2002, Crise et Maturité, bilan de l'année

2002 est l'année de la rechute commerciale à Hong-Kong, où la crise économique persistante n'a pas favorisé le timide retournement de situation de l'industrie du cinéma. Après une légère augmentation des bénéfices depuis 1999, c'est la rechute. Peu de films, peu d'entrées, quantitativement 2002 est une petite année. Mais qu'en est-il de la qualité ? Même s'il ne s'agit aucunement d'une année faste, on dénote tout de même quelques points intéressants qui laissent espérer une année 2003 un peu plus joyeuse.

Genres


Golden Chicken
L'année 2002 a été marquée par la main mise de deux genres sur l'ensemble de la production: les comédies et les films horrifiques. Les comédies car en temps de crise économique, il est assez logique d'aller voir un film drôle pour se détendre plutôt que de se miner un peu plus devant un drame. L'industrie cinématographique a donc logiquement tenté de profiter de cet état de fait, hélas de manière pas très convaincante. Car cinq ans après le retour à la Chine, Hong Kong manque toujours d'identité et de positionnement à la fois économique et culturel en Asie du Sud-Est. Les comédies 2002 ont donc manqué du côté délirant des années 80-90 (Irresistible Piggies tentant assez platement de renouveler le style outrancier cher aux fans du Ciné HK de l'âge d'or). Elles se sont plus rapprochées du côté bien lisse des comédies à l'américaine, sans pour autant en atteindre l'efficacité. Heureusement d'un autre côté, la crise est une source d'inspiration et a conduit à quelques petites perles du genre qui vaudront dans quelques années autant pour leurs qualités intrinsèques que pour leur valeur de documentaire sur une époque. On pense notamment et surtout à Frugal Game, petite comédie solidement ancrée dans cette crise, ainsi que Golden Chicken, film plus large qui balaye 30 ans de cinéma de Hong-Kong. Ce dernier souligne également une conséquence de cette "identité floue": ne sachant pas qui elle est ni où elle va, Hong-Kong se souvient de son passé et s'appuie sur son héritage. L'autre comédie phare de l'année (qualitativement parlant, parce que le film a fait un four totalement injustifié au box-office...), le Just One Look de Riley Yip (auquel on doit déjà un film teinté d'hommages, Metade Fumaca), en est la preuve flagrante, en revenant sur les années 60 et en livrant un portrait touchant et nostalgique. Espérons que le futur redonnera quelques lauriers à ce film qui les mériterait bien.


Demi Haunted
Autre film hommage, mais cette fois dans le second genre phare de l'année, le Demi Haunted de Patrick Leung, qui livre un bel hommage au cinéma en général, à celui de Hong-Kong en particulier, aborde de nombreux thèmes et mélange de nombreux genres, même si la manière est n'est pas pleinement convaincante. Vous l'aurez compris, ce second genre phare, c'est le film de fantôme et plus généralement le film horrifique. Demi Haunted est hélas une des seules réussites du genre en 2002, ce dernier se retrouvant dans la même position que la comédie, sans identité locale et tirant mal parti des influences du moment. Car il est bien évident que ce genre a été propulsé en première ligne par le succès des concurrents japonais et américains bien plus convaincants (les Ring et autres Sixième Sense). Hong-Kong n'a donc pas réussi à se réapproprier le genre pour lui donner un style local. Beaucoup de films pas trop mal faits, mais mieux faits ailleurs. Sortent du lot un The Eye sans originalité scénaristique mais techniquement très soigné, le superbe Going Home de Peter Chan qui puise sa force dans la culture chinoise (avec la médecine chinoise se démarquant totalement de l'approche occidentale) et dans le romantisme classique chez Peter Chan, et enfin ce Demi-haunted à moitié réussi, mais possédant une réelle volonté d'aller plus loin que le simple film horrifique.
Maturité


Frugal Game
Ce qui frappe dans cette année 2002, c'est aussi l'apparition d'une certaine maturité dans le traitement des sujets. Conséquente elle aussi à la crise actuelle, cette maturité naissante remplace la douce insouciance des années fastes où personne n'avait à se préoccuper de rien. Les exemples abondent, d'un Chinese Odyssey commençant de manière bien délirante avant de se tourner doucement versune ambiance plus sérieuse et abordant de manière convaincante une romance qu'on n'aurait jamais imaginée aussi sérieuse au début du film. Autre exemple, le Demi-Haunted de Patrick Leung, qui dépeint de manière métaphorique la nécessité de se prendre en main pour le nouveau cinéma de Hong-Kong: la jeune fille représente la nouvelle génération, et suite à la mort de son père (disparition des figures marquantes, de Chang Cheh à hélas Leslie Cheung de manière prémonitoire) et le départ de sa mère (comme les expatriés aux USA), elle doit s'assumer et prendre la charge de sa compagnie de théâtre (le cinéma de Hong-Kong) sur ses petites épaules. Ce qui ne se fait pas de manière douce, mais plutôt au travers des larmes... On ne manquera pas non plus le fort sympathique Frugal Game qui sait être à la fois très drôle et touchant, tout en montrant la difficulté de respecter l'héritage des anciens dans un monde où le public veut des films formatés sur le cinéma occidental (via le personnage d'Eason Chan, réalisateur de programme TV de Reality Show qui préfèrerait faire une série Wu Xia Pian avec Ti Lung...). Le superbe Golden Chicken de Samson Chiu montre également qu'on peut mixer de la comédie bien outrancière et avoir du contenu, et signe le succès de la politique de feu UFO: faire des comédies accessibles, et qui font un peu réfléchir. UFO n'y était pas vraiment arrivé (trop tôt pour une population encore trop insouciante, malgré quelques succès publics), Applause y réussit maintenant que le public est prêt pour ce genre de films. Enfin difficile de ne pas évoquer non plus le July Rhapsody d'Ann Hui, bien que cette cinéaste nous avait déjà habitués à un cinéma adulte depuis de longues années. On notera simplement la maturité assez nouvelle du personnage interprété par Karena Lam, loin des archétypes de la jeune adolescente Hong-Kongaise des années 80-90.

Outre ces quelques exemples notoires, les résultats du box-office viennent confirmer ce nouvel état d'esprit: les comédies "concon" à gros casting comme Irresistible Piggies ou Women From Mars ne font plus recettes. Les comédies qui ont su trouver leur public avaient soit un humour typique, mais doublé d'un vrai scénario (Golden Chicken, Chinese Odyssey 2002), soit un humour moins lourd et un scénario un peu plus écrit (les Miriam Yeung par exemple). Bref, le concept "système D + casting étoffé" disparaît progressivement au profit d'un nouveau concept "Scénario plus écrit + qualités techniques".

Stars installées et émergentes

Ceux qui ont lu le premier article de notre série consacrée à l'année 2002 (Girls With Guts) savent déjà que l'année 2002 a été une année féminine, et tout logiquement les stars du moment appartiennent au sexe "faible". Sammi Cheng conserve sa place de reine du box-office, Miriam Yeung s'impose


Angelica Lee, toute surprise par son award de meilleur actrice
comme nouvelle force comique locale (avec Love Undercover, Dry Wood Fierce Fire et Frugal Game), les Twins supprennent en ne participant à aucun film nul (euh oui, If you care, bon, chuuuut) , mais toujours au minimum sympathique:
- Summer Breeze of Love
, film pour ado pas trop mal troussé,
- My Wife is 18
comédie sympathique du scénariste préféré du studio UFO,
- Just One Look
excellent hommage au Hong-Kong des années 60.

Concernant les "anciennes", on est content de revoir Carol Cheng (qui officie surtout à la TV maintenant) dans un rôle très convainquant pour Frugal Game, et surtout Sandra Ng, phénoménale dans Golden Chicken. On suivra les jeunes Karena Lam (2 HK awards l'année dernière, une nomination cette année), Eugenia Yuan (un award + une nomination cette année) et Angelica Lee (meilleure actrice 2002 pour The Eye) évidemment. Du côté masculin, Andy Lau et Tony Leung prouvent qu'ils restent de solides valeurs que ce soit en qualité de jeu ou en rentabilité (Chinese Odyssey 2002, Fat Choi Spirit, Hero et surtout Infernal Affairs), Louis Koo s'impose doucement comme une des valeurs sûres des "vieux jeunes acteurs", et on suivra le jeune Chatman To avec attention.

Absence des cadors

Si au final cette année 2002 n'est pas si mauvaise que ça, il lui manquera toujours deux ou trois films définitifs, probablement à cause de l'absence des ténors. En effet, pas de Tsui Hark (dont les échecs commerciaux ont sérieusement entamé la crédibilité au niveau financier et qui va jouer gros sur sa série TV dont nous allons vous reparler longuement), pas de Stephen Chow (trop occupé à promouvoir son Shaolin Soccer toujours pas sorti aux USA...), des Jackie Chan et Jet Lee américains pas très intéressants, des Johnnie To commerciaux, pas de Ringo Lam... Reste la bonne tenue de Ann Hui avec son superbe July Rhapsody (mais qui ne rapporte pas grand chose au box office), le sympathique Hollywood Hong Kong de Fruit Chan (mais qui ne vaudra jamais son Made in Hong-Kong), ou encore le retour au premier plan de Ching Siu-Tung avec le débilo-jouissif Naked Weapon et le très clinquant Hero. Bref, pas d'oeuvre culte à se mettre sous la dent comme les Legend of Zu ou Shaolin Soccer de l'année précédente.

Bilan: l'évolution

Au final, 2002 reste une année de crise, aussi bien financière qu'artistique, mais il reste de quoi boire et manger, même si les genres "rois" ou "âge d'or" sont absents (peu de films d'arts martiaux, plus de films bricolés avec peu de moyens et des idées). On assiste maintenant à une élévation des standards techniques (voir le très chiadé Infernal Affairs, même si manquant de développement), ainsi qu'à une ouverture vers le marché chinois (présence plus marquée d'acteurs chinois comme Chang Chen ou Vicky Zhao dans les films Hong-Kongais, coproduction comme Hero). Les coproductions HK/Chine seront d'ailleurs sûrement l'un des faits marquants de l'année 2003. La production 2002 est moins délirante que par le passé, et attirera plus sûrement les personnes qui s'intéressent à l'histoire et à la culture de Hong-Kong qu'aux Hong-Kongistes de la première heure. La partie qui intéressait ces derniers a disparu pour être remplacée par quelque chose d'hélas plus académique. Mais d'un autre côté le cinéma de Hong-Kong 2002 est un témoin de l'évolution d'une société en crise, et à ce titre se montre culturellement très intéressant, aussi bien grâce à ses réussites que ses ratages. Simplement il y a plus de personnes intéressées par le cinéma de Hong-Kong vieille génération que par Hong-Kong en elle-même. Il y aura donc plus de déçus que de réjouis.

Sélection Personnelle

Just One Look: bien plus qu'une comédie, un vibrant hommage au cinéma de Hong-Kong et aux années 60, plein de qualités diverses et variées. Incontournable.

Chinese Odyssey 2002: l'humour non-sensique des années 90, la technique des années 2000, la touche de sérieux des années crise, le casting mi HK-mi Chine, tout le nouveau cinéma de Hong-Kong résumé dans un seul film. A ne pas manquer

Frugal Game: La Crise version HK, avec un casting très bien employé et un bon scénario. A voir.

Golden Chicken: aisément un des meilleurs UFO/Applause, vibrant hymne à Hong-Kong, porté par une Sandra Ng au sommet de son art. Immanquable.

A considérer:
Fat Choi Spirit: le savoir faire de Johnnie To avec un casting rempli de bonne humeur.
Dry Wood Fierce Fire: un Wilson Yip plutôt réussi
Love Undercover: l'équipe de Joe Ma signe une comédie fort réussie
My Wife is 18: Ekin devient amusant sous la caméra du scénariste des meilleurs UFO
No Problem 2: cette coproduction avec le Japon permet de revoir Yuen Biao et assume de la comédie bien lourde.
The Lion Roar: Chinese Odyssey 2002, en moins bien

On évite:
Women From Mars: malgré un gros casting, le scénario à la philosophie puéril manque cruellement d'écriture.

Going Home: un moyen métrage techniquement impressionnant, très bien interprété et au scénario bouleversant. Marquant.

Demi Haunted: plus Hong-Kongais que Hong-Kongais, drôle, tragique, outrancier, nostalgique, réaliste, un film bancal mais passionnant

The Eye: scénario convenu mais réalisation soignée et Angelica Lee. A voir

On évite:
Sleeping With the Dead: le twist est dans le titre pour cet ersatz raté de Sixième Sens

Hero: même coupé de 20 minutes et politiquement correct, le film évènement délivre les délires de Ching Siu-Tung en grand large. Le plaisir des yeux. A voir.

Naked Weapon: Scénario de Wong Jing bête à manger du foin, mais jolies pépés sur des choré de Ching Siu-Tung. Pas génial, mais Hong-Kongais dans l'âme. A voir.

So Close: début moyen, mais scénario pas si vide et final de feu. Corey Yuen sait encore y faire. A voir.

July Rhapsody: une réussite majeure pour Ann Hui, avec pour thème l'adolescence et le passage des 40 ans. Superbe à tous les niveaux.

Hollywood Hong Kong: un Fruit Chan mineur, mais bien en phase avec l'évolution de la culture locale, et à l'humour noir étonnant.

My Left Eye Sees Ghost: lent à démarrer, un mélo à regarder en sens inverse.

Infernal Affairs: grosse interpréation et scénario plus intéressant que la moyenne (même si un peu court) pour le plus gros succès de l'année.

Top 10 Flop 3:
-July Rhapsody
-Golden Chicken
-Just one Look
-Hero
-Hollywood Hong Kong
-Chinese Odyssey 2002
-Demi Haunted
-Frugal Game
-Naked Weapon
-Love Undercover
-Psychedelic Cop
-Partners
-Women From Mars

Cette sélection est bien sûr personnelle, et il manque peut-être certains films, comme Mummy Aged 19, Shark Busters, Princess-D ou Runaway Pistol entre autre. La sélection sera donc peut-être remaniée.

date
  • avril 2003
crédits
Actualité