Invité d’honneur de l’édition 2007 de l’Epitanime, ABE Yoshitoshi a bien voulu répondre à quelques questions, en revenant notamment sur son parcours et quelques uns de ses travaux, tout en n’oubliant pas d’évoquer ses projets futurs. ABE a connu une notoriété immédiate avec son travail de chara-design sur la série Lain (1998), et sa participation à une série plus récente et prestigieuse comme Texhnolyze (2003) maintient assurément sa popularité auprès des fans d’animation, mais les séries animées ne sont pas son unique champ d'expression.
L’éditeur américain Tokyopop avait annoncé il y a quelques années (2003), la sortie en édition US de votre manga en 2 volumes NieA_7, depuis plus rien. Savez-vous ce qu’il en est ?
Pas grand-chose si ce n’est que j’ai entendu dire qu’il s’agissait de problèmes d’acquisition de licence... Mais je pense que si jamais Tokyopop décidait de revenir à la charge pour tenter de rediscuter, alors il y a des chances pour qu’ils arrivent à fairequelque chose.
Pour rester sur NieA_7 : dans quelle mesure vous êtes-vous impliqué dans la série animée en 13 épisodes qui a été tirée de votre manga ? En plus du chara-design, aviez-vous votre mot à dire sur le scénario par exemple ?
Et bien, en ce qui concerne le manga si c’est effectivement moi qui ai tout fait, pour ce qui est de la série animée il y avait par contre un scénariste du nom de SATO Takuya (ndr : scénariste sur Midori Days, réalisateur de Ichigo Mashimaro). Donc je me suis chargé de la partie dessin bien entendu, mais pour ce qui concerne tant le scénario comme le déroulement de l’histoire, je ne m’en occupais pas tellement à vrai dire.
Vous publiez la plupart de vos travaux de mangaka sous forme de dôjinshi (ndr : auto-publication), ou sinon dans des formats très ponctuels, comme c’est le cas de vos courts récits dans la série de recueils anthologique "Robot" de Range MURATA (illustrateur & chara-designer) : n’avez-vous jamais été tenté par un manga plus « mainstream », une série au long cours dans un magazine à fort tirage ?
Vous savez, pour le moment le travail qui m’a pris le plus de temps s’est déroulé sur deux années. Alors pour répondre à votre question, pour moi un manga qui se boucle complètement en deux années, c’est le rythme idéal. Je n’ai donc pas vraiment l’intention de me lancer dans quelque chose de trop long, je préfère travailler sur des formats plus courts
A plusieurs reprises, dans des interviews, vous avez évoqué un projet de manga avec comme sujet le cyclisme et Le Tour de France. Où en êtes-vous de ce projet ?
Alors j’ai déjà une idée assez précise de l’histoire que je veux raconter, mais je dois encore effectuer quelques recherches - un travail quasi « journalistique » - pour ne pas dire trop de bêtises, avoir de quoi dessiner les choses de façon réaliste... Il me manque encore pas mal d’éléments concrets pour pouvoir passer à la phase de réalisation effective. J’ai beaucoup de respect pour ceux qui courent le Tour de France et je ne voudrai donc pas me louper.
Sur le même sujet d’ailleurs, le cyclisme, Madhouse a produit un moyen métrage d’animation en 2003, Nasu, vous connaissez ?
Oui je connais. Nasu est un animé qui dure une quarantaine de minutes et j’aimerai faire quelque chose un peu dans cet ordre d’idée, concernant le réalisme notamment, mais en un peu plus long quand même.
Lisez-vous beaucoup de manga et si oui quels titres, quels auteurs ?
A vrai dire je n’en lis pas énormément, si ce n’est quelques titres précis comme Vagabond de INOUE Takehiko, ou L’Habitant de l’Infini de SAMURA Hiroaki (ndr : deux auteurs comptant parmi ses amis). J’aime bien aussi lire le manga Nodame Cantabile de NINOMIYA Tomoko.
Passons à votre travail dans l’animation. En quelques séries vous avez collaboré avec plusieurs studios de productions de différentes envergures : quelle est la différence entre travailler pour Triangle Staff sur Lain, ou pour Radix sur Haibane Reinme par exemple, et de passer à Madhouse avec la série Texhnolyze ?
Le travail en lui-même ne diffère pas vraiment d’une société à l’autre, je fais à peu près la même chose, en revanche pour ce qui est des conditions ça varie sensiblement entre un gros studio et d’autres plus modestes. Lorsque je travaille pour Madhouse par exemple, je suis assis à côté de quelqu'un que je ne connais pas, alors que lors de la production de Lain avec Triangle Staff, ou lorsque je travaillais avec Radix, c’était de petits groupes et donc tout le monde se connaissait dans le staff... Ce n’est donc pas sur le travail en lui-même qu’il y a des différences, les exigences des studios ne changent pas vraiment, mais plutôt sur la relation qu’il y a dans la société lorsqu’un grand nombre d’intervenants sont impliqués...
A propos de la série Haibane Renmei (Ailes Grises, 2002), dans cet animé tiré d’un de vos dôjinshi, le ton de l’histoire évolue au fil du passage des saisons, l’humeur de l’intrigue étant au diapason avec une ambiance légère sur fond de printemps en début de série, pour finir en hiver avec une tonalité plus dramatique... Qui a eu cette idée de mise en scène ?
Il s’agit effectivement d’une démarche volontaire dont j’ai eu l’idée puisque je me suis occupé de pas mal de chose sur cette série, y compris le scénario. L’idée de mise en scène était de faire en sorte que la tension monte en même temps que l’avancée des saisons.
Peut-on dire que dans Haibane Renmei les thèmes de la rédemption (point de vue occidental) et de la réincarnation (point de vue oriental), sont une composante du scénario ?
Je n’ai pas vraiment cherché à insérer dans mon histoire un discours sur la religion à proprement parler, pas intentionnellement du moins. A vrai dire je suis athée. Mais il est évident, au regard de la façon dont se déroule la série, qu’on peut y plaquer diverses choses comme celles que vous signalez.
Il y a beaucoup de zones d’ombre dans l’histoire et l’univers d’Haibane Renmei. Connaissez-vous vous-mêmes toutes les réponses ?
Oui, j’ai toutes les réponses. Mais ma démarche avec cette histoire a été, en partant d’une vision globale, de me concentrer sur un endroit et des évènements particuliers, en faisant l’économie d’explications qui me paraissaient superflues, le déroulement de l’histoire contenant déjà assez de réponses.
Songez vous un jour, après avoir fait du chara-design et le scénariste, à passer à la réalisation ?
Non, ce n’est pas vraiment ce qui m’intéresse et puis je ne m’en sens pas vraiment les capacités. L’idée de donner des instructions aux autres ce n’est pas vraiment mon truc, je préfère être aux commandes de ce que je fait et mettre directement les mains dedans, tandis que le travail de réalisateur d’une série animée s’apparente plus à tenir le rôle d’un chef d’orchestre. Je n’ai tout simplement pas cette ambition. Et puis je ne suis pas quelqu'un qui vient du métier de l’animation, et le poste de réalisateur est en générale l’étape finale d’évolution d’une carrière, qui vient après un parcours bien précis partant d’un travail de simple intervalliste, pour aller vers de plus en plus de responsabilités...
Il était question, fin 2006, d’une nouvelle série animée intitulée Neko Diver, produite par le studio Satelight et à laquelle vous étiez également attaché : qu’en est-il exactement ?
Et bien c’est un projet sur lequel j’ai travaillé pendant un et demi et qui a finalement été abandonné.
Et quels sont vos projets à l’avenir ?
Je veux d’abord absolument réaliser et concrétiser mon projet sur le cyclisme et le Tour de France. J’ai aussi en projet quelque chose dans l’animation, sous la forme de petites séquences animées en flash de trois minutes. Pour l’occasion je compte adapter un de mes dôjinshi. J’ai déjà trouvé une équipe... Et puis je désire également écrire un livre, un ou des romans.
Interview réalisée par Anton GUZMAN en mai 2007.
Remerciements à Jon pour la traduction ainsi qu’à toute l’équipe d’Epitanime.
Publiée intialement dans le magazine Japan Vibes 38.