Si dans Audition, Asami est une "femme forte", par contre dans certains autres de vos films, vous y allez assez fort avec la gent féminine. Dans Ichi the Killer, le personnage d'Ichi coupe la jambe d'un des personnages féminins et la poursuit pour l'égorger. Dans ce même film, un chef yakuza boxe sérieusement une prostituée. Dans Agitator, votre éphémère personnage de yakuza sodomise une femme avec un micro, avant de se faire dégommer par un yakuza rival. Alors, pourquoi tant de "haine"?
Souvent dans le cinéma, les femmes sont représentées d'une manière exagérément mièvre et douce. Mais souvent dans mes films, les personnages masculins sont confrontés à des femmes fortes qui les poussent dans leurs retranchements et font redoubler leurs instincts de violence et les rendent encore plus forts, plus agités! Dans la scène d'Agitator que vous citez, le but était de montrer un homme qui dépasse les bornes, perd totalement le contrôle. Il n'y a pas de signification particulière dans le fait qu'il met un micro dans le derrière d'une femme! (Rire embarrassé) On a développé la scène sur le plateau, et dans l'élan général c'est venu comme ça! (Rires) Plus tard, quand on voit la scène, on peut avoir l'impression qu'elle exprime un symbolisme spécifique, mais ce n'était pas le cas au moment du tournage du fait de l'improvisation. Mais peut-être devrais-je ajouter que dans la vie réelle, je n'ai pas toujours le dernier mot avec les femmes, alors peut être que je me venge un peu sur le plateau! (Rires)
Quelle sorte de Miike peut on voir sur un plateau de tournage? Un obsédé de la vitesse, du contrôle de tout ? Ou quelqu'un de plutôt décontracté?
Je ne suis pas un tyran sur un plateau. J'essaie de créer une atmosphère agréable, dans une optique de respect des acteurs et de toute l'équipe. Je veux que tout le monde s'amuse et apprécie le processus de tournage, de création. D'ailleurs, je ne suis pas propriétaire exclusif de toutes les idées de scénario ou de mise en scène. Tout le monde participe, et je reste toujours à l'écoute de toute bonne suggestion.
Il y a dans Ichi une énergie chaotique qui fait penser à Tsukamoto, qui joue dans ce film et était déjà acteur dans Dead or Alive 2. Comment se déroule votre collaboration lorsqu'un réalisateur aussi bouillonnant que lui fait l'acteur pour vous?
J'ai rencontré Shinya Tsukamoto par l'intermédiaire de son jeune frère, qui est également acteur (On peut le voir en boxeur charismatique dans Tokyo Fist, qui réunit les deux frères devant la caméra, ndlr). Mais avant qu'il ne me présente son frère aîné, j'étais déjà fan de lui en tant qu'acteur et réalisateur. Nous parlons de temps en temps de films et de mise en scène quand nous nous voyons, mais quand il est acteur, il se cantonne à son rôle d'acteur et fait ce que je lui dis de faire. Mais pour prolonger le thème de mes rapports avec la famille Tsukamoto, je me dois d'ajouter que la femme qui se fait violer et tuer dans Visitor Q est en fait la femme du jeune frère de Shinya Tsukamoto! (Sourire) Elle aussi a un petit grain de folie! (Rires) Mais sinon, la famille Tsukamoto est vraiment une famille extraordinaire...
Toujours dans Ichi, il y a une scène où un yakuza, interprété par Susumu Terajima, acteur fétiche de Kitano, est suspendu à des crochets et se fait torturer, percer la peau à coups d'aiguille par Asano Tadanobu! Pourquoi avez vous choisi Susumu Terajima pour cette scène, comment s'est-elle déroulée sur le plateau, et d'une manière plus générale que pensez vous de Terajima en tant qu'acteur?
La scène est sensée avoir l'air douloureuse, et elle le fut aussi vraiment pour Terajima sur le plateau! Il est resté accroché à ces crochets pendant près de 12 heures! On lui a d'abord peint certaines parties du corps avec des tatouages puis on l'a enveloppé d'une fausse peau, également tatouée, pour y glisser les crochets. Il est donc resté accroché comme ça longtemps, sans pouvoir aller aux toilettes! (Rires) Il a d'ailleurs commencé à boire de moins en moins d'eau plusieurs jours avant le tournage pour ne pas avoir d'envie trop pressante le jour J! (Rires)
Sinon, je connais Susumu Terajima depuis longtemps, depuis l'époque où je travaillais comme assistant réalisateur. Il jouait souvent dans des films d'actions les vilains qui finissent tabassés! De fait, je l'imagine souvent dans ce type de rôles. Et sur le plateau, c'est un acteur très intéressant, parce qu'il a beaucoup d'endurance et peut supporter pas mal de choses éprouvantes. Aussi, il ne se comporte jamais en star, parce qu'il justement été abonné aux rôles de vilains dans des films d'action. Mais dernièrement, il a eu tendance à s'écarter un peu de ce registre et à aller un peu plus vers des films d'auteur. Je me suis donc dit qu'il fallait vite le remettre à sa place avant qu'il ne dérive un peu trop! (Rires) J'espère en tout cas qu'il restera toujours disponible pour des rôles dans des films d'action.
La musique de Ichi the Killer est signée par 4 membres des Boredoms, fameux groupe de la scène indépendante japonaise, sous le nom de Karera Musication. Pouvez vous nous dire pourquoi vous avez fait appel à eux?
Il me semblait intéressant de faire appel aux Boredoms parce qu'ils sont assez éloignés de l'univers cinématographique. Il y a notamment parmi eux le musicien Seiichi Yamamoto. Ils sont de Osaka et pratiquent une musique assez noisy, mais récemment ils ont évolué vers un style plus doux, ambiental, avec des sonorités Hawaïennes, etc. Ils n'avaient jamais travaillé pour le cinéma, mais en parlant avec le producteur, nous nous sommes mis d'accord pour faire appel à eux.
Les producteurs vous obligent-ils parfois à mettre des titres pop à la fin de vos films?
Oui, ça arrive.
A quel stade du développement filmique vous intéressez-vous à la musique?
Généralement en dernier, je préfère d'abord me concentrer sur les images, le tournage et le montage. Ensuite, le producteur et moi regardons les images et réfléchissons à la musique.
Il ne vous arrive jamais de mettre de la musique sur le plateau?
Il m'arrive de venir sur le plateau et d'écouter de la musique au casque, mais c'est pour moi, pour me mettre dans une ambiance, dans un état particulier. Mais je ne la fais pas écouter à d'autres personnes, je pense que la musique est quelque chose d'assez personnel et ce qui peut marcher pour moi ne marchera pas forcément pour les autres.
Happiness of the Katakuri, délirante comédie musicale fantastique insipirée de The Quiet Family, comporte des scènes d'animation en pâte à modeler très réussies. Vous intéressiez-vous à l'animation depuis un certain temps, et avez vous imaginé ou story boardé certaines scènes d'animation vous-même?
La première fois que j'ai réalisé que l'animation pouvait être un moyen d'expression intéressant, c'est quand j'ai vu un clip de Peter Gabriel, il y a une quinzaine d'années (probablement Sledgehammer, 1987, ndlr) Depuis, j'avais envie d'employer l'animation dans un de mes films. Je pense que l'animation possède un timing et un mode d'expression différent et très intéressant. Donc quand nous avons décidé d'utiliser l'animation pour Katakuri, j'ai pensé qu'il serait mieux de faire appel à un nouveau talent plutôt qu'à quelqu'un de très expérimenté dans ce domaine. J'ai donc fait appel à Hideki Kimura, un jeune animateur indépendant, qui possède un univers assez sombre et dépressif. Je trouvais intéressant de faire travailler un pessimiste sur un film aussi optimiste! (Rires) Je lui ai donc donné un certain temps pour réaliser les séquences, qu'il a storyboardées lui-même.
Pourra t-on un jour voir une séquelle de Katakuri?
J'aimerais bien en faire une, mais la plupart des acteurs de Katakuri sont des stars au Japon, donc il sera probablement difficile de les réunir à nouveau tous en même temps. Kenji Sawada, le père de famille est apprécié par de nombreux spectateurs japonais. Tetsuro Tamba, le grand père, est apparu dans un film de la série des James Bond (On Ne Vit que Deux Fois, ndlr). Les réunir dans Katakuri, un film indépendant, pour un tarif assez bas, était déjà une gageure. En même temps, ils ont beaucoup apprécié ce tournage, qui leur offrait plus de liberté que dans le registre commercial.
Visitor Q, satyre terriblement effrontée de la famille japonaise, comporte des scènes très osées d'inceste, de viol, de meurtre, de nécrophilie, d'éjaculations mammaires... Quelles consignes donnez vous à vos acteurs pour les mettre dans un état d'esprit adéquat à ce type de scènes?
D'une manière générale, je choisis des acteurs sérieux, dans le sens qu'ils n'ont pas peur d'explorer leur intériorité, leur propre spiritualité, de prendre des risques, pas des acteurs qui pensent aux rôles en termes de carrière et d'image médiatique. Mon rôle à moi est de les réunir et de créer un environnement favorable à leur liberté d'expression. Bien sûr, je leur explique ce que j'attends d'eux, ce que je souhaite qu'ils fassent. Mais mes requêtes ne déterminent pas 100% du résultat final de chaque scène.
Le personnage de la mère dans Visitor Q est joué par Shungiko Uchida, écrivain et auteur de mangas. Elle était jeune maman quand elle est arrivée sur le plateau. Elle allaitait son enfant, avait beaucoup de lait et c'est en fait elle qui a proposé un jour de faire une scène d'éjaculation mammaire, ce qui est évidemment assez unique! Ce n'était pas du tout dans le scénario, et en fait, cette idée a complètement changé l'histoire, nous nous sommes servis de son idée pour renouveler complètement le scénario. Ce qui est aussi intéressant dans cette situation, c'est que je pouvais montrer le caractère animal de l'existence humaine. L'existence humaine a quelque chose de primaire, de très proche de la nature, et il aurait été dommage de ne pas explorer cette dimension.
La jeune actrice qui joue le cadavre est, comme je vous l'ai dit, la femme du jeune frère de Shinya Tsukamoto. Jouer un cadavre, avoir l'air mort, est à mon sens un vrai défi pour un acteur. C'est très étrange, très curieux, quand on est acteur, d'incarner le non-vivant, de ne rien exprimer du tout. Et l'actrice était justement très intéressée par ce défi, et donc le rôle ne la dérangeait pas le moins du monde! Donc il n'y a jamais rien de forcé dans les interprétations de mes acteurs, je les laisse très libres d'exprimer ce qu'ils ont à l'intérieur d'eux-mêmes, ce qu'ils ressentent.
Pour le rôle titre de Visitor Q, vous avez choisi un acteur/réalisateur débutant, Kazushi Wanatabe, remarqué dans les festivals grâce à son premier long métrage 19 (projeté à Paris au festival Nemo, ndlr). Pourquoi ce choix qui peut paraître surprenant?
J'ai rencontré Kazushi Watanabe au festival de Toronto où nous présentions nos films respectifs. J'ai tout de suite réalisé en le cotôyant qu'il était très différent de moi. J'étais alors en train d'établir le casting de Visitor Q, et j'avais besoin de quelqu'un d'un peu spécial, étrange, à part pour le rôle du Visiteur. Et j'ai pensé que Watanabe qui, à la façon du Visiteur en quelque sorte, se prend en charge, s'autodirige, est indépendant, conviendrait parfaitement au rôle.
Pour finir, pouvez-vous nous parler de certains de vos cauchemars personnels et y puisez-vous parfois de l'inspiration pour vos films?
Quand j'étais enfant, j'étais hanté par 3 cauchemars récurrents. Je vais vous donner un exemple. Je suis dans une pièce circulaire, et je fais du tricycle sans jamais pouvoir sortir de la pièce. Et soudain, le plafond commence à descendre! Mais alors que le plafond est très, très bas, j'aperçois soudain une petite fenêtre. Je me précipite vers cette fenêtre, et de l'autre côté, je vois mon père qui me regarde et je vois dans ses yeux qu'il sait que je vais être écrasé par le plafond. C'est un rêve réellement effrayant, et il y en a d'autres comme ça. Mais parce qu'ils sont justement effrayants, j'essaie de les tenir à l'écart de mon esprit et de mon travail de réalisateur, pour qu'ils ne resurgissent pas trop souvent de mon inconscient!
Remerciement à Zeni