Interview WAKAMATSU Koji

Le festival Est-ce ainsi que les hommes vivent? s'est tenu du 22 au 28 février 2006 à Saint-Denis. Le thème de cette année était Sex is Politics. Quoi de plus naturel dès lors que de faire de WAKAMATSU Koji, producteur exécutif de L'Empire des sens et cinéaste chez qui transgression politique et sexuelle allaient souvent de pair, l'invité d'honneur de la manifestation. Ordell Robbie a pu le rencontrer à cette occasion.

Avant le cinéma

Pourquoi avez-vous migré à Tokyo?

Je me suis enfui de la maison natale et pour ceux qui la fuyaient la seule destination était Tokyo. J'étais déjà renvoyé du lycée quand j'étais en première année de lycée. A l'époque où vous étiez à Tokyo vous avez survécu par des petits boulots. 

Quel était votre rapport à ce Japon d'après-guerre? 

Enfant et jusqu'à ma troisième année d'école primaire j'ai reçu comme éducation qu'il fallait vivre pour l'Empereur, pour l'Etat et pour devenir soldat. Le Japon a ensuite changé de même que les manuels scolaires d'histoire. En cette époque d'après-guerre, on avait rien à manger et on pensait plutôt à comment trouver de la nourriture, du riz. Je cherchais constamment de quoi manger et c'est cela qui a fait ce que je suis aujourd'hui.

Un itinéraire qui rappelle les personnages de FUKASAKU...

Comme moi, il est d'origine campagnarde.

Qu'est-ce qui vous attirait dans la vie de yakuza?

J'étais en colère contre la société et cette colère a suscité chez moi le désir de vivre pas longtemps mais bien. De ce point de vue, la vie de yakuza était idéale. Je voulais vivre et mourir en yakuza. J'étais solide, fort physiquement, bon à la bagarre et c'était mon seul talent. A part faire des gâteaux parce que j'étais apprenti pâtissier je n'avais pas d'autre talent. Et comme je n'avais pas le choix le métier de yakuza m'a attiré.

Pourriez-vous nous parler de votre expérience de la prison?

J'étais chinpira et ai été arrêté à cause d'une bagarre. J'avais grimpé dans la hiérarchie et avais de jeunes aniki et l'un d'eux a eu un problème avec un yakuza d'un autre clan. On s'est alors vengé de ce dernier. Et j'ai été arrêté parce que j'avais laissé ma montre sur le lieu du crime.

Les débuts de cinéaste

 Que vous a apporté votre expérience de réalisateur à la télévision?

Avant d'intégrer le milieu télévisuel, je considérais les réalisateurs de cinéma et de télévision comme des dieux. En rentrant dans ce milieu, cela me les a démythifiés et cette expérience m'a apporté beaucoup. A la télévision il n'y a en effet pas de vraie mise en scène...

Mis à part Godard aviez-vous d'autres modèles de cinéaste à vos débuts?
Pas vraiment. Mais le premier film que j'ai vu dans ma vie était le Sugata Sanshiro de KUROSAWA dans une salle de cinéma ambulante à la campagne. Et quand j'étais apprenti pâtissier je n'avais qu'un jour de congé mensuel et pour des raisons de manque d'argent le cinéma était mon seul loisir. J'ai vu beaucoup de films américains, je me souviens très bien de Casablanca, Le Troisième Homme... Et aussi du Voleur de Bicyclette. Ce genre de films m'a plu, m'a fait rêver mais à l'époque je n'aurais jamais imaginé devenir cinéaste. 

Méthodes de travail et production

A partir de quel moment créer votre compagnie est-il devenu une nécessité?

Lorsque je suis parti présenter au Festival de Berlin le film L'Embryon. C'était mon premier festival étranger. J'y ai rencontré divers cinéastes dont POLANSKI. Il m'a fait comprendre qu'il était important pour un artiste de contrôler son travail et c'est ce qui m'a poussé à créer ma maison de production. Si on travaille pour une Major, on n'a pas cette liberté.

Quelles étaient vos méthodes de travail pour les scénarios, sur les tournages?
Je lis beaucoup la presse, surtout la rubrique faits divers. Les Anges Violés étaient par exemple inspirés d'homme qui a tué 7 femmes et fait de la prison pour ça. Une jeune fille n'a pas été tuée. Je me suis demandé pourquoi. Je peux travailler de cette façon parce que j'ai ma propre compagnie. Dans le cas d'un studio, il faut l'accord de plusieurs personnes et cela va lentement. Quand j'ai l'idée d'un film, je commence à le tourner une semaine après et c'est pour ça que j'ai été si prolifique comme cinéaste.

Comment avez-vous connu AADACHI Masao?

Il est venu un jour en me disant qu'il voulait devenir mon assistant. Il réalisait en tant qu'étudiant à l'Université du Japon des films underground et il voulait travailler pour Wakamatsu productions. Je lui ait dit "Bienvenue, je vais te torturer!" et il a été la personne la plus torturée. Je lui disais: "S'il pleut, c'est ta faute.". Comme scénariste, personne n'écrivait aussi vite. Deux jours pour un film. Il écrivait vite pour pouvoir payer son loyer en fin de mois. A l'époque les photocopieuses n'existaient pas. Lorsque je n'étais pas content de son script, il le déchirait devant moi et revenait le lendemain avec un second jet. J'ai eu pitié de lui et c'est pour ça que j'ai accepté qu'il travaille pour moi. Je discute avec lui autour d'un verre de soju sur le projet pendant deux heures et le lendemain il commençait à écrire. Si je suis aujourd'hui invité en France si je peux encore travailler dans ce milieu, c'est que j'étais entouré de gens talentueux comme ADACHI. Des cinéastes et scénaristes faisaient des scripts pour nous en forme de travail supplémentaire par rapport à leur travail à la Nikkatsu tout en sachant qu'ils auraient moins de contraintes qu'en studio.

Comment avez-vous été impliqué dans le projet l'Empire des Sens?

Un jour, OSHIMA m'a téléphoné pour prendre un verre alors qu'on ne s'était pas vus depuis longtemps. Il m'a passé son scénario. Je lui ai lors demandé s'il voulait que je joue dedans. Il voulait juste que je produise le film. A l'époque j'étais couvert de dettes et OSHIMA était lui aussi fauché. Il m'a dit que l'argent venait de France et que le budget était petit. Et qu'il pensait que je serais le seul à accepter ce projet. J'ai accepté. J'étais pas vraiment producteur du film. A l'époque, OSHIMA avait son show télévisé. Du coup, je m'occupais du casting et de l'organisation de l'équipe.

Sur les films

 Pourriez-vous dire deux mots sur votre usage du passage du noir et blanc à la couleur?

Les pellicules couleur coûtaient cher et pour des raisons de budget on ne pouvait en utiliser sur tout le film. Mais la maison de distribution me demandait d'insérer de la couleur. J'ai donc réfléchi à quel moment l'insérer, aux moments les plus efficaces pour l'insérer. Je mettais la couleur très souvent dans les scènes que je voulais montrer le plus aux spectateurs.

Vous dites que GODARD a déclenché votre désir de cinéma. Suiviez-vous le travail de GODARD dans la seconde moitié des sixties? Esthétiquement il y a certains points communs avec les films montrés à la rétrospective comme dans l'utilisation de planches de BD et de photos d'époque.

Je n'ai vu qu'A Bout de Souffle et Pierrot le fou.

Pourquoi cette récurrence dans les films montrés à la rétrospective des espaces clos?


Le manque du budget. Et cela évite de faire des repérages. Je n'aime pas être vu par le public quand je tourne, je veux me concentrer sur le travail avec mon équipe.

Sur ses contemporains et le cinéma actuel

Comment avez-vous ressenti à la fin des années 50 et au début des années 60 l'émergence de la Nouvelle Vague à la Nikkatsu et à la Shochiku?

J'avais débuté comme cinéaste et je ne trouvais pas ça si intéressant. J'aimais beaucoup le cinéma d'IMAMURA et celui d'OSHIMA. Juste une partie en somme. Je ne considère Imamura comme de la Nouvelle Vague. On appelait OSHIMA, YOSHIDA et SHINODA Nouvelle Vague. OSHIMA a un jour (vers 1964) écrit un article faisant l'éloge de mon cinéma, disant que le cinéma japonais n'allait pas si mal grâce à quelqu'un comme moi. Je détestais à l'époque les cinéastes travaillant pour des Majors. OSHIMA était très gentil avec moi, on est devenus amis mais je comprenais mal leur cinéma trop intellectuel. J'aimais le cinéma d'OSHIMA parce que c'était un cinéma de lutte, de contestation.

Qu'avez-vous ressenti lors des explosions du pinku eiga et du roman porno?

Le roman porno est l'imitation du pinku eiga. La Nikkatsu au bord de la faillite a commencé à faire du roman porno par réaction à la popularité du pinku. C'est pour cela que j'ai contesté la Nikkatsu et que du coup ils ne m'ont jamais rien proposé contrairement à certains de mes collègues. Elle a aujourd'hui disparu. Je n'aimais pas la société Nikkatsu tout en aimant certains cinéastes qu'elle a fait naître comme KUMASHIRO, SOMAI Shinji. Mais le patron était le disciple le plus important du Parti Communiste japonais. Il me voyait comme un trotskiste et ne m'aimait pas. Nikkatsu est née du PC et j'étais contre ce parti. De même pour Israël. J'aime les Juifs mais pas la politique de l'état d'Israël. J'aime les Américains mais pas leur gouvernement. J'aime la Nikkatsu mais pas son patron.


Concernant les cinéastes actuels ou pas dont vous vous sentez proche, vous avez cité des Japonais lorsque la question vous a été posée durant le festival. (NLDR: Il a clamé son admiration pour les défunts KUMASHIRO et FUKASAKU et a pesté contre un cinéma nippon actuel trop américanisé, s'insurgeant contre le nationalisme du blockbuster sous-marin Yamato). Appréciez-vous des cinéastes étrangers actuels?

Non.

Polémique et projets actuels

Comment avez-vous fait face au scandale généré par vos films?

Je me disais que mes détracteurs comprendraient un jour, qu'ils m'accepteraient un jour. Je me suis disputé avec la censure, avec l'état mais ils ne peuvent changer mon cerveau. Les scandales ne m'ont pas empêché de continuer. Je travaillais moi-même, prenais les copies pour montrer mes films dans les salles de cinéma.

Est-il plus difficile pour vous de concrétiser des projets de cinéma aujourd'hui?

J'ai beaucoup de projets mais je me demande encore combien de films je peux encore faire. J'ai un projet sur l'Armée Rouge Japonaise et ça marquera une fin de cycle pour moi. Et si je vis encore je ferai un film sur le jeune garçon d'extrême-droite qui a tué ASANUMA Inajiro du Parti Socialiste japonais en le poignardant lors d'une session télévisée du parlement (NLDR: en 1960). Il a été arrêté puis s'est suicidé. Ce fut le début de la fin pour le Parti Socialiste. Aujourd'hui personne ne veut financer mes projets. Il est dur de ramasser de l'argent. Pour mon dernier film, j'ai trompé plusieurs personnes qui m'ont donné de l'argent. Mais ils ne le regrettent pas au vu du résultat final. Pour mon film sur l'Armée Rouge japonaise, j'évoquerai trois frères ayant intégré l'organisation: l'un d'eux a vu un de ses frères tué par ses "camarades" de l'organisation. Je ne cherche pas à poser la question du bien fondé de cette lutte mais de ce qu'était cette lutte.

Propos recueillis à l'Ecran Saint-Denis le 25 février 2006.
Tous mes remerciements à l'organisation du festival et à Géraldine CANCE.

date
  • mars 2006
crédits
Interviews