Le Festival International du Film Policier a migré de Cognac à Beaune cette année, et si « foie » de Ministre de l’intérieur on ne boit pas dans la police, question ciné polar on n’hésite pas à passer du spiritueux au Bourgogne pour aborder le genre sous un angle (presque) nouveau. Alors alors : un p’tit verre de Côte de Beaune avalé avant la séance aide t’il à découvrir le coupable plus - hips ! - rapidement ?
Causons d'abord Asie puis ensuite du reste.
Passons sous silence - mais pas sans écrire dessus - le coréen Death Bell, du mauvais film fantastique avec des longs cheveux asiatiques dedans, qui n’avait rien à faire à Beaune et, merci bien, ne passa pas par la case Gerardmer cette même année. Restons sur le continent asiatique avec The Beast Stalker, un bon polar hong-kongais de Dante Lam (Hit team) porté par un Nick Cheung inspiré, et Suspect X, un divertissement correct du japonais Hiroshi Nishitani. En cadeau bonus : une interview de M'sieur Dante Lam !
A Hong-Kong, le sergent Tong Fei, un policier nerveux, traque le dangereux criminel Hung King. Mais les choses ne sont pas aussi simples qu'elles le paraissent...
Il y a un peu plus de dix ans, en 1998, je découvrais Full Alert de Ringo Lam au Festival du ciné de Cognac. La méga claque sur grand écran. Sans être de cet acabit, loin de là même, The Beast Stalker de Dante Lam a été projeté cette année à Beaune, capitale des vins de bourgogne.
Il fait plaisir à voir ce film. Au détour de quelques scènes on retrouve cette rage urbaine pré-rétrocession qui nous galvanisait tant, qu’elle nous vienne alors de la star Ringo Lam ou des péloches de malade de Kirk Wong. Pas objectif pour deux HK dollars, l’aficionados de polars en provenance de l’ex-colonie britannique retrouve la banane le temps de quelques poursuites bien tendues. Les scènes hard boiled sont bien gaulées et l'ambiance d’urgence permanente formidablement restituée. La survie de chaque individu semble ne tenir qu’à ses propre choix, des choix importants, heure par heure, jour par jour, semaine par semaine… Là est la réussite indéniable du film, liée à l’aura d’un Nick Cheung qui nous campe un vilain à ce point charismatique que le spectateur se sent plus en phase avec lui qu’avec un Nicholas Tse pourtant lui aussi dans ses bons jours. Tout est relatif. A noter : Nick Cheung vient de râfler le Prix du Meilleur acteur aux 28ième Hong Kong Film Awards.
Le borgne Nick Cheung vous a à l'oeil gauche à gauche ; à droite Nicolas Tse et l'usuel second couteau Liu Kai-Chi se demandent si... noooon, quand même pas...
Plusieurs tares viennent malgré tout tirer cette péloche vers le bas, car même si l’accident de voiture vaut visuellement le déplacement, faire s’entrecroiser plusieurs destins autour de cet événement renvoie trop au film chorale à la mode aux US, en particulier le Collision de Paul Haggis (2005), pour que The Beast Stalker bénéficie à 100% d’une identité propre. Ajoutons à cela une abondance nocive de flash-back au dépend d’ellipses qui auraient grandement aéré l’œuvre, une touche mélodramatique trop appuyée autour du personnage de la mère, une mainland woman plutôt mal jouée par ZHANG Jing-Chu, et l’on obtient une semi-déception. Ce dernier personnage est en partie une concession à la SARFT, la censure chinoise, valorisé plus que de raison pour pouvoir exploiter le film sur le continent chinois.
Ne gardons que le verre à moitié plein, complètement plein de promesses d’une certaine maturité pour le réalisateur, et de la sincérité d’une âme souhaitant nous démontrer que, pour survivre dans une ville hyperactive comme Hong Kong des choix draconiens se présentent à chaque instant . Et si l’on fait le mauvais, il semble bien difficile ensuite de freiner la chute fatale du côté obscure.
Si, il y a une dizaine d’années, on pariait davantage sur Gordon Chan que sur Dante Lam, alors un binôme créatif important, actuellement la tendance s’inverse et ce dernier se révèle beaucoup plus intéressant à suivre. C’est assez surprenant, parce qu’après plusieurs gros produits commerciaux (Storm Rider – Clash of Evils, The Sniper…), le réalisateur miracle de The Triad Zone et du sous-estimé Hit Team, mine de rien, vient de nous balancer une œuvre vivante un minimum recherchée. Morte ou vive.
Le professeur Yukawa va devoir cette fois se mesurer à un ancien ami, mathématicien de génie, pour prouver sa culpabilité dans une sombre histoire de meurtre...
Malgré une mise en scène efficace, une photo correcte, de bons acteurs, une trame globalement intéressante et un prix de la critique, on peut trouver léger l’affrontement « au sommet » entre un génie mathématicien, qui protège par amour la coupable d’un meurtre, et un physicien super star. Au scénario on s’en est rendu compte en noyant l’évolution de l’histoire dans le lacrymal plutôt que le cérébral ludique attendu, une constante facile plus généralement attribuée aux films coréens mainstream.
Un matheux tourmenté à gauche ; à droite prêt à s'écharper avec son ami le physicien.
L’affrontement en lui-même n’est jamais perceptible, c’est gênant. Globalement, on a là l’épisode d’une série policière sympa – qui existe et que je ne connais pas -, qui se termine « à l’américaine » avec deux héros pensifs assis sur un banc, aidés dans leur acting les yeux au ciel par une ‘tite musique qui décolle et s’en va accompagner le générique de fin.
Suspect X est un passe-temps d’ordre télévisuel correct mais qui n’exploite pas bien, à l’écriture, son très bon pitch de départ. Ce gros potentiel méritait un traitement autrement plus approfondi, on pense parfois aux trames et à la structure du manga Detective Conan, parfois plus pertinent dans ses déroulements. Voilà pour le négatif selon cette approche-ci, qui m’a accompagné tout au long de mon a priori et, donc, tout au long du film. Maintenant, du côté lacrymal, la chose est plutôt une bonne surprise : les personnages sont nuancés, la femme fatale toute en ambivalences et TSUTSUMI Shinichi assure dans le rôle du matheux tourmenté. Les rebondissements – j’insiste : d’ordre mélodramatiques – sont bien ficelés et quelques jolies scènes valent le détour : la représentation du théorème des quatre couleurs, les anxiétés du matheux… Dommage que le beau gosse FUKUYAMA Masaharu, sorte d'Ekin Cheng local, peine à atteindre ce (haut) niveau dans le rôle du physicien Manabu.
Voici, encastrés Pêle-Mêle, les autres films et évènements du festival. "Encastrés" m’évoquant l’impressionnant crash de The Beast Stalker, voici en vrac les autres films vus tout au long du Festival.
Grand prix : Dans la brume électrique de Bertrand TAVERNIER (France-Etats-Unis)
Flic dans le gaz - et dans le brouillard - le temps d’une affaire fumeuse...
Abordons ce film avec, soyons fous : l’acteur Alec Baldwin. Qui ne joue pas dedans, non, mais campa le Jack Ryan récurrent de l’écrivain Tom Clancy dans l’Octobre Rouge de John Mc Tiernan aussi bien que le Dave Robicheau récurrent d’un autre écrivain, James Lee Burke, dans Vengeance froide. Ce dernier est un bon film de Phil Joanou et déjà une adaptation d’un polar de Burke en pleine Louisiane avec un Robicheau quelque peu arrangé pour l’occasion. A notre pauvre Alec Baldwin, coup sur coup, de se trouver deux successeurs autrement plus imposants le temps d’autres adaptations, respectivement Harrison Ford dans Jeux de guerre puis Danger immédiat, et Tommy Lee Jones avec, donc, Dans la brume électrique. On y arrive.
Désamorcer chaque ressort dramatique pour représenter subjectivement la distance que Robicheau accorde aux choses n’aide pas à l’implication du spectateur dans cette enquête. Elle semble se terminer sans réel dénouement, sans vrai climax ni coupable pointé du doigt. Dave Robicheau a comme déjà un pied dans la tombe, il semble en avoir vu tant et tant que plus rien ne l’étonne. Si la retranscription de cet état d’esprit est une réussite, le sentiment qu’éprouve le spectateur peut s’en trouver frustrant. On ne va pas au ciné pour vivre par procuration une non-réaction permanente du protagoniste principal. L’ambiance, la musique, le formidable fantôme d’un général sudiste et la Louisiane supplantent cette étrangeté et font de la chose un excellent trip. L’histoire se déroulant qui plus est dans cette partie d’une Amérique ravagée par l’ouragan Katrina, cette actualité donne un vrai cachet à une oeuvre qui mérite amplement une seconde vision.
L’hommage à William Friedkin fait par Claude Lelouch valait son pesant de glaçons dans le Cognac (oups, pardon), avec une « ovation debout » méritée et un défilé d’extraits des films du maître qui donnaient joyeusement le vertige. Tout rouge, le réalisateur de Solo Quiero Caminar, film qui passait dans la foulée, avoua qu’il était clairement gêné de présenter son bébé après de pareils extraits. Bien que visuellement superbe et porté par un Diego Luna au charisme comme importé de la trilogie du parrain, son métrage (traduction : « je veux juste marcher ») comporte trop de rebondissements éparses qui noient abondamment une trame de type « crescendesque » nous amenant à l’obligé défouloir terminal qui… ah ben non tiens, il n’y en a pas de super climax à la fin., c’est balot. Le réalisateur Agustin Diaz Yanes citant largement - et beaucoup trop longuement - La horde sauvage de Sam Peckinpah, c’en est doublement frustrant. Promesses non tenues.Galantuomini (traduction : “le gentilhomme”) est un mélodrame sur fond de terrorisme qui jouait un peu trop la carte du beau portrait de femme pour convaincre, usant de nombreux travellings avant/arrière sur son actrice Donatella Finocchiaro, la belle interprète de Lucia, une violente activiste rattrapée par son passé.
Sous couvert de dénoncer la « dreûgue », le canadien High Life quant à lui usait de démagogie à fond les ballons avec ses djeuns truands continuellement drogués se fourvoyant dans un fourgon blindé. Énième « wanna be cool movie», High Life ne décolle jamais (arf!) en raison d’une impressionnante absence d’imagination noyée à grand renfort de musique envahissante.
L’avant-première d’OSS 117 : Rio ne répond plus, avec Jean Dujardin et le réalisateur Michel Hazanavicius en invités a fait son petit effet : l’événement a donné de la vie au Festival et le film également, globalement une réussite pleine de bonne humeur malgré l’absence de surprise et un canevas narratif identique au premier film.
Via trois réalisateurs danois, trois films représentaient la Scandinavie cette année : le Bronson britannique de Nicolas Winding Refn (Pusher), Terribly Happy de Henrik Ruben Genz (Chinaman) et What No One Knows de Soren Kragh-Jacobsen (Mifune). Bien que le premier mène largement la danse avec son faux biopic virtuose d’un célèbre tôlard ayant cassé du flic en plus de la baraque en Angleterre, le second comporte des qualités indéniables et le troisième, sous ses apparences d’énième thriller paranoïaque, s’engage avec conviction dans son propos : la condamnation sans équivoque du tout sécuritaire.
De leurs côtés, les courts métrages étaient corrects sans pour autant que l’un d’eux ne s’imposa vraiment. Mon chouchou à moi était Négropolitain, qui n’a pas eu le prix. Je dois avouer avoir malheureusement raté au moins deux films importants : le Loft du belge Erik Van Looy (le très bon La mémoire du tueur), et l’anglais Helen de Christine Molloy et Joe Lawlor. Les invités de marque Robert Duvall et Georges Lautner étaient également présents à Beaune.
En dépit des qualités indéniables du film de Dante Lam, on ne peut pas dire que l'Asie ait particulièrement brillé cette année. Encore que personne ne se soit réellement illustré à cette première session de Beaune. Le Bronson dano-british s'est qualitativement imposé mais n'était pas tout à fait dans le ton du festival. Très logiquement, le Tavernier a râflé la mise.
On retiendra de cette première édition le très beau cadre du Festival qu’a été la petit ville de Beaune, ses rues pavées, ses remparts, ses jolies ruelles étroites, en espérant que 2010 arrondira les angles des quelques obstacles rencontrés. Nous imputerons à cette fraîche migration Cognac/Beaune la faible fréquentation générale. Les salles étaient rarement remplies et point n’était besoin de se presser pour voir chaque péloche. L’importance des moyens mis en œuvre en a jeté un max mais l’avalanche de policiers faisait parfois davantage ressembler le festival à un colloque de CRS qu’à une fête du cinéma. Qu’aurait donné un Nick Cheung énervé lâché dans le tas ? Protéger à ce point les stars d’un public à ce point absent rendait quelques visions aux lisières de l’absurde… Et parce qu’il n’y avait qu’un ciné pour tout montrer, à savoir un bâtiment situé à l’extérieur des remparts, donc du centre, donc des bars, une bonne buvette / sandwicherie implantée pas loin n’aurait-elle pas été la bienvenue ? Glissa t’il négligemment dans la boîte à idées ? Ceci relevant du chipotage : les aficionados de polar étaient là, ceux de ciné aussi et les échanges cinéphiles des plus passionnants. A dans un an j’espère et… ah j’allais oublier le coupable ! Le chanceux s’est enfui cette année grâce à l’abus de Côte de Beaune de ses poursuivants, aux pattes sciées par l’alcool. J’affirme toutefois que je l’ai vu courir et serais même prêt à jurer qu’il était déguisé en vigile.
Le Jury Longs Métrages présidé par Claude Chabrol et entouré de François Berléand, Amira Casar, Benoît Cohen, Anne Consigny, François Guérif, Noémie Lvovsky et Elsa Zylberstein a décerné les prix suivants :
GRAND PRIX :
DANS LA BRUME ELECTRIQUE de Bertrand TAVERNIER (France-Etats-Unis)
PRIX DU JURY :
SÓLO QUIERO CAMINAR (Just walking) de Agustin DIAZ YANES (Espagne-Mexique)
Le Jury Spécial Police présidé par Danielle Thiery, entouré de Wilfried Fremond, Loïc Garnier, Jean-Marc Souvira et Robin Gazawi a décerné son prix :
PRIX SPECIAL POLICE :
TERRIBLY HAPPY de Henrick RUBEN GENS (Danemark)
Le jury composé de journalistes internationaux a décerné le prix suivant :
PRIX DE LA CRITIQUE :
SUSPECT X de Hiroshi NISHITANI (Japon)
Le Jury Sang Neuf présidé par Etienne Chatiliez, entouré de Sami Bouajila, Rachida Brakni, Samuel Le Bihan et Nicolas Saada, a décerné son prix :
PRIX SANG NEUF :
BRONSON de Nicolas WINDING REFN (Royaume-Uni)
Le Jury Courts Métrages présidé par Jean-Paul Rouve, entouré de Fred Cavayé, Marius Colucci, Arié Elmaleh, Julie Ferrier et Thomas Verovski, a décerné son prix :
PRIX DE L'ENTRE-COEUR-PRIX DU MEILLEUR COURT METRAGE :
Parrainé par le BVI (Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne)
BAPTEME DU FEU de Nicolas MESDOM (France)
Site du Festival
Merci à Clément Rébillat et Céline Petit du Public Système Cinéma, et plus généralement à toute l'équipe du Service de presse du Festival.