Le 24 janvier dernier, le tout Séoul se pressait à l’avant-première de
'The President’s Last Bang', la plus grande qu’ait connu le cinéma coréen : Les dix salles du
multiplex CGV de Yongsan accueillaient quelques 2200 invités, en tête de cortège, les personnalités du monde politique
et du cinéma, les associations d’artistes qui ont défendu le film.
Dehors, de l’autre
côté de l’imposant cordon de sécurité, on protestait en brandissant des
pancartes:
"le président Park a mis fin à 5000 ans de pauvreté,
n’abusons pas de la liberté d’expression".
L’événement est à la mesure de la controverse suscitée en Corée par le dernier film de
Im Sang-Soo
et sans doute une manière d’exorciser les vieux démons de la censure
d’état. Car The President’s Last Bang, qui raconte de la dernière
journée du président
Park Jung-hee a failli ne jamais
voir le jour et sort après quelques démêlés judiciaires amputé de presque six minutes.
'Ce
jour là, ces hommes là ’ (Geuttaegeu saramdeul), le titre coréen du film
fait référence à une chanson populaire des années 80. Son interprète, Shim Soo-Bong,
"animait" une des soirées très privées du général Park qui se tenait
dans une résidence du quartier présidentiel de Kung-jon dong, le soir
même de son assassinat. Le 26 octobre 1979, elle a tout vu mais n’en a
jamais rien dit.
De
ce jour, l’Histoire officielle retiendra que Park Jung-hee, l’homme qui
prit le pouvoir par la force, dirigea la Corée d’une main de fer 18 ans durant, l’homme qui instaura l’ère
du ‘
Yushin’ (la
rénovation), conduisant le pays à marche forcée vers le ‘miracle
économique’, a été assassiné par l’un de ses proches,
Kim Jae-gyu, le
directeur des services secrets (KCIA).
Meurtre commandité, lutte de
faction ou violente dispute entre les deux hommes, les raisons de son
assassinat n’ont jamais été élucidées.
Les auteurs étaient connus,
furent jugés trois fois et condamnés à mort
(cf.1); on ne reverra plus (jusqu'à
très récemment) Shim Soo-Bong sur les planches.
Comme si
elle devait s’inscrire naturellement dans l’histoire meurtrie de la
Corée, le général Park connait la fin violente d’un dictateur. Ses
funérailles frisent l’hystérie collective et le vide politique est tel
que quelques semaines seulement après sa mort, un autre coup d’état militaire installe
Chun Doo-Hwan au pouvoir. (12 décembre 1979)
Mais de nombreuses zones d’ombres
subsistent autour de celui qu’on appelait alors ‘
Gakha ‘ : majesté.
Outre
les multiples exactions et disparitions d’opposants qu’on attribue à sa
police politique, on dit le personnage non moins sulfureux: amateur de
femmes et d’alcools (dont un service spécial de la KCIA, Mirim, était
le pourvoyeur), nostalgique de l’ordre qui régnait sous l’occupation
quand il était encore à l’école militaire, aimant les chansons
populaires japonaises (Enka), s’entretenant en japonais avec sa garde
rapprochée.
(cf.2) Phantasmes et secrets
de Polichinelle dont s’est emparée depuis longtemps la littérature.
Mais
peut-être parce qu’il est resté trop longtemps le vecteur de propagande
du régime, le cinéma contemporain semble pris d’un étrange mutisme sur
les heures sombres de la dictature Park, elles tiennent bien souvent de
la simple évocation (Silmido, President’s Barber).
Im Sang-Soo
est en tout cas le premier à placer au centre d’un film ces questions
sur la personnalité trouble de l’ancien président.
Certes, The President’s last Bang est d’abord une comédie noire,
caricaturant la débauche de cette soirée et les intrigues qui menèrent
à l’assassinat de Park. Mais il confronte sa version ‘des événements du
26 octobre’ aussi fictionnelle soit-elle, à l’histoire officielle.
Le
film contenait originellement trois documents d’archives montrant les
funérailles nationales et les
manifestations étudiantes réprimées à Busan et Masan.
C’est cette mise en perceptive qui
fit scandale.
Conspué par
l’opposition conservatrice, insulté publiquement par la presse, à la conférence qui suit la projection, Im ne
se défile pas :
"
J’aurais voulu qu’on parle du
film en terme cinématographique (…) on a confondu fiction et fait
historique, on a parlé d’un film irresponsable vis à vis de la société
et je trouve moi que 25 ans (après sa mort) c’est bien assez pour
enfin parler de monsieur Park.(cf.3) ..Je n’ai visé personne à travers lui et
l’époque est révolue où il suffisait d’un coup de fil influant pour
faire interdire un film."
Im sait pourtant qu’il a ouvert la boîte de Pandore. Car interroger la figure tutélaire, quasi patriarcale de l’ancien
dictateur, c’est aussi interroger les passages peu avouables de
l’histoire contemporaine coréenne (ainsi la collaboration puis les
réparations avec le Japon) et un système oligarchique, nationaliste et
répressif dont subsistent encore aujourd’hui certains vestiges comme la
loi de sécurité nationale
.(cf.4)
L’héritage Park divise la Corée, c’est bien sûr une question éminemment politique.
D’autant que la droite traditionnelle GNP ("Hanara") défaite aux
élections vient de placer à sa tête Park Geun-hye, la propre fille du
président défunt, espérant bénéficier de l’aura dont il jouit encore
auprès de la population.
(cf.5)Autant dire qu’en Corée, même au
nom de la liberté de création, on ne saurait écorner impunément l’image
du père, encore moins rapporter le deuil de la nation à une soirée trop
arrosée qui aurait mal tourné. Une plainte en diffamation a vite suivi,
déposée par le fils du président, Park Ji-man.
Elle réclamait
l’interdiction pure et simple de diffusion mais visait en réalité à
faire retirer les images d’archives du film.- une en particulier où
apparaît Park Geun-hye près du cercueil de son père.
Ses détracteurs
sont arrivés à leurs fins, un écran noir remplace désormais ces images
dont ne subsistent que les voix off.
Le réalisateur à succès
Kang Je-gyu (
Shiri,
Taegukgi)
qui a produit le film avec MK-Buffalo a fait appel mais le mal est fait
: La major CJ Entertainment a déjà retiré son soutien à la distribution
et même s’il dépasse aujourd’hui le million d’entrées, le film
n’atteindra sans doute jamais les sommets annoncés.
De nombreux
projets sont encore en attente du jugement qui sera rendu, avec MK encore sur
les événements de
‘No Gun Ri' ’
(cf.6), on parle aussi d'un projet de Park
Chan-wook sur le
‘ parti révolutionnaire du peuple ’ (1974).
Signe
qu’il ne s’agit pas simplement de retrouver ces images mais bien de
s’emparer des événements que l’histoire a passés sous silence.
(cf.7)
Maxime C. (mai 2005)
Scène de reconstitution pendant le procès de l'assassinat
du président PARK (26 Oct. 1979): KIM Jae-Gye refait le geste du Crime.