Merci beaucoup !

Merci à vous.

Remerciements à Robert Schlockoff
date
  • octobre 2003
crédits
Interviews