La scène d'introduction est un modèle à elle seule
de piège culturel, le but étant en premier lieu d'accrocher
le spectateur pour la suite du spectacle. Le but de cette scène est
de présenter Ekin Cheng en chasseur de vampires, son assistante (Josie
Ho) et le bad guy du film (Michael Hardt) comme moteur de l'intrigue en
antagonisme dans le sens où cette confrontation entre le bien et
le mal apparaît en ouverture et en conclusion de l'histoire générale.(où
autrement dite, donner la possibilité d'un début et une fin
au film, alors que tout ce qu'il y'a entre est dispensable d'un point de
vue dramtaique ou scénaristique). Avare en dialogues, cette introduction
repose avant tout sur l'accroche internationale du film, se fondant sur
des codes audio-visuels compréhensibles au-delà des langues
et par tout spectateur. Cette scène constitue sans doute ce qu'il
existe de plus courant quant à la représentation mondiale
des vampires : les chauve-souris, les victimes ensanglantées, les
pouvoirs surhumains, etc. Mais au-delà de ces dix première
minutes d'action se profilent déjà les caractéristiques
d'un cinéma hong-kongais de souche avec la mort prématurée
de Josie Ho, conséquence logique d'un script typiquement hong-kongais
se devant de placer un élément déclencheur avant toute
scène d'exposition en dépit des canons sécantistiques
du cinéma commercial international (qui préviligie l'exposition
en premier lieu).
Passé la longue scène d'introduction, c'est là que
les choses se gâtent pour le puriste du cinéma de genre car
Twins Effect révèle enfin sa direction artistique en
mettant en scène toute la culture inhérente à la canto-pop
en vue de flatter son public-cible, les fans des stars EEG, en proposant
la romance contre nature (un vampire et la soeur d'un chasseur de vampires)
de la façon la plus désinvolte et tendre possible tout en
étant délibérément fashion. Juste en prenant
la scène de la première rencontre Charlene et Edison, bon
nombre de choses sont en mesure de déranger l'amateur occidental
de cinéma fantastique : l'humour décalé et pince sans-rire
où nos vampires aristocrates boivent du sang dans des bouteilles
de vin parce que c'est dégradant de sucer le sang directement dans
le cou des gens, l'apparition en guest de Chapman To (assurément
l'acteur comique et de second rang le plus prolifique d'Hong-Kong en 2003)
la mèche de cheveux violette de Charlene Choi et son look hyper-tendance
en général, la scène de pleurs de Charlene pleine de
violons. Sans compter que par après ça continue de plus belle
avec photos prises et envoyées par GSM, etc : si vous ne comprenez
pas la jeunesse actuelle, vous ne serez jamais en mesure d'aimer Twins
Effect car ce film n'est jamais que le reflet de l'hyper-superficialité
ambiante et du cocooning à l'extrême. Plus tard dans le métrage
arrive la scène désormais culte de la bataille du nounours
où nos deux comparses se bastonnent à mort pour un ours en
peluche : c'est vraiment le moment où soit vous décrochez
complètement du film, soit vous vous dites "Putain mais c'est
génial, c'est la scène de l'année.". Personnellement,
je crois que c'est la scène la plus "extrême" qui
fera de vous un partisan ou un détracteur de Twins Effect
car à la fois toute sa superficialité et sa nouveauté
se retrouve condensées en quelques minutes intenses à l'enjeu
complètement farfelu.
Si pour la partie "jeune" de son casting, Twins Effect
remplit son contrat, il n'en est pas de même pour sa partie "vieux"
qui met face à face deux pôles opposés de ce que peuvent
être les anciennes stars du ciné HK aujourd'hui : d'un côté
un Anthony Wong qui a su gérer sa carrière de main de maître
en se réinventant même si il reste une personnalité
à part entière dans l'industrie locale avec un rôle
de second plan qui fait mouche avec ses répliques d'humour à
froid genre "As-t'on déjà vu quelqu'un tombé amoureux
d'un filet de saumon ?" (en commentant la love-story entre Charlene
et Edison), de l'autre côté on a un Jackie Chan dont on se
demande sincèrement quand il arrêtera de vouloir jouer sur
son image public et dont la vieillesse devient de plus en plus criante (syndrôme
de Peter Pan?).
Twins Effect est avant tout le bon exemple d'un film de producteur
et non de réalisateur (deux d'ailleurs dans le cas ci-présent).
Dante Lam fût un temps l'un des nouveaux espoirs du cinéma
hong-kongais avec Jiang-Hu The Triad Zone mais comme c'est souvent
le cas, on néglige vite qu'un film est un travail d'équipe
et qu'en l'occurrence, scénaristes et producteurs ont souvent le
dernier mot : Jiang-Hu The Triad Zone peut être considéré
comme un "incident de parcours" dans la carrière d'un réalisateur
à la merci des scripts qui lui sont fournis et dont la qualité
première revient avant tout à un art de la réalisation
et de la mise en scène (la qualité technique de son précédent
film Tiramisu ayant eu une influence non-négligeable quant à
son choix d'être nommé à la tête de ce projet).
Le cas de Donnie Yen s'avère plus complexe car on se retrouve en
présence d'un auteur (ou plutôt d'une personnalité au
caractère bien trempé) bridé par son statut de co-réalisateur
et chorégraphe des scènes d'action : la contrainte étant
de fournir une direction artistique dans la lignée de celle imposée
par Dante Lam et la production, dès lors sa participation "active"
se limite à faire des Twins des combattantes plus crédibles
que Sarah Michelle Gellar dans Buffy. Dante Lam et Donnie Yen ne
sont dès lors que deux noms de plus au générique, assurant
néanmoins un label de qualité et de compétence technique
et esthétique nécessaire à une production de cet ampleur,
de même que l'utilisation de ces "jeunes" réalisateurs
apportent une nouvelle façon d'aborder le genre esthétiquement
au contraire d'un Era Of Vampires du tandem Tsui Hark/Wellson Chin
qui reste engoncé dans un classicisme qui lui est fatal artistiquement
et commercialement parlant.
Si Twins Effect a une importance au sein de l'industrie locale au-delà
de critères purement cinématographiques, c'est qu'il constitue
une avancée importante en matière de communication et de marketing
de la part de sa boîte de production envers aussi bien le public que
les professionnels. Pour sa stratégie commerciale, EMG s'est inspiré
de toutes les ficelles du système hollywoodien pour créer
soi-même la hype autour du film. Tout d'abord en ouvrant le plateau
aux reporters ce qui a assuré une couverture médiatique importante
pendant plusieurs mois à coup de photos et de rumeurs people (pseudo
love-story entre Gillian Chung et Edison Chen, etc.), l'avantage de cette
méthode est qu'elle est gratuite, régulière et qu'elle
alimente les conversations courantes ("Oh, t'as vu la dernière
photo des Twins s'entraînant avec Donnie Yen ?"). A côté
de ça, la gestion de la distribution mondiale du film avec l'aide
étrangère de la société australienne Arclight
Films aura été un plus niveau marketing dans les pré-ventes
du film via des affiches teasers assez moches mais permettant de pitcher
directement le film visuellement en passant outre la barrière de
la langue (deux filles contre des vampires, ça n'est pas très
dur à transmettre). Pour convaincre encore un peu plus les acheteurs
potentiels, un teaser sera mis en place montrant juste le montage d'un séquence
d'action avec Ekin Cheng aux prises avec un vampire : photo froide et bleutée,
bonne chorégraphie, réalisation convainquante, le but étant
surtout avec ce teaser de laisser entre-apercevoir une production-value
de qualité à un niveau international. Aussi, grâce à
la participation de Jackie Chan, un autre poster-teaser sera monté,
le présentant en premier plan alors qu'il est juste limité
un petit rôle mineur. Rapidement, Twins Effect attire l'intérêt
des distributeurs étrangers et là, toute la stratégie
mise en place par EMG dépasse les espérances avec l'achat
des droits pour l'Europe et l'Australie par le studio Universal pour un
montant avoisinant les 62 millions de $HK : autrement dit, pour une production
s'étant élevé à 50 millions $HK, le film était
d'ores et déjà rentabilisé et bénéficiaire
avant même sa sortie ce qui est un peu le rêve de n'importe
quel producteur. Puis à l'approche de la sortie cinéma à
HK, le marketing du film n'était plus qu'en pilotage automatique,
proche des promotions habituelles de tout film HK mainstream : campagne
d'affichage, évènements avec les stars, site web, etc. Toutefois,
l'histoire prouvera que le coup de poker d'Universal a été
salvateur pour EMG car sans cet achat de droits, l'avenir de la société
aurait été plutôt sombre car malgré le fait que
Twins Effect ait fait un score honorable au box-office local (28
millions $HK), c'était évidemment très insuffisant
pour rembourser tous les frais de production(à ce jour, le film n'est
sorti au ciné et en dvd qu'à HK, la Chine n'ayant eu droit
qu'à une sortie directement en dvd). A l'heure où Twins
Effect 2 se tourne, le grand point d'interrogation est de savoir si
EMG parviendra à nouveau à utiliser une bonne stratégie
commerciale ou bien si ce nouveau film sera un gouffre financier pour le
studio. Mais du fait que Twins Effect 2 sera calibré en partie
pour une sortie cinéma en Chine, il est probable le succès
possible du film sur le territoire chinois suffira à compenser largement
les frais de production.
Pour en revenir au premier volet, le film vaut ce qu'il vaut (script inégal
avec problèmes de rythme, scènes d'action honnêtes,
casting agréable) mais outre ses méthodes de vente, il peut
très bien devenir dans les prochaines années une nouvelle
pierre angulaire du cinéma HK et du courant pop-cinema comme l'ont
été les Feel 100% et les Young & Dangerous
en leurs temps. Dès lors, est-ce que Twins Effect est de l'art
ou bien un fléau du commercialisme éffrèné?
La seconde option serait tentante mais c'est nier toute la richesse de la
culture populaire par rapport à l'art "officiel", cette
richesse est facilement décelable si on se focalise par exemple sur
la culture pop selon les décennies (la new wave musicale et toute
a mode qui l'entoure dans les années 80, etc.). Pour l'instant, Twins
Effect est encore trop récent dans le temps mais sa faculté
à s'ancrer dans l'inconscient collectif dans les années à
venir pourrait être sa plus belle réussite.