Pas facile de s’entretenir avec Gô Nagai ! Invité d’honneur de la 9ème édition du Napoli COMICON en avril 2007, où était présentée l’édition DVD officielle de Goldorak en Italie, « il maestro » était presque aussi difficilement accessible qu’une rock star. Une marque incontestable, s’il en fallait une, de la popularité de Goldorak (en italien « Goldrake », Grendizer en japonais) au pays du « calcio », popularité qui n’a rien à envier à celle du personnage en France. Si différence il y a, c’est bien dans l’accessibilité au reste du travail de Gô Nagai. Dans ce registre, notamment avec la présence de la société D/Visual qui gère pas mal des droits de l’auteur, l’Italie est le terrain d’une reconnaissance bien plus effective et systématique de son travail. Ainsi, aux nombreuses éditions officielles de séries animées adaptées de ses créations, il faut aussi y adjoindre les éditions tout aussi nombreuses de ses mangas : Goldorak et Devilman bien entendu, mais aussi Cutie Honey, Violence Jack, Mazinger Z, Amon, Getter Robot... De quoi faire d’autant plus trépigner de frustration les fans français. Avec la venue de Gô Nagai à la dernière édition du Japan Expo (juillet 2008) à Paris, et la publication pour l'occasion de plusieurs mangas en français par D/Books, les choses semblent enfin bouger. En attendant d'en voir plus, on se « contentera » de l'interview ci-dessous qui regroupe, pour des besoins de lisibilité, 3 séances séparées (en tête à tête, en compagnie d'autres journalistes italiens et en public, ouf !) avec le mangaka : transfert, auto-largue, go !
Que vous inspire l’accueil qui est fait à Goldorak en Italie ?
Je suis ému et touché de découvrir que mes oeuvres ont un tel accueil dans un pays lointain comme l’Italie.
Comment est née l’idée de Goldorak ?
J’avais imaginé Mazinger Z, série que j’avais créée avant Goldorak, comme un robot issu de la technologie terrienne. Mais avec Goldorak j’ai voulu créer quelque chose qui aille au-delà de ce concept, d’où cette idée d’avoir recours à une technologie qui provenait de l’espace et en mesure ainsi de dépasser n’importe quel robot imaginé jusque là.
Cette année est sortie une nouvelle série de Jeeg, une autre de vos séries de robots. Que pouvez-vous nous en dire ?
Shin Jeeg est une réactualisation de la vieille série Tôkutetsu Jeeg (Jeeg d’Acier), avec un changement de philosophie : le personnage d’Hiroshi était un cyborg qui se transformait dans la tête de Jeeg et il était donc le seul à posséder les qualités spéciales pour pouvoir le diriger. Dans cette nouvelle série, n'importe qui peut guider le robot. Ça fonctionne différemment car ce n’est plus le personnage qui se transforme dans la tête du robot, mais sa moto qui se transforme en cabine de pilotage. En pratique, l’homme ordinaire peut devenir un héros sans nécessairement devoir posséder des capacités extraordinaires.
Techniquement aussi il y a eu du changement...
L’idée de fond était également de voir ce que je réussirai à obtenir avec les outils numériques sur le personnage de Jeeg et sa série. L’animation par ordinateur offre d’immenses possibilités. Dans les années soixante dix, pour des raisons pratiques, nous étions contraints de toujours faire endosser les mêmes habits aux personnages. Mais aujourd’hui on peut s’occuper de détails impensables à l’époque.
Vos robots se présentent comme des extensions de la volonté humaine, véhiculent-ils également de ce fait les contradictions inhérentes à l’homme ?
Tout cela dépend de qui les utilise. Toutes les machines ont un potentiel négatif et positif ; l’ordinateur lui-même est apparu comme quelque chose d’utile à l’homme, mais il est aussi employé pour des raisons négatives. Je pense que ce dualisme est valable pour n’importe quelle technologie. Je suis convaincu que dans chaque être humain, il y a une composante positive et une composante négative, ces deux aspects ne peuvent pas être dissociés. C’est donc un problème et un concept qui se répercute également sur mes œuvres. Et si la tension positive qui joue à l’intérieur de tous les hommes peut trouver à s’exprimer dans la religion, cela ne signifie pas à mon avis qu’il puisse exister une forme de bien absolu, tout comme une forme de mal absolu.
Aimeriez-vous, après cette nouvelle série sur le personnage de Jeeg , vous attaquer à une nouvelle version animée de Goldorak ?
Effectivement, même s’il n’y a encore rien de précisément définis, mais plutôt qu’une nouvelle version c’est en fait à une « prequel » de l’histoire originale de Goldorak que je voudrais m’atteler. L’intrigue se déroulerait sur la planète Fleed (ndr : Euphore dans la version française) et raconterait l’histoire d’Actarus jusqu’au moment de son exil sur la Terre. Il est également possible que Mazinger Z vienne se joindre à Actarus et combatte aux côtés de Goldorak. Ce serait intéressant de voir de quelle façon cet évènement va se lier à leurs histoires respectives.
Il est vrai que le personnage de Koji (ndr : Alcor dans la version française), est réduit dans Goldorak à piloter sa navette alors que dans sa série originale il était aux commandes de Mazinger...
C’est vrai, mais le fait est qu’à l’origine je voulais créer Goldorak comme une série qui n’était pas liée à Mazinger, dans laquelle Koji ne devait absolument pas apparaître. Mais la chaîne TV qui devait la diffuser a alors beaucoup insisté pour qu’il apparaisse en tant que second rôle. Finalement, ils sont parvenus à me convaincre et c’est comme ça que s’est créée cette situation. C’est pourquoi je veux faire combattre Goldorak et Mazinger Z ensembles dans une éventuelle nouvelle série.
Alors que sort l’édition DVD italienne officielle de Goldorak, que pensez-vous de la situation concernant la distribution litigieuse de l’édition française (ndr : une procédure est en cours en France impliquant la Toeï et Dynamic d'un côté, et les éditeurs Manga Distribution et Déclic Image de l'autre) ?
Il s’agit d’une atteinte aux droits d’auteurs. Le piratage, en ne les respectant pas, porte atteinte à la protection de tous les auteurs.
Deux adaptations live tirées de vos créations ont été produites, Cutie Honey et Devilman, et sur le net des fans italiens sont en train créer un court métrage amateur de Goldorak mêlant live et 3D : peut-on imaginer un film live de Goldorak un jour ?
L’idée de faire un film live de Goldorak, ou de tout autre robot, me paraît excellente et la technologie est là pour le réaliser, mais il faut trouver un producteur qui finance le projet.
Et qu’en est-il de votre principale saga robotique, Mazinger ? Avez-vous des projets particuliers concernant cette série ?
Oui. Après un long moment de réflexion, j’ai décidé de reprendre le travail sur Mazinger. Comme c’est une œuvre véritablement complexe, j’avais besoin de ce temps de réflexion plutôt long pour penser à ses développements qui seront très élaborés.
Et pour ce qui est des créatures fantastiques que vous créez, qu’est-ce qui vous motive ?
Eh bien les monstres sont une forme de représentation figurative très efficace graphiquement, bien que facile, des tendances maléfiques présentes dans l’âme humaine. Nous sommes contraints de vivre avec ça et il n’existe personne qui soit absolument mauvais, ou absolument bon. Pour dépeindre cette difformité de l’âme humaine, il n’y a pas meilleure façon, pour moi, que de la traduire comme difformité graphique, ou mieux, iconographique. Voilà d’où viennent mes monstres.
Après le film de Devilman, existe-t-il une possibilité de voir de nouvelles adaptations animées de cette saga ?
Devilman est une œuvre incomplète pour ce qui est de l’animation, et j’ai la très forte intention de la poursuivre et de la compléter, mais seulement lorsque les conditions qualitatives nécessaires me permettant de le faire seront réunies. Et ceci vaut autant pour l’animation que pour d’éventuels projets cinématographiques...
Il y a quelques mois, votre assistant et collaborateur de longue date Ken ISHIKAWA (ndr : co-créateur de la saga Getter Robot) disparaissait, qu’avez-vous envie de dire à son sujet ?
Il a été mon assistant et pendant les premiers mois je lui ai enseigné les rudiments du manga. Pendant un temps il créa des histoires qui ressemblaient beaucoup aux miennes, mais ensuite, après quelques années, il commença à créer des choses complètement originales. Si son style est né comme une imitation du mien, il s’est ensuite épanoui. A partir d’un certain point notre relation est devenu un rapport d’amitié et de compétition. Lui regardait ce que je faisais et essayait de me dépasser. Moi je regardais ce qu’il faisait et j’essayais de le dépasser. Une compétition très amicale.
Que pensez-vous des séries qui font référence à votre travail, comme par exemple le manga à succès Berserk de Kentaro MIURA ?
Effectivement, il y a beaucoup de mangas qui paraissent au Japon dans lesquels je retrouve des traits explicitement inspirés de mes œuvres. Par exemple, dans le cas de Berserk, au début je m’amusais presque à chercher les citations de mon travail, mais pendant que je faisais cela j’ai aussi découvert que Miura avait créé une œuvre véritablement très intéressante, un manga duquel je suis moi-même même devenu fan.
Nous avons évoqué vos envies et projets concernant certaines de vos grandes séries, mais qu’en est-il du reste de votre activité? De nouveaux projets ?
En ce moment je travaille sur quatre projets différents, dont plusieurs centrés sur le japon médiéval, mais pas dans le même style que ce que fait Miura. Parmi ces projets il y en a aussi un qui est un classique manga policier. Et puis il y a aussi en plus de tout ça Violence Jack, un de mes personnages « pulp » né au milieu des années quatre vingt et qui devrait encore me tenir occupé un peu de temps.
Propos recueillis en avril 2007 par Emmanuel Pettini et Anton GUZMAN.
Remerciements à MFL Comunicazione et à l’équipe du COMICON de Naples.