ANNEES 60 : L'âge d'or
Come Drink
with MeMême sans avoir vu un seul Wu Xia Pian des années 60, quelques discussions avec des connaisseurs (merci beaucoup à Christian) permettent de brosser un portrait rapide du Wu Xian Pian, de sa création jusqu'à son dernier bijou, Tigre et Dragon.
Les origines remontent aux années 60, lorsque les Hong-Kongais tentent de rivaliser avec les Chambaras japonais. C'est alors l'avènement de King Hu et Chang Cheh, pour ne citer que les deux plus célèbres. Les Wu Xia Pian sont alors loin d'un film d'action : lenteur, scénario travaillé, film long avec exposition longue des personnages et des enjeux, travail sur l'ambiance... etc... Touch of Zen ou Come Drink With Me en sont de bons exemples je pense. Le Chambara n'a rien de fantastique ou du film d'action débridé. Le Wu Xia Pian des débuts sera le même.
PREMIERE MUTATION : la domination du Kung-Fu
Les années 70 voient l'avènement du kung-fu, emmené par la tornade Bruce Lee et le déclin du Wu Xia Pian qui va même tenter de suivre le nouveau rythme imposé par les films de combat à mains nues. Chang Cheh transforme ses propres films en version plus "action" (voir les remakes des One-Armed Swordsman). On en arrive au début des années 80 où Duel to the Death marque en quelque sorte la fin d'une époque. Le film de Ching Siu-Tung est très cadencé, plein de combats originaux et spectaculaires, tout en gardant une certaine ambiance et réflexion sur la condition du combattant. Fin d'une époque. Les années 80 seront celles du polar avant tout, avec Long Arm of the Law et Le Syndicat du Crime comme détonateurs.
DEUXIEME MUTATION : Tsui Hark Rules
ZULes années 90 sont l'âge d'or du nouveau cinéma de Hong-Kong, polars et films martiaux se partagent la vedette, notamment grâce à Tsui Hark qui a su moderniser les vieux genres en déclin. Alors même que Duel to the Death fermait un chapitre, Tsui avait déjà écrit la préface du prochain : son Zu, Les Guerriers de la montagne magique rempli d'effets spéciaux faisait du Wu Xia Pian fantastique la nouvelle référence. Non qu'il soit le premier à l'avoir fait (d'autre Wu Xia Pian des années 60 utilisaient la magie), mais il sera celui qui en a fait la nouvelle référence. Certains crieront au scandale si je dis que Duel to the Death est réaliste, mais c'est le cas. Zu n'a par contre rien de réaliste, pour cela pas la peine de démonstration. Nous y reviendrons plus longuement pour traiter du cas Tigre et Dragon et des critiques qu'il a essuyé.
Au début des années 90 Tsui réussit enfin à relancer le WXP à la sauce fantastique (Zu n'avait pas déchaîné les passions au box office). Après un Swordsman très critiqué et qui ne connaît pas le succès (peut-être car trop à l'ancienne ?), Swordsman 2 se révèle comme un des grands classiques pour les fans de HK. Les Histoires de Fantômes Chinois et autres The Bride With White Hair s'inscrivent dans le même mouvement et apportent la touche de magie (Poyé Polomi...) au Wu Xia Pian. C'est cette forme mutante que la plupart des fans et le public connaissent. Lorsque Tsui retourne au Wu Xia Pian plus réaliste des origines pour le peindre en noir dans The Blade, le public décroche et boude le film, de même que les critiques. Le film a cependant été considéré comme le testament du genre, un film sombre et virtuose, innovateur mais tout de même vrai WXP. Tsui retourne en 2001 à son genre à lui et va donner une suite à Zu, un film encore plus délirant grâce à des effets spéciaux rendant enfin possible toutes les folies rêvées par le génial réalisateur. Le Wu Xia Pian de fin de siècle y trouvera peut-être une nouvelle référence et une nouvelle porte vers de nouvelles mutations.
LE RETOUR AUX SOURCES : Tigre et Dragon l'incompris
On peut cependant espérer voir encore quelques "vrais" Wu Xia Pian grâce à Ang Lee qui avec son Tigre et Dragon a frappé un grand coup en 2000. Grand coup sur le public et la critique internationale, mais moins sur les fans du cinéma de HK. Pourquoi ?
Duel to the DeathLa réponse est simple. Pour la plupart des fans, le Wu Xia Pian est celui des années Tsui. Poyé Polomi et autres pouvoirs magiques associés aux combats de sabres. C'est normal, car nous n'avons pas d'accès aisé aux vieux WXP. Donc dans Tigre et Dragon, lorsqu'après un début de film lent et réaliste, on voit Zhang Zi-Yi et Michelle Yeoh marcher sur les murs et sauter à 4 mètres de hauteur, les gens rient. Est-ce un mélodrame ou un film d'heroic fantaisy ? Le film est trop long, le scénario compliqué pour rien, on s'ennuie entre les scènes d'action, etc... Pourtant si on y regarde de près, il n'y a aucun pouvoir magique dans Tigre et Dragon, et même dans le plus exagéré des "vrais" Wu Xia Pian, Duel to the Death. Les personnages sautent, prennent appui. Parfois sur leur propre épée comme dans le film de Ching Siu-Tung, sur les arbres, les murs, l'eau dans le film de Ang Lee. Il s'agit d'une aptitude martiale et pas d'un pouvoir surhumain. Certes cette aptitude est exagérée à des fins visuelles, mais elle reste soumise aux lois de la physique. Quand Zhang Zi-Yi tente de "s'envoler" et que Chow Yun-Fat lui attrape le pied, elle ne reste pas en l'air indéfiniment, elle doit retomber. Et lorsqu'il l'interpelle "Alors, fatiguée de voler ?" sur un ton ironique, elle est à bout de souffle. Où est la magie ? Les légendes chinoises racontent que les anciens maîtres en arts martiaux possédaient cette aptitude appelée Qinggang, l'art du saut. Et comme dans toutes les légendes, tout est exagéré, ce qui convient parfaitement au cinéma et spécialement à celui des arts martiaux. Mais point de magie dans le vrai Wu Xia Pian.
Tigre et DragonIl est donc assez évident que Tigre et Dragon est un pur Wu Xia Pian à l'ancienne, qui bénéficie de la technologie moderne pour en faire une pure oeuvre d'art, mais aussi un vrai film avec un fond. Contrairement à un Bride With White Hair ou un Histoires de Fantômes Chinois où les personnages sont plus des icônes que des personnages, ici pas d'esprit du mal, de jeune et pur chevalier. Les hommes sont plutôt idiots, les femmes plus intelligentes souvent, les jeunes insouciants et maladroits. La fin du film est d'ailleurs très dramatique et casse les couples et les rêves. Le couple parfait CYF et Michelle Yeoh est brisé, de même que le rêve de Zhang Zi-Yi qui les voyait comme un couple de référence. Elle prend conscience qu'être un combattant n'a rien d'un rêve. Le ressort est brisé, elle saute, et bien sûr tombe, elle ne peut pas voler. Combien de Wu Xia Pian des années Tsui Hark se terminent comme cela ? Ou même se déroule comme cela ? Aucun, c'est bien ce qui a désorienté les fans. Mais contrairement à eux, Ang Lee connaît le vrai WXP, ses vraies origines et leur rend hommage merveilleusement avec ce film.
Moi qui n'ai jamais vu de films des années 60, j'avais tout de même eu le bonheur de voir Duel to the Death auparavant et ainsi saisir partiellement la vrai nature du WXP. Bien sûr, certains ont vu Le Dieu de la Guerre avec Wang Yu. Mais on a ici un WXP qui a déjà subi la première mutation pour en faire un film d'action avant tout. Ce n'est donc aucunement une référence, contrairement à Duel to the Death. Combien de personnes ont cité King Hu comme influence du film sans avoir vu un seul de ses films ? Et citer les Wu Xia Pian mutants de la vague Tsui Hark est une autre erreur, on ne parle plus du même genre de film. Tigre et Dragon restera peut-être incompris pour beaucoup de fans, et c'est bien dommage, car où est le vrai Wu Xia Pian entre lui et The Bride With White Hair ou Swordsman 2 ?
François (un grand merci à Christian pour ses commentaires)